Introduction
Dans lEurope daujourdhui,
la réconciliation entre Dieu et lhomme est un sujet important
et nous, libéraux, ne pouvons ignorer ce sujet. Le dogme de
la réconciliation (souvent appelée Rédemption
ou Expiation par le sang. NDLR) a plus divisé quil na
unifié les chrétiens ; il est devenu lun des dogmes
importants séparant libéraux et orthodoxes et son interprétation
a conduit les deux mouvements à suivre leur propre chemin.
Nous nous intéresserons à linterprétation
libérale de la notion de réconciliation dans le passé
et de nos jours.
Quelques concepts bibliques
Parler de réconciliation, cest admettre une faille
dans une certaine relation, faille qui doit être réparée.
Ce peut être le cas dans les relations interpersonnelles. Daprès
la Bible, cest aussi le cas dans les relations des hommes avec
Dieu : cest le cas dIsraël dans le cadre de son alliance
avec Dieu. Cet écart du droit chemin, cette désobéissance
sappelle péché dans la Bible.
La Bible précise que cest ce péché des
hommes qui provoque la colère de Dieu. Après tout, il
est parfaitement juste et ne peut laisser le mal impuni ; mais en
même temps, il est miséricordieux et ne veut pas rompre
lalliance. Ainsi il se présente sous deux faces, colère
vis-à-vis de linfidélité de lhomme
et amour qui pardonne : dans sa foi, lhomme espère et
est certain que lamour de Dieu lemporte sur sa colère.
Le Nouveau Testament personnifie en Jésus Christ le concept
de réconciliation qui atteste de lamour de Dieu pour
tout homme ; beaucoup de personnes ont vu en Jésus le Messie
de la promesse venu pour accomplir la réconciliation entre
Dieu et son peuple ; image de lamour de Dieu, il lont
appelé Fils de Dieu et pourtant son itinéraire sacheva
sur la croix.Nulle part la méchanceté de lhomme
nest aussi manifeste que dans la crucifixion de Jésus
mais on peut aussi voir dans sa mort lexpression de son amour
infini, lui qui donna sa vie pour ses amis. Lhomme fut ainsi
conduit à concevoir la résurrection de Jésus
comme confirmation de lamour total de Jésus pour lhumanité
: la mort de Jésus devint le symbole de la victoire sur le
péché. La résurrection a prouvé que lamour
de Dieu est plus fort que la mort ; la mort de Jésus- à
cause de la résurrection- sest avérée comme
symbole de la réconciliation. La mort de Jésus a annulé
la force du péché.
Pour préciser la notion de réconciliation, on peut
distinguer trois types de concepts : mythique, juridique et éthique.
Cette typologie est artificielle et sommaire mais elle nous aidera
à pointer la spécificité du libéralisme.
Le type mythique
Le type mythique conçoit la mort et la résurrection
de Jésus comme une victoire sur les forces démoniaques
contrôlant lunivers. On rencontre cette conception principalement
dans lorthodoxie orientale.Ici Dieu est considéré
comme le pouvoir suprême opposé aux contre-pouvoirs démoniaques
qui, depuis Adam, ont barre sur lhumanité. Dans le même
temps, Dieu utilise ces mêmes contre-pouvoirs- la mort en particulier-
pour punir les hommes de leur désobéissance. Dans ce
contexte, lhumanité se trouve plongée dans un
processus infernal : elle est dominée par les forces démoniaques,
elle est coupable de ce fait devant Dieu et elle est punie par Dieu
qui utilise ces mêmes forces.Seul Dieu peut rompre ce cycle.
Mais comme ce combat concerne le salut des hommes, Dieu et les forces
démoniaques ne peuvent être les seuls intervenants :
lhomme doit entrer dans larène pour ses semblables
; pas un être ordinaire, car il nen serait pas capable,
mais un être humain de nature divine.Cest la figure du
Christ - déjà appelé Dieu et homme par Irénée
au deuxième siècle- qui seul peut assurer ce salut.
C'est le thème de nombreuses images mythiques : Christ repousse
le diable, libérant lhumanité des griffes de la
fatalité.
Le type juridique
Le type juridique apparaît au Moyen Age, principalement en
Europe de lOuest. Ici la mort de Jésus est interprétée
comme un événement de réconciliation en termes
dexpiation, assujettissant ainsi lhomme à la justice
expiatoire de Dieu. Ce deuxième type suppose un ordre légal
établi par Dieu ; la désobéissance de lhomme
signifie une transgression de cet ordre. Seul un sacrifice peut compenser
cette insulte à Dieu.
Le nom dAnselme de Canterbury (1033-1109) est associé
au type juridique. Selon lui, seul Dieu est assez grand pour réaliser
un tel sacrifice. Mais lhomme reste coupable et doit donc faire
pénitence. Ainsi, selon Anselme, seul Dieu a la possibilité
de ce sacrifice et lhomme a seulement à laccomplir
; donc ce sacrifice doit être fait par quelquun qui est
Dieu et homme : cest pourquoi Dieu sest fait homme en
Christ.
