Les récits fondateurs
du livre de la Genèse tendent à séparer complètement
lhumanité de lanimal. Un jour de la création
lui est exclusivement consacré, marquant ainsi la rupture entre
lanimal et lhumain. De plus, non seulement lespèce
humaine apparaît la dernière, mais encore est-elle appelée
à dominer les autres espèces qui ne semblent exister que
pour lui fournir vêtement ou matière première.
Mais ne peut-on au contraire envisager dautres
situations ?
Quand Jenner inventa son traitement contre la variole
il y a deux siècles, la possibilité dun traitement
nouveau fut saluée et son inventeur couvert dhonneurs,
en même temps quil fut vilipendé pour mélanger
lhumain et lanimal en inoculant au malade un produit animal,
quon appela dailleurs vaccin pour en souligner lorigine.
Certains imaginaient déjà que lindividu allait ainsi
devenir une chimère, association dhumain et danimal.
Aujourdhui, le nombre dorganes disponibles
étant bien inférieur aux besoins de transplantations,
certains nhésitent pas à chercher les possibilités
de transplantation dorganes dorigine animale en cherchant
les modifications génétiques qui pourraient rendre ces
organes animaux compatibles avec le corps humain. Dautres, au
contraire, comme du temps de Jenner, sy refusent par principe
et ne peuvent imaginer que des transplantations dorganes complètement
artificiels ; des essais ont déjà été menés
de curs artificiels et de « sang » ou de cristallins
synthétiques.
Si ces réticences peuvent trouver leur légitimité
dans une lecture scrupuleuse du texte biblique, voire dans un grand
respect de lanimal, peut-être expriment-elles en réalité
une angoisse très profonde. Angoisse provenant de la constatation,
somme toute assez banale, que lespèce humaine est une espèce
animale comme tant dautres. La conscience individuelle que chacun
a de lui-même nest sans doute pas lexclusivité
de lespèce, comme semblent le montrer des expériences
récentes avec des grands singes, et comme en donne souvent limpression
la compagnie dun chien ou dun chat. Alors la disparition
dun individu de lespèce humaine naurait peut-être
pas plus dimportance pour lavenir du cosmos que celle dun
quelconque animal. Ou au contraire la disparition dun animal aurait-elle
autant dimportance que celle dun être humain...
Jean-Claude
Deroche