On raconte que Brassens aurait
dit avant de mourir : Si Dieu existe, il exagère!
Le dualisme est moins choquant que les affirmations conjointes de
la toute puissance de Dieu et de lexistence du Mal, reconnaissait
Pierre Bayle (art. Paulicien in D.H.C.) tout en donnant le change
: lhypothèse qualifiée de manichéenne resterait
absurde et contradictoire.
Dualistes ou Monistes ? Les protestants, longtemps accusés
de manichéisme à cause de leur méfiance à
légard de la théologie naturelle, cherchèrent
à se dédouaner dune image trop naïve et médiévale-catholique
du diable !
Mais cette réduction comporte aussi des dangers. Car si le
dualisme (ontologique ou existentiel) sacrifie la providence et toute
puissance actuelle de Dieu (il pleut = Dieu
pleut !
) à sa bonté infinie, le monisme sacrifie
cette bonté (lamour de Dieu = Dieu nest quAmour)
à quelque inquiétante souveraineté.
Historiquement, le piétisme dans le protestantisme heureusement
rectifia, ré-évangélisa, limage protestante
de Dieu. Moins hautain dans sa grandeur il redevint plus adorable
!
Les catholiques douverture aujourdhui sabreuvent
de François Varillon ou de Denis Vasse
Dans le protestantisme
libéral nous avons les positions géniales et hardies
de Wilfred Monod (père de Théodore) -à quand
la prochaine réédition de Aux croyants et aux
athées?-
Que P.-J. Rufff a eu raison de
les mettre en parallèle avec les positions non-anthropomorphiques
des cathares dans leur livre des deux principes (Italie du Nord, fin
XIII°, trad. et éd. par R. Nelil) et la récente
Process Theology nord-américaine
Javais énormément apprécié la
façon dont P.J. Ruff présentait son très courageux
Un seul Dieu ? ou le problème du mal (paru en 1989) : Pourquoi,
comment, je suis dualiste
Lobjectif, cest moins
dindiquer le profil de lautre divinité que de dédouaner
le Dieu de lEvangile de la responsabilité de tout ce
qui est mauvais. Enfin, le dualisme est plus une orientation desprit
quune affirmation clairement énoncée. Ceux qui
sen réclament en ont des approches différentes.
Doù ma préférence à parler de mouvance
dualiste plutôt que de dualisme. Le dualisme est lune
des réponses théologiques possible à linterpellation
du Mal. Pourquoi le Mal?
Doù vient-il ? comment concevoir quun Dieu tout-puissant
et amour le tolère ? Est-il plausible et convaincant de dire
que le Mal nest que la résultante des fautes des hommes,
donc de leur liberté , Les dualistes ont en commun que les
réponses classiques aux questions si dessus posées ne
les satisfont pas.
Le débat entre Monisme et Dualisme (ou : amorce de Dualisme),
je le trouve déjà chez Job.
Avec dune part, lhypothèse dun dieu méchant
:
- - Est-ce que Dieu a du souci pour les hommes? (ch. 3)
- - Les amis de Job disent que Dieu fait souffrir pour éduquer,
pour corriger (ch.5) ; Job trouve ce Dieu-éducateur trop
sévère (Ai-je péché, quest-ce
que cela te fait espion de lhomme ?7/20),
- - Si Dieu est absent au jour de lépreuve (9/11),
cest quil manque de franchise (10/13),
- - Dieu est obsédé par la faute de lhomme
: il faut que je sois coupable 9/29,
- -Il est contre lhomme (ch. 10) ; il ressemble à
un fauve cruel, un briseur de crâne (ch. 16).
- Et avec ensuite le début dun dédoublement
(pré-évangélique ?) de lidée de
Dieu :
- - appel à Dieu contre Dieu : Ah ! sil
existait entre nous (entre Job et Dieu) un arbitre ! 9/33 ; Quil
(le Dieu de mes larmes) défende lhomme contre Dieu
16/21,
- - que Dieu (le Dieu que jinvoque) soit lui-même garant
de Job auprès de la première idée quil
avait de Dieu (17/3),
- - la victoire de ce Dieu là (défenseur de lhomme)
est entrevue en 19/25-26.
A cause de ce débat, Job est pour moi totalement messianique
!
Dans notre réflexion il faudrait aussi et surtout verser
au dossier le Concept de Dieu après Auschwitz par le philosophe
juif-allemand Hans Jonas (Trad. Fr. 1994).
Michel
Jas
Dans son article dEvangile
et Liberté de février 2000, M. Jas dédouane
le dualisme en ce quil sacrifie la toute-puissance de Dieu à
son infinie Bonté (son Amour), les deux termes nétant
pas logiquement compatibles face à lexistence du mal
(contradiction évoquée dramatiquement dans le Livre
de Job) et il invite notamment à méditer sur le Concept
de Dieu après Auschwitz de Hans Jonas, ce qui pourrait porter
à croire que Jonas se situe dans une mouvance dualiste. Cela
ne serait pas exact. Si pour Jonas en effet, la toute-puissance divine
doit céder devant la Bonté ou lAmour de Dieu,
il ne sen tient pas moins à un strict monothéïsme,
récusant une théologie dun double Dieu,
inacceptable pour le Judaïsme (et selon moi, également
pour le Christianisme).
Jonas souligne que
- par le simple fait dadmettre la liberté humaine,
Dieu se dépouille de sa toute-puissance ;
- se référant à lidée de la kabbale
du Tsimtsoum (retrait, auto limitation) du Créateur
pour faire place au monde, Jonas soutient le renoncement de la puissance
du Dieu créateur afin que nous puissions être, afin quadvienne
laltérité des créatures. Ainsi, par lacte
de création, Dieu se serait lui-même privé de
la possibilité dintervenir. Cependant la relation à
la divinité ne disparaît pas dans cette analyse
Renonçant, dit Jonas, à sa propre invulnérabilité,
le fondement éternel a permis au monde dêtre (
)
Dieu, après sêtre entièrement donné
dans le monde en devenir, na plus rien à offrir : cest
maintenant à lhomme de lui donner. Et il peut le faire
en veillant à ce que, dans les cheminements de sa vie, narrive
pas ou narrive pas trop souvent, et pas à cause de lui,
lhomme, que Dieu puisse regretter davoir laissé
devenir le monde.
Il ma semblé utile dapporter cette mise au point
afin déviter toute ambiguité.
Christiane Curtil, Paris