Pèlerinage et lieux saints
A Jérusalem, il y a le Saint Sépulcre - que se disputent
âprement plusieurs ordres religieux - et le Jardin de la Tombe.
Les spécialistes en questions religieuses s'accordent à
reconnaître que la Via Dolorosa et son chemin de Croix ont peu
de probabilités d'être l'itinéraire où
Jésus et Simon de Cyrène portèrent la Croix.
L'église de la Nativité à Béthléem
est également la propriété de plusieurs ordres
religieux concurrents : mais Jésus est-il seulement né
à Béthléem ?La tradition a fixé à
Tabga le lieu de la multiplication des pains. Or, les Itinéraires
Bibliques, édités par le Cerf, disent que cette multiplication
des pains eut lieu sur la rive orientale du lac de Tibériade,
mais que la tradition fixa cet événement sur la rive
occidentale "pour éviter aux pèlerins un surcroît
de fatigue !" La politique de l'occupation chrétienne
des lieux se poursuivit à l'instar de ces calvaires ou de ces
madones que l'on édifie chez nous au-dessus de nos villages
et de nos bourgs. Il en est ainsi de la nouvelle basilique de Capernaüm,
édifiée sur le lieu présumé de la maison
de Pierre, aussi peu esthétique que la plupart de toutes celles
qui ont été construites précédemment.
C'est encore le cas de l'église de l'Annonciation à
Nazareth, cette malheureuse excroissance qui jure dans l'environnement,
alors que les chrétiens s'indignent de ce que les musulmans,
localement majoritaires, réclament eux aussi une grande mosquée
!
Cela dit, les pèlerinages de tous ordres et de toutes origines
géographiques fleurissent. Pour notre seul pays, indépendamment
des initiatives paroissiales et diocésaines, le seul organisme
Routes Bibliques programme pour cette année seize pèlerinages
en Terre Sainte.
Le retour aux sources de notre foi : enracinement ou déviances
?
Je ne suis nullement opposé aux retours aux sources. Moi-même,
j'organise régulièrement des voyages en Israël
- Palestine. On y privilégie les sites liés aux récits
bibliques, à l'exclusion des basiliques et autres lieux saints
pour touristes qui invitent à la piété populaire
plus qu'au recueillement. On y évite le "trop de religieux".
Ensuite, et ensuite seulement, on y consacre un temps de méditation
personnelle dans le désert. L'information sur les problèmes
locaux et la rencontre d'autochtones y occupent une place importante.
Tout retour aux sources - le retour aux sources de notre foi, de
notre enfance ou de notre personnalité - nous interpelle sur
ce que nous vivons et ce que nous cherchons. C'est pourquoi j'ai peur
que trop de pèlerinages passent à côté
de l'essentiel. J'en veux deux exemples.
En 1987, avant le début de l'Intifada, j'étais avec
un groupe oecuménique à Jérusalem. Le groupe
accorda beaucoup d'importance à la piscine de Siloé
où Jésus guérit un aveugle. Mais lorsque je suggérais
d'aller dans le village voisin de Siloé, seule trois ou quatre
personnes me suivirent. Nous y fumes entourés et suivis par
d'adorables petites têtes brunes, souriantes, nous faisant de
grands gestes d'amitié : "Salem ! Salem !". Ce fut
ensuite un accueil princier chez l'un des habitants du village. Il
fallait boire. Il fallait manger, alors que nos pauvres mots ne nous
permettaient pas de traduire ce qui se vivait intensément entre
nous, puisqu'aucun de nous ne parlait l'arabe.
Siloé, toi dont les eaux ont eu le pouvoir de clarifier la
vue d'un aveugle, que nous offres-tu en priorité ? Est-ce la
piscine du temps biblique vers laquelle tous les pèlerins vont
ou cette population de sourire et d'accueil au sens le plus authentique
du terme ?
Cette année, je viens de réitérer la même
expérience. Notre périple palestinien s'est terminé
par vingt quatre heures à Gaza. Ceux qui nous y attendaient
comme la population dans la rue n'étaient que gentillesse à
notre égard. Notre petit groupe avait créé l'événement
: nous étions le premier groupe étranger ayant passé
une nuit à Gaza !
Pourquoi ce déferlement de pèlerins au Saint Sépulcre
dans l'ignorance de la réalité palestinienne ! Est-ce
auprès d'un hypothétique tombeau que l'on rencontre
Jésus aujourd'hui ?Je sais : certains justifient leur absence
à Gaza et en d'autres lieux palestiniens par un souci de sécurité.
Or, à Gaza, il y a bien des lieux à risques intermittents.
Mais ils sont bien circonscrits. Ils se situent autour des inadmissibles
colonies israéliennes.
Pierre-Jean
Ruff