Les
évangiles ont eu les honneurs de la presse cette semaine, avec
une page du journal Le Monde, des émissions de radio, de télévision,
avec la très sérieuse revue américaine National
Géographic qui a spécialement créé un site
internet pour cela, et tient une exposition cette semaine à
Washington.
L'événement c'est la révélation, jeudi
dernier, d'un "évangile perdu" : l'Évangile
de Judas, dont on a retrouvé une copie dans des fouilles archéologiques.
On avait déjà entendu parler de ce texte par Irénée,
un théologien qui a vécu à Lyon au IIe siècle.
Ce texte que l'on a retrouvé est donc très ancien, presque
aussi ancien que nos évangiles. (voir
le texte en anglais)
Nous aimons vraiment les évangiles, parce que ceux de Matthieu,
Marc, Luc et Jean nous apportent énormément, pour notre
réflexion et notre foi en Dieu, grâce à Jésus-Christ,
ses paroles, ses actes. Alors quand on nous annonce qu'on a trouvé
un nouvel Évangile, on espère recevoir un texte aussi
formidable que ces quatre-là. Après tout, ce n'est pas
impossible, Jésus a eu pas mal d'homme et de femmes qui l'ont
suivi pendant ces 3 dernières années. Mais ne vous réjouissez
pas trop vite car cet Évangile de Judas que l'on a retrouvé,
et qui est publié à grand bruit cette semaine, n'est pas
comme ça. Il a Jésus-Christ pour centre, c'est vrai, mais
il est aussi fortement influencé par la philosophie gnostique,
qui n'est pas du tout celle de Jésus ni celle de la Bible, mais
qui est inspirée des anciennes religions égyptiennes.
Selon cet Évangile redécouvert la semaine dernière
par le public, Judas serait un héros, et il aurait obéit
à Jésus en le livrant aux autorités romaines. Judas
serait le plus proche et le plus avancé des apôtres, Jésus
lui aurait révélé plus de choses qu'aux autres,
et il lui aurait finalement confié cette triste mission de le
trahir, afin que Jésus puisse ainsi sauver humanité. Sur
les événements principaux, les Égyptiens qui ont
écrit ce texte sont donc d'accord avec les autres évangiles.
Jésus a bien quelque chose à voir avec le salut de l'humanité,
il a bien été trahi par un des 12 apôtres qui l'a
vendu aux autorités romaines qui ont alors exécuté
Jésus.
Mais il y a des différences essentielles entre l'Évangile
de Judas et nos 4 Évangiles.
Dans cet Évangile selon Judas, Jésus demande à
Judas de l'aider à se faire tuer parce que selon ce texte, la
vie sur terre ne serait pas une bonne chose, notre corps, notre vie
sur terre serait comme une prison pour notre âme. Et c'est pour
ça que Jésus compte sur Judas, pour qu'il le vende aux
Romains, qu'il soit tué, et qu'il soit ainsi libéré
de son corps.
Cette philosophie n'est pas du tout la pensée de la Bible,
et encore moins celle de Jésus. La vie sur terre est une excellente
chose, et Jésus ne veut pas mourir. Il préférerait
continuer à vivre, bien sûr, mais il est prêt à
aller jusqu'au bout pour montrer l'amour de Dieu pour l'humanité.
Judas, selon cet Évangile retrouvé, serait un héros
qui aurait obéi à Jésus en le donnant aux Romains.
C'est un peu une drôle d'idée, mais pourquoi pas après
tout. Regardons ce que l'on dit de Judas dans les autres Évangiles,
pour rechercher ce qui est dit, et ce que cela peut nous apprendre pour
la vie, la nôtre, et le salut que Dieu nous donne en Christ.
Et bien, quand on regarde de près nos 4 Évangiles, ils
sont tous d'accord sur les événements concernant Judas
qui trahit contre de l'argent, et l'arrestation puis l'exécution
de Jésus. Mais Matthieu, Marc, Luc et Jean tirent de ces mêmes
événements historiques des prédications différentes,
mais toutes essentielles.
Commençons par l'Évangile selon Jean.
