Je vous exhorte donc, frères, au
nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes
en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce
sera là votre culte raisonnable.
Nous sommes, avec ce verset, à
une charnière au milieu de l'épître. Avant, Paul
traite des grands problèmes théologiques. Après,
l'apôtre passe à des recommandations éthiques
; il y développe l'exigence de l'amour de l'autre, ami ou ennemi,
la protection des plus petits et des plus faibles.
Et pour lier ces deux parties magistrales, les chrétiens
de Rome sont exhortés à s'offrir en sacrifice vivant,
saint et agréable à Dieu, car c'est là leur culte
raisonnable.
Nous sommes aussi à la charnière entre deux cultures.
L'ancienne, juive et grecque, et la nouvelle, chrétienne. Car
pour être agréable à Dieu, il n'y a plus de bétail
à sacrifier, mais c'est le chrétien tout entier qui
doit devenir l'objet du sacrifice en offrant sa personne elle-même.
Paul est ici assez rationnel : Qu'est ce que ça peut bien faire
à Dieu qu'on lui offre du bétail ? C'est de l'engagement
de tout le corps du chrétien dont il a besoin. Paul se rappelle
peut-être le prophète Osée qui écrit :
"Je prends plaisir à la miséricorde et non au sacrifice".
C'est ce qu'Albert Schweitzer avait bien compris en offrant toute
sa vie pour les plus déshérités. Il écrivait
"La conscience intense de mes privilèges me fit comprendre
que nous n'avons pas le droit de garder notre vie pour nous. Celui
qui a été comblé de bienfaits dans la vie est
tenu d'en répondre et dans la même mesure".
Car le sacrifice réclamé par Paul est vivant. Ce n'est
plus, comme chez les anciens, un sacrifice de mort. Dieu est le Dieu
des vivants. C'est toute l'organisation de notre vie qui est appelée
à devenir un sacrifice vivant.
Dans la pensée de l'apôtre, le culte n'est plus représenté
par les deux heures consacrées à Dieu, chaque semaine,
dans un temple. Il est un art de renoncer pour aimer ; art qu'il développe
dans la suite de sa lettre ; un art de se soucier des malades, des
humbles, de ceux qui ont besoin de secours. C'est là le nouveau
culte, raisonnable, logique, comme l'a si bien montré Jésus
lui-même.
Le courage de Paul, c'est d'avoir exhorté ses contemporains
à quitter la Loi, le Temple, le culte, les sacrifices d'animaux
et tous les rituels ancestraux défendus par l'institution sadducéenne
et de s'être retrouvé dans la rue, sur les routes dangereuses
et les mers démontées pour prêcher la résurrection
qui est cette vie nouvelle, ce Royaume nouveau, où le prochain
est aimé, le malade visité, le malheureux consolé.
Royaume imaginaire, Royaume de l'utopie. Mais, comme disait André
Gide, c'est par la porte étroite de l'utopie que l'on entre
dans la réalité bienfaisante.
Henri
Persoz