Un critique de films posait récemment,
depuis le Festival de Venise, cette question: Que peut, que
doit le Cinéma face à la souffrance, linjustice,
la cruauté ? (Le Monde 6/9/01). Il redoutait un renfermement
du Cinéma sur lui-même comme réplique à
la glaciation du monde. Nous connaissons ces replis cinématographiques
sur lintimisme, le maniérisme, la bêtise ou lennui.
Mais Dieu merci il y a encore de bons films en cette fin dannée,
qui nhésitent pas précisément à
dénoncer ces menaces de glaciation. Notre journaliste cite
lEmploi du Temps où Laurent Cantet fustige avec sa fine
maîtrise linjustice sociale.On pourrait citer aussi No
mans Land où Danis Tanovic condamne la haine ethnique
avec un humour décapant ou encore La Chambre des officiers
où François Dupeyron accuse les blessures de la guerre
avec tendresse. Car le procès du Mal ne se décline pas
forcémment à travers linvective, la violence,
la noirceur et la laideur.
Un éclatant exemple de cette thèse me parait être
fourni par le film qua distingué cette année le
Jury cuménique du festival de Cannes (dont je nai
jamais prétendu être le Président mais que je
défends) : KANDAHAR*. Éclatant de couleurs et de grands
espaces pour stigmatiser le pays le plus glacé et le plus verrouillé
qui soit au monde : lAfghanistan. Dans cette prison maudite
des femmes interdites, une femme entre clandestinement. Jai
envie décrire La Femme. Elle sappelle Nafas ce
qui semble correspondre au terme hébreu nephesh de Genèse
1/30 qui signifie respiration, souffle de vie, âme. Elle respire
effectivement la beauté, la liberté, la vie, la féminité.
Son projet est de pouvoir apporter à sa sur aux bords
du suicide des paroles despérance. Elle côtoie,
dans un décor de carte postale, létouffement dun
peuple. On peut sétonner que les dunes quelle traverse
soient si douces ou que ces femmes afghanes qui se rendent à
un mariage forment un cortège si pictural et coloré.
Mais la seule vengeance de ces fantômes nest-elle pas
de pouvoir rêver à travers leur grille de cette douceur
et de donner parfois au linceul qui recouvre leur visage les couleurs
de la fête ? Nest-ce pas ce qua voulu nous dire
Mohsen Makhmalbaf ? On peut également regretter cette étonnante
chorégraphie très mise-en-scène dunijambistes,
victimes de mines anti-personnel courant après des béquilles
tombées du ciel, mais nest-ce pas pour stigmatiser le
côté tragique et grotesque de cette aide internationale
? Nafas, heureusement, rencontrera un étrange médecin
américain venu chercher là un Dieu exigeant pour ny
découvrir que lhypocrisie et labsurdité
des hommes. Mais elle échouera dans son projet. Si ce personnage
représente à lui seul une parabole despérance
comme le déclarait le communiqué du Jury, le film lui,
est désespéré, qui souvre et ferme symboliquement
sur une éclipse du soleil, ce soleil qui est refusé
à la femme afghane ensevelie dans sa nuit. Par linsolente
beauté de ses images, Kandahar est un inconfortable réquisitoire
contre ce que Mahkmalbaf décrit lui-même dans un livre
à paraître comme Un pays sans image.
On peut évidemment sinquiéter du fait que des
chrétiens aient décerné un prix à ce beau
cri de rage impuissante. Mais ne peut-on pas parfois, au nom de lÉvangile
du Christ crucifié, crier notre refus, sans apporter obligatoirement
une consolation ?