Ce type éthique a eu une grande influence en particulier
sur les credos de la Réforme. Il diffère du type mythique
car il insiste sur la faute et la repentance et inscrit la réconciliation
dans une procédure légaliste.
Mais la question de la responsabilité même de lhomme
demeure.
Le type éthique
Le type éthique suppose la participation de lhomme
et sa responsabilité dans le processus de réconciliation.
La réconciliation est associée à toute la vie
de Jésus et pas dabord à sa mort conçue
comme un sacrifice car il reste fidèle à sa mission
jusquà la fin. Lexemple de réconciliation
que propose Jésus incite vivement à une remise en cause
dans la vie du fidèle.
Pierre Abélard (1079-1142) est souvent associé à
ce type éthique : pour lui, Jésus a prouvé quil
est possible de se vouer à lamour pour Dieu et pour autrui
; la croix est conséquence de cet amour infini.La réconciliation
na pas été réalisée une fois pour
toutes ; elle doit être sans cesse accomplie par les hommes
;
Comparaison des trois types
On peut concevoir les trois types de réconciliation-libération
des forces du péché et de la mort, règlement
de la dette envers Dieu, vie de Jésus prise comme exemple-
soit comme complémentaires soit comme des alternatives.
La dimension cosmique du premier type peut être perçue
comme corrigeant le concept dune réconciliation pas trop
individuelle. Cependant, dans le deuxième type, la contribution
de lhomme a complètement disparu, ce qui exclut tout
effort humain. Si ce type est le plus critiqué par les libéraux,
par contre le type éthique les séduit ; ils ont en effet
toujours eu une vue optimiste de lhumanité ; ils ont
toujours souhaité réduire la distance entre Dieu et
les hommes en partant du fait que la possibilité est offerte
aux hommes daccomplir la volonté de Dieu avec Son aide.
Faustus Socinius (1539-1604)
Premier systématicien du libéralisme, Socinius condamna
énergiquement la doctrine de réconciliation dAnselme
: cest dans le Catéchisme de Racovie que lUnitarisme
a été présenté pour la première
fois à lEurope avec cohérence et avec une focalisation
sur lantitrinitarisme : les Ecritures et la raison même
conduisent à rejeter la notion de la nature divine du Christ
; et, comme Jésus nest pas Dieu, il ne peut pas prendre
sur Lui la faute de lhomme qui est tombé dans le péché,
ceci pour satisfaire la justice expiatoire de Dieu.
Le but du Catéchisme de Racovie est de nous faire connaître
la volonté de Dieu et de nous faire réaliser la nécessité
de laccomplir ; lobjet suprême de notre vie sur
terre est la vie éternelle et pour cela lhomme doit obéir
aux commandements de Dieu.La question demeure : que doit faire lhomme
pour être sauvé ? Quel rôle a Jésus pour
permettre à lhomme daccomplir la volonté
de Dieu ? Compte-tenu de ses qualités présumées,
le Catéchisme présente Jésus comme un être
humain, quoiquil soit à maints égards plus quun
être humain ordinaire. Et le Catéchisme considère
comme la pire absurdité que Dieu puisse avoir à se réconcilier
à travers Jésus. Si le rôle salvateur de Jésus
est indispensable pour nous conduire vers la vie éternelle,
Jésus ne change rien en Dieu et dans Sa disposition à
notre égard.
Lhomme doit compter sur ses propres ressources pour accomplir
son salut. Le Catéchisme insiste sur le fait que ceci entre
dans les capacités de lhomme. Il rejette les dogmes qui,
comme la doctrine de la prédestination et du péché
originel, réduisent ou suppriment le libre-arbitre de lhomme.La
volonté dobéir aux commandements de Dieu est une
spécificité de lhumanité.
Il nest pas difficile de percevoir dans ce Catéchisme
le caractère éthique du concept de réconciliation
: tout laccent est mis sur lhomme accomplissant la volonté
de Dieu, mais avec laide de lEsprit Saint. Loptimisme
de Socinius sur les chances pour lhumanité datteindre
une perfection morale résonne dans tout le texte.
Joseh Priestley
Ce leader unitarien anglais radicalise la pensée de Socinius.
En 1782, il publie Une histoire des corruptions du christianisme
parmi lesquelles on trouve en particulier la réconciliation
sous sa forme juridique ; il désigne comme corruptions les
dogmes qui ne sont pas conformes à la raison ou qui ne sont
pas déduits directement des Ecritures -en particulier la Trinité.
Il ne donne le label dUnitarien quà ce quil
considère comme original. Sa pensée combine linfluence
de lUnitarisme de Socinius, du rationalisme de Locke et du matérialisme
de Hartley, doù une forme de christianisme éclairé
qui laisse peu de place à la révélation et absolument
aucune place à lautorité confessionnelle de léglise.
Priestley est convaincu que lhomme dispose de la capacité
naturelle de suivre lexemple éthique de Jésus,
ce qui explique que son interprétation de la réconciliation
soit de type éthique.
