Florence
Taubmann : Le baháisme est dactualité.
Les dangers qui menacent les baháis dIran ont fait
lobjet dune déclaration de lONU au mois de
mars. Que se passe-t-il exactement ?
Brenda Abrar : Le baháisme
est persécuté depuis sa naissance
et de manière
systématique depuis la révolution islamiste de 1979. Mais
depuis lélection dAhmadinedjad on note une intensification
: articles de diffamation, recensement et fichage
F.T. : Nen va-t-il pas de même pour les autres
minorités religieuses en Iran ?
B.A. : Non, contrairement à la foi baháie,
les trois autres minorités religieuses sont reconnues par la
Constitution iranienne, et même la République islamique
na pas remis cela en cause. Il sagit du Judaïsme, implanté
depuis lantiquité, des zoroastriens qui représentent
lancienne religion perse de Zarathoustra, et des chrétiens.
À eux trois, ils sont beaucoup moins nombreux que les baháis,
et sils souffrent de discrimination, leur sort nest pas
aussi menacé.
F.T. : Comment cela sexplique-t-il ?
B.A. : Judaïsme, zoroastrisme et christianisme sont
antérieurs à lIslam et leurs communautés,
très anciennes, sont acceptées. En revanche, le baháisme
est né après lIslam en réaction à
la décadence de la société persane du XIXe siècle
: les abus de pouvoir du clergé, les injustices, mais aussi les
effets pervers de la doctrine du taghieh. Cette doctrine justifie la
dissimulation dans un contexte de persécution, et elle a généré
dans le shiisme iranien une véritable culture du secret
et du double langage. Au contraire, Baháullah, fondateur
du baháisme, a instauré une morale de la transparence,
une foi sans clergé, la liberté de la conscience personnelle
et légalité entre lhomme et la femme
F.T. : On peut comprendre quun pouvoir théocratique
se sente menacé dans son essence par ce qui apparaît comme
vraiment « révolutionnaire » sur le plan religieux
et culturel. Mais y a-t-il une contestation dordre politique chez
les baháis ?
B.A. : Non. Les baháis font preuve dun
grand loyalisme politique, la limite étant toute atteinte à
la liberté de conscience. Ce qui rend leur existence difficile
en Iran, cest que la Constitution islamique est fondée
sur la velayata-faghih, cest-à-dire lautorité
spirituelle. Seule la loi divine légitime et lautorité
spirituelle et lautorité temporelle. Il ny a place
ni pour une autonomie, même interne, du politique, ni pour la
liberté de la conscience personnelle, sauf dans la dissimulation.
Et cest ce que refusent les baháis.
F.T. : Mais qui sont-ils et où vivent-ils en Iran
?
B.A. : Ce sont des Iraniens comme les autres, des Persans,
des Kurdes, des Azeris, des Arabes
dorigine juive, zoroastrienne,
chrétienne comme dorigine musulmane. Ils nont ni
revendication ethnique ni revendication territoriale, seulement la liberté
de conscience.
F.T. : Comment le baháisme sorganise-t-il
sur le plan religieux ?
B.A. : Il ny a pas de chef, pas de clergé,
mais une organisation sociale très développée.
La hiérarchie est collégiale, et lautorité
sexerce sous forme de conseils élus. Pour tous les baháis
du monde des élections ont lieu chaque année à
léchelon local et national. Et au niveau international
cest tous les 5 ans. Ces conseils sont formés de 9 personnes,
choisies par lassemblée pour leurs qualités humaines
et spirituelles. Mais les conseils nont pas dautorité
spirituelle sur les membres, leur charge consiste à gérer
les affaires de chaque communauté.
F.T. : Et comment se vit la spiritualité communau--taire
? Avez-vous des cultes ?
B.A. : Les communautés ne sont pas des Églises.
Et les assemblées ressemblent plutôt à des réunions
familières quà des assemblées cultuelles.
Le baháisme met laccent sur la prière et lédification
personnelles. La communauté se réunit chaque mois, sachant
que le calendrier bahái connaît sur lannée
19 mois de 19 jours et que le nouvel an est le 21 mars. Au cours de
chaque réunion se succèdent trois moments : dabord
la lecture des écrits saints qui peuvent être aussi bien
la Bible, le Coran, la Bhagavad Gîta ou des textes mazdéens,
et qui sont accompagnés de prières, puis une partie administrative
qui traite des problèmes de la communauté, des projets
tout cela donnant lieu à un débat et à un vote,
et enfin la partie sociale qui consiste à manger ensemble
Des grandes lignes spirituelles sont proposées par le niveau
international, depuis le centre du baháisme qui se situe
à Haïfa, en Israël où est le tombeau
de Baháullah. Et actuellement ces grandes lignes
visent la transformation personnelle de lindividu, son approfondissement
spirituel. Dans ce sens nous sommes encouragés à développer
les cours pour les enfants, et à les ouvrir à tout le
monde
F.T. Le baháisme fait donc du prosélytisme
?
B.A. : Non, car toutes les religions sont respectées
et encouragées dans ce quelles ont de meilleur et qui va
dans le sens de lunité du genre humain et de la paix sur
terre. Mais cest vrai quil y a une éducation baháie
et un témoignage dans le monde. La foi nest pas seulement
un sentiment personnel ne concernant que soi.
F.T. : Sur le plan religieux peut-on parler de syncrétisme
?
B.A. : Une conviction baháie est que Dieu
est en dialogue infini avec les humains, et quil se révèle
à lhumanité de manière progressive. Donc
aucune vision exclusive de la vérité nest possible
La foi baháie est encore dans lenfance : 163 ans
dexistence seulement. À laune du temps des religions
et des civilisations, cest peu... Un syncrétisme, cest
une fabrication humaine : aussi belle quelle soit, il ny
a pas de souffle de vie en elle. Peut-on dire cela de la foi baháie
? Les baháis ne le croient pas et la résistance
des baháis dIran en témoigne à mon
avis. Mais, seule lhistoire pourra le confirmer...
F.T. : Sagit-il de relativisme ?
B.A. : Je préfère employer le mot relativité,
relativité de la vérité religieuse, car le relativisme
actuel semble aplatir les valeurs. Or la foi baháie est
très exigeante sur les valeurs quelle prône et partage
avec dautres : le respect de lhumain, de la vie, le souci
de la nature et de la création, légalité
de lhomme et de la femme, le développement spirituel de
lhumanité, sa capacité à grandir
à
pratiquer davantage les vertus.
F.T. : Que peut-on faire aujourdhui pour la minorité
baháie dIran ?
B.A. : Écrire des articles, des lettres, manifester
son soutien aux communautés françaises qui retransmettront
On ne simagine pas limportance morale de toutes les marques
de sympathie. Et elles sont aujourdhui nombreuses, ce qui permet
de résister au danger et à la répression.
F.T. : Pour finir Brenda, une question personnelle :
doù vous vient le baháisme ? Où va-t-il
après vous ?
B.A. : Il me vient dun aïeul, fabricant de
soie à Milan, village de lAzerbaïdjan iranien, qui
sest converti dès le début
Et mon mari et
moi le transmettons à nos filles, sachant que le choix personnel,
qui se fait à lâge de 15 ans, ne peut résulter
que de la liberté de conscience
Contact : Brenda Abrar
Infos : www.bahai.fr