C'est le plus négatif contre
Judas. Loin d'être un héros, il a toujours été
le type même de la personne pleine de haine contre les autres,
Jean nous dit que Judas volait dans la caisse que Jésus avait
pour aider les pauvres (Jean 12:4) et que Jésus savait très
bien qu'il était méchant : “ Jésus dit aux
apôtres : N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les
douze ? Et l’un de vous est un diable ! Il parlait de Judas Iscariot,
fils de Simon ; car c’était lui qui devait le livrer, lui,
l’un des douze. ” (Jean 6:70-71)
Qu'est-ce que Jean nous dit à travers cette présentation
de ce qui est arrivé avec Judas ? Cela veut dire, à mon
avis, que personne, vraiment personne n'est rejeté par Dieu.
Même si nous étions le pire des Judas qui soit, même
si nous étions à 100% méchant, haineux, voleur,
échangeant le Christ contre de l'argent... Cela n'empêcherait
pas Dieu de s'intéresser à nous, de nous appeler, de chercher
à nous enseigner, nous aider.
Dieu sait bien que nous ne sommes pas parfaits. Judas est notre frère
à tous, même le meilleur d'entre nous est un peu diabolique
sur les bords ou de temps en temps, alors pas la peine non plus de se
moquer des autres, nous sommes comme eux, nous agissons tous plus ou
moins comme eux, et Christ s'est donné pour Judas comme pour
chacun de nous afin que nous croyons en Dieu. Et il appelle Judas, comme
il appelle chacun de nous pour que nous soyons des apôtres, allant
dans le monde pour témoigner de la Parole éternelle de
Dieu.
Jean nous dit, avec cette histoire de Judas, que Jésus assume
le fait que le Royaume progresse par une humanité imparfaite,
pécheresse, par nous, en fait.
L'Évangile selon Luc.
Il est différent sur ce point
de celui de Jean. Selon Luc, il y a un moment où le mal entre
dans le cœur de Judas et il se retourne contre Jésus, voulant
le faire mourir. Mais au début, il est dans cet évangile
un apôtre comme les autres, et effectivement, c'est déjà
assez extraordinaire comme foi, comme courage. Il est capable, comme
les autres apôtres, de tout laisser pour suivre Jésus pendant
3 ans dans les 4 coins du pays, avec les difficultés et la peur
des autorités, avec la fatigue et la faim, parfois.
Luc insiste souvent, comme ici avec Judas, sur la liberté que
Dieu nous donne. Dieu compte sur chacun, il appelle, mais n'oblige pas,
nous pouvons aussi vivre en rejetant Dieu de sa vie, comme bien des
gens. Mais nous pouvons aussi suivre Jésus et nous tourner vers
Dieu, compter sur lui, nous convertir. Et à tout moment, nous
dit ici l'exemple de Judas, nous pouvons aussi nous dé-convertir,
même si nous avons été avant une personne aussi
engagée qu'un apôtre, et laisser le mal nous envahir.
C'est ce qu'inspire à Luc la trahison de Judas, et nous voyons
ici deux exemples de raisons qui peuvent nous amener à trahir
Dieu en tuant la présence du Christ en nous et autour de nous.
La première raison c'est l'argent, comme Judas est tout content
de vendre Jésus pour 30 petites pièces d'argent. La seconde
raison qui conduit Judas à abandonner Jésus et à
vouloir sa mort, selon Luc, c'est qu'il est déçu par Jésus.
Judas espérait vraiment que Dieu sauverait Israël, mais
il espérait un Christ qui chasserait les Romains, qui établirait
la justice, la santé, la foi comme par un coup de baguette magique,
alors que Jésus parle de se tourner vers Dieu, de le prier, d'aller
vers les pécheurs et de témoigner de Dieu... Pour Judas,
cela ne va pas, Jésus ne correspond pas à ses idées,
et il perd foi en Jésus. Malheureusement, je connais des gens
à qui cela arrive, et qui perdent la foi alors qu'ils étaient
auparavant très engagés.
Finalement ces deux raisons reviennent au même. Judas aurait
abandonné Jésus car il s'aimait lui-même plus que
Dieu, aimer son argent plus que le Christ, c'est le tuer, aimer sa propre
religion plus que le Christ, c'est le tuer et c'est mourir soi-même
d'une certaine façon, comme Judas meurt à la fin.
