Dépasser la croix
Devenue le symbole du christianisme, la croix a certes,
avec Vendredi saint et Pâques, une fonction inaugurale et capitale
pour l’histoire de la foi chrétienne. Et pourtant, c’est
le Royaume de Dieu qui est au cœur de l’enseignement de Jésus.
En regard de ce règne de Dieu, on ne saurait, comme on le fait
trop souvent, parler de Jésus en oubliant sa prédication
centrée sur « cherchez d’abord le Royaume de Dieu
et de sa justice » (Mt 6,33). C’est une erreur de vouloir
toujours tout ramener à la seule personne de Jésus crucifié
et ressuscité. Dans l’une de ses lettres, Albert Schweitzer
écrit : « Le centre de gravité de la foi chrétienne
n’est pas le drame rédempteur de notre dogmatique, mais
la venue du Royaume de Dieu en notre cœur et dans le monde. »
Oui, ce centre de gravité n’est pas dans le passé,
mais dans l’avenir.
Quand le Crucifié déclare « Tout
est accompli » (Jn 19,30), nous savons bien, par rapport au Royaume
de Dieu, que tout reste à faire. Il ne s’agit pas en effet
de regarder exclusivement en arrière, dans une attitude passéiste,
passive et doloriste, figés que nous serions devant un crucifix.
Notre vie spirituelle et nos théologies ne peuvent se contenter
de gérer un acquis. Pentecôte, la fête de l’Esprit,
tourne notre regard en avant. Dans un monde en chantier, l’Esprit
nous anime et nous porte, nous donne un élan créateur
; il nous mobilise. Nous ne regardons pas derrière nous, mais,
tournés vers l’avenir, nous menons un combat pour la justice.
Notre foi, notre vie et notre pensée religieuses, habitées
par l’Esprit, sont alors soulevées par un dynamisme inventif
et créateur, celui de Dieu lui-même. 
Laurent
Gagnebin