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Numéro 209
Mai 2007
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Si Dieu existe, pourquoi y a-t-il tant de mal dans le monde, tant de souffrance, de guerres, de catastrophes naturelles ? Cette question, nous l’avons certainement tous entendue ou nous l’avons posée nous-mêmes.

Je fais le shalom et le mal,
moi, le Seigneur, je fais tout cela (Ésaïe 45, 5-7)

Dans une conception polythéiste, où le sort de l’univers dépend des agissements d’une multitude de divinités, l’irruption du mal et de la souffrance peut être attribuée à des divinités maléfiques qu’il s’agit pour l’homme d’apaiser. Pourtant la Bible hébraïque, en tant que fondement du judaïsme et du christianisme, affirme clairement que le Dieu d’Israël est l’unique Dieu, créateur du ciel et de la terre.

À partir d’une telle affirmation monothéiste la question du mal se pose avec une grande acuité. Le Dieu unique et tout-puissant peut-il être à l’origine du mal ? Mais dans ce cas, comment peut-il être le Dieu qui veut le bonheur et l’épanouissement de toute sa création ? Ou alors, Dieu n’a pas voulu le mal ; mais dans ce cas comment peut-il être le Dieu souverain et tout-puissant ?

L’autonomie du mal par rapport à Dieu est affirmée dans plusieurs courants du judaïsme, et ceci notamment par la figure du satan. Le substantif satan peut se traduire par « attaquant » ou « adversaire ». Le terme peut désigner d’abord un adversaire humain, mais Satan devient ensuite le titre donné à l’agent provocateur de la cour céleste. Dans le prologue du livre de Job, tel que nous le lisons maintenant, les souffrances de Job sont expliquées comme résultant d’un pari entre Dieu et le satan. La même tendance à autonomiser le mal est perceptible dans la version des Chroniques qui raconte le recensement entrepris par David, provoquant une punition divine. Le récit premier, en 2 Samuel 24, s’ouvre ainsi : « La colère de Yhwh s’enflamma encore contre les Israélites et il excita David contre eux. » L’auteur des Chroniques, qui donne une nouvelle version de la même histoire, a radicalement changé son ouverture : « Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer Israël. » (1 Ch 21,1) Il est difficile de dire si Satan est ici compris comme le vis-à-vis négatif de Dieu ou plutôt comme une sorte de figure de la colère divine. L’insistance sur Satan comme protagoniste du mal induit néanmoins une tendance vers un dualisme où le mal apparaît comme virtuellement aussi puissant que le Dieu créateur du bien. Cette vision n’existe pas dans la Bible hébraïque. Elle se fait par contre de plus en plus jour dans certains courants du judaïsme des époques hellénistique et romaine, et trouve peut-être son origine dans le dualisme du zoroastrisme. On peut imaginer que certains intellectuels judéens aient été séduits par une telle conception qui évitait toute implication de Dieu dans le mal. Pour contrer de telles dérives dualistes, le « Deutéro-Ésaïe », un prophète anonyme du cinquième siècle avant J.-C., va défendre une thèse quasiment unique dans la Bible : « Je suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre, je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le shalom et le mal, moi, le Seigneur, je fais tout cela. » (Es 45,5-7)

C’est presque le seul texte de la Bible qui affirme explicitement que Dieu n’a pas seulement créé le shalom, l’ordre harmonieux, mais aussi son contraire, le mal ou le chaos. Seul Qohéleth deux siècles plus tard va dans le même sens : « Au jour du bien, sois dans le bonheur, et au jour mauvais regarde : celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits, de sorte que l’homme ne puisse trouver ce qui viendra après lui. » (Qo 7,14)

Certes, ce manifeste anti-dualiste ne résout pas les questions sur le sens du mal, et les deux textes d’Ésaïe et de Qohéleth sont deux affirmations extrêmes dans le corpus de la Bible hébraïque. Ces affirmations sont sans doute nécessaires, voire indispensables, dans certaines situations, mais elles ne peuvent constituer une réponse « définitive » à la question du mal. Et c’est la raison pour laquelle ces textes se trouvent intégrés dans le canon biblique, à l’intérieur duquel une multitude de voix se font entendre. Si nous ne voulons pas « sataniser » le mal, il faut maintenir le côté incompréhensible du Dieu biblique, comme le fit par exemple Martin Luther en parlant du « Deus absconditus », du Dieu caché. Mais ceci ne permet nullement d’abuser intellectuellement du Dieu incompréhensible pour justifier une position fataliste, que ce soit sur le plan éthique ou sur le plan théologique. feuille

Thomas Römer

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