Jean et Luc ne font donc pas la même interprétation de
la trahison de Judas, mais tous les deux nous donne une prédication
essentielle à cette occasion. Jean nous dit la grâce de
Dieu, Luc nous appelle à nous convertir et à continuer
à veiller et prier par la suite, pour rester fidèle.
Les Évangiles selon Matthieu et Marc.
Dans un sens, ils ont les plus proches
de l'Évangile selon Judas, car ils ne disent pas vraiment de
mal de Judas. C'est le récit que je vous ai lu tout à
l'heure. Jésus appelle Judas "mon ami" et il lui dit
: “ Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le ”, avant d'expliquer
aux autres apôtres qu'il faut bien que ça se passe comme
ça, afin que les prophéties de la Bible soient accomplies
”. (Matthieu 26:47-56)
Selon Matthieu, Judas se suicide à la fin, parce qu'il est
catastrophé de voir Jésus condamné par les autorités.
Judas ne regrette pas d'avoir aidé les soldats à mettre
la main sur Jésus, mais ce qu'il regrette c'est que les choses
tournent autrement que ce qu'il espérait.
Luc et Jean disent que Judas est le diable ou qu'il devient diabolique.
Mais Matthieu ne dit pas cela, il dit que Judas est celui qui a "livré"
Jésus. Ce verbe est très neutre, il peut être compris
en bien ou en mal. Rien n'empêche, selon cet Évangile,
que Judas ait eu une bonne intention de conduire les autorités
à Jésus. Il savait qu'ils voulaient le tuer, bien sûr,
mais il espérait peut-être que quand Jésus serait
entendu par les autorités, ils comprendraient enfin que Jésus
est bien le Christ, le fils de Dieu. Et à la fin, il va prendre
la défense de Jésus, seul contre tous.
Quelle prédication, quelle idée nous propose Matthieu
ainsi à l'occasion de l'événement de la trahison
de Judas ?
Le tort de Judas, dans cette histoire, c'est de ne pas avoir compris
que c'était inévitable que Jésus et son message
soit haï, maltraité par les méchants, car le mal
a horreur du bien. Avec Judas, avec Jésus lui-même, on
peut au contraire se lancer avec courage, même si ce n'est pas
facile, et annoncer à tous, quels qu'ils soient, l'Évangile,
le Christ, la grâce de Dieu. Bien souvent, nous ne serons pas
compris et l'évangile sera ridiculisé, piétiné,
et parfois nous avec. Ce n'est pas forcément notre faute si notre
témoignage rate, peut-être, mais pas forcément.
Notre mission, ce n'est pas de vendre le Christ, comme Judas (chez
nous, il n'y a pas la plus petite pièce d'argent à donner
obligatoirement pour quoi que ce soit), mais simplement de le donner
avec courage, tant pis si ça ne donne rien, de le donner même
aux méchants, ou à ceux qui n'en ont rien à faire,
à ceux qui lui veulent du mal... de l'annoncer à tous
ces gens, c'est ensuite à Dieu de voir ce qu'il pourra en faire.
Dieu peut faire germer la vie sur les pires échecs. Après
la mort du Christ, il y a eu la résurrection.
Les autres "Évangiles"
Et par rapport à ces 4 magnifiques
évangiles, je ne vois vraiment pas ce qu'apporte l'Évangile
selon Judas, pas plus que les autres évangiles que nous connaissons
et qui n'ont pas été retenus par nos ancêtres dans
ce best-of qu'est la Bible : l'Évangile de Barnabé, l'Évangile
de Gamaliel, l'Évangile de Marie-Madeleine, l'Évangile
de Philippe, l'Évangile de Pierre, l'Évangile de Thomas,
et quelques autres...
Il est bien probable que l'Esprit de Dieu ait soufflé pour
réunir le meilleur dans notre Bible, le meilleur pour nous faire
avancer sur ce chemin qu'est le Christ, chemin vers le Père et
vers la vie éternelle.
Marc Pernot
pasteur à l'Êglise Réformée de Nancy