L'une des plus étranges
évolutions de la langue française est la diminution du
pluriel ; à tel point que lon parle de pensée unique.
Presque rien néchappe à cette évolution.
Prenez la politique par exemple : exit la « gauche plurielle »,
voici « lunification de la gauche » même si
la réalité est tout autre ; adieu les partis de droite,
vive « lunion pour UN mouvement populaire ». Ce processus
de singularisation des pluriels est peut-être le dernier avatar
de la modernité. Na-t-on pas mis en place le « collège
unique », LA laïcité, LA République, LE certificat
détudes,
? Ce processus est dautant plus important
que notre France (tiens, un singulier !) est jacobine et centralisatrice.
Noublions jamais que la langue française a été
imposée par la force dans toutes les régions. Mais à
cette unification de la modernité, on est en train dajouter
le rêve syncrétiste. Jespérais, voici quelques
années, que la rencontre des cultures musicales du monde allait
donner lieu à une diversification des sons et des inspirations.
Mon rêve a été brisé sur lautel de
la Star Academy et autre formatage réducteur de la culture.
La philosophie du XXe siècle a été
marquée, entre autres, par la remise en cause des systèmes
de pensée globale, qui rendait compte de tout. La pensée
sest donc parcellisée, morcelée. Sans doute laissait-elle
alors les explorations de traverse, les pensées plus originales
se développer. Mais la peur de ne pas tout maîtriser a
été la plus forte. On a alors préféré
le « lieu commun » rassurant à laventure de
la raison. Nos discours sont devenus tellement pauvres, mais tellement
rassurants ! La force de conviction est devenue le critère de
validité dun discours. La vérité sest
effacée devant lauthenticité. Mais cest sans
doute un voile fragile posé sur un réel qui demeure complexe
et pluriel.
Le monde théologique et ecclésial néchappe
pas à la règle. Lcuménisme est clairement
conçu comme une volonté dunification du christianisme,
au lieu dêtre un nécessaire dialogue qui nourrit
les diversités. La mode est aussi à « la théologie
biblique », oubliant dun trait de plume que le mot de «
Bible » est un pluriel : « les livres », en grec.
La diversité des pensées laisse la place à la tiédeur
mollassonne du consensus mou. Nos synodes nont plus quun
but : que tout le monde soit daccord, en prenant le risque de
ne plus dire grand chose
Je préfère une démocratie et une
Église où lon vit, selon la formule de Ricur,
le « conflit des interprétations », à celles
où lon sappauvrit en refusant les pluriels. Nous
sommes chacun des singularités, mais nous conjuguons nos vies
au pluriel.
Heureusement, un domaine a échappé à
cette évolution : LES vacanceS ! Alors, dernier espace de nos
libertés ? Dernier refuge de nos diversités dexistence
? Peut-être
Jean-Marie
de Bourqueney