William Ellery Channing (1780-1842)
Il y a eu, dans les milieux unitariens, une réaction au rationalisme
de Priestley : le leader unitarien américain Channing sefforça
de sortir la pensée unitarienne de sa pétrification
rationaliste et y introduisit un facteur émotionnel et éducatif
; lamour paternel universel de Dieu sous-tend toute sa pensée.
Selon lui, Jésus fut envoyé par le Père pour
accomplir un salut moral ou spirituel de lhumanité :
Christ nest pas mort par la volonté de Dieu ; ce nest
pas Christ, en sacrifiant sa vie, qui fut à lorigine
de la grâce de Dieu pour lhumanité, non. Cest
dans sa grâce que Dieu envoya Christ pour être notre Sauveur.
De ce fait, Channing rejette le dogme de la justice expiatoire de
Dieu. Christ est la lumière, le guérisseur et le guide
de lâme sombre, malade et errante de lhomme.
Petrus Hofstede de Groot (1802-1886)
La pensée de Groot délivre le libéralisme de
son côté froid et rationaliste. De ce fait, sa théologie
eut une large audience en Europe, ce qui est caractéristique
de la phase romantique de lhumanisme chrétien ; aux Pays-Bas,
ce courant de pensée est représenté par les théologiens
de Groningue, ceci depuis 1830.
De Groot résume le propos de ce mouvement dont il est le
leader en écrivant que le plus important dans le christianisme
est la révélation et léducation comme étant
données par Dieu en Jésus-Christ, de manière
à nous rendre de plus en plus semblables à Dieu.
Les Groningers rejettent le dogme de la trinité,
de la prédestination et de la justice expiatoire de Dieu. Ils
reconnaissent la double nature divine et humaine et la capacité
de lhomme à accomplir la volonté de Dieu avec
Son aide. Pour eux, la crucifixion de Jésus fut une révélation
de lamour de Dieu, de la perfection de Jésus et de la
culpabilité des hommes, afin de les amener à être
admiratifs devant Jésus.
Contrairement à la position dAnselme sur la réconciliation,
les Groningers pensent que Dieu na pas envoyé
son fils dans le monde pour quil meure afin dexpier le
péché des hommes mais pour quil les fasse naître
à Dieu. Cest la méchanceté des hommes qui
a entraîné la crucifixion de Jésus ; les hommes
ont besoin du pouvoir moral, refondateur de la croix pour être
conduits à Dieu.
Le débat actuel sur la réconciliation aux Pays-Bas
Le théologien réformé Herman Wiersinga reprend
à nouveau la discussion en faveur du concept éthique
de la réconciliation : il soppose à lidée
que la réconciliation ait eu lieu une fois pour toutes sur
la croix de Golgotha : la focalisation de la réconciliation
sur un moment précis fait passer lhistoire humaine au
second plan et fait perdre leur importance à tous les événements
antérieurs et postérieurs. Jésus a donné
sa vie pour son message- ce qui signifie également- pour tout
homme qui a vu, entendu et fait sien ce message. Actuellement la réconciliation
nest pas achevée ; elle nécessite deux parties
: Christ offre la réconciliation mais encore faut-il laccepter
et se transformer pour accomplir la réconciliation entre Dieu
et les hommes. Cest une réconciliation à
travers Christ, qui ne se situe pas avant la naissance de lhomme
ou à son insu mais avec son consentement, sa repentance et
sa conversion.Se réconcilier signifie reprendre une relation,
ce qui implique deux parties.
Wiersinga fut le premier dans le milieu orthodoxe des Eglises Réformées
des Pays-Bas a adopter un point de vue libéral sur la réconciliation,
ce qui entraîna des résistances, une menace de schisme
même, et depuis lors, il existe une aile libérale dans
les généralement très orthodoxes Eglises Réformées
des Pays-Bas.
Remarques conclusives
Comme dans le passé, les libéraux accordent un rôle
à lhomme dans la réalisation du salut. Si Dieu
dans sa miséricorde nous offre le salut, ce nest pas
un événement accompli une fois pour toutes et sans notre
implication. Cest une histoire qui continue, visant à
inspirer et motiver les hommes pour provoquer sans cesse une réconciliation
effective.
Cette forme de réconciliation ressort du type éthique
auquel les libéraux ont toujours été attachés
; de nos jours cette interprétation gagne progressivement du
terrain dans les milieux orthodoxes.
Il échoit aux confessions libérales européennes
la tâche de donner un statut solide à cette idée
de réconciliation effective qui correspond à une interprétation
dactualité du concept biblique. Ainsi les libéraux
ne seront pas seulement fidèles à leurs ancêtres
spirituels mais en plus ils apporteront leur contribution essentielle
à lhumanisation de lEurope qui est à bien
des égards encore très divisée.
Prof.
Dr. E.H. Cossee
Professeur à lUniversité de Leyde
Conférence faite à la réunion du Réseau
Européen des Protestants Libéraux (Bad Boll Allemagne
le 3/7/98, traduit et adapté par R. Serre) (Montpellier)