La
mort de l’abbé Pierre a suscité en France et bien
au-delà une immense émotion. En hiver 1954, il avait soulevé,
par une parole forte et immensément sincère, un élan
de générosité pour celles et ceux qui mouraient
de froid dans les rues. Il réclamait déjà ce «
droit au logement » dont les politiques veulent traduire enfin
aujourd’hui la vérité dans une loi. Il y a quelque
chose de triste et d’infiniment mélancolique, dans un certain
sens, à constater qu’après près de 60 ans
de combats, les luttes de l’abbé Pierre restent hélas
d’une terrible actualité. Comme si rien n’avait véritablement
changé. Devant les misères tenaces et les maux apparemment
invincibles de nos sociétés, devant nos capitulations
et nos silences plus ou moins complices, l’abbé Pierre a
écrit un jour :« Je crois que l’Eternel est Amour
quand même, que nous sommes aimés quand même et que
nous sommes libres quand même. »
Quand même ! Ces deux mots sont ceux par lesquels le
pasteur Wilfred Monod (1867-1943), pionnier du mouvement du Christianisme
social, définissait la foi, une foi vécue malgré
les démentis de l’histoire, les échecs et les souffrances
injustes. La foi dit oui en dépit de tout ce qui nous pousse
à dire non, elle est le refus d’un refus ; le croyant reste
envers et contre tout un candidat obstiné à la victoire.
L’Éternel lui-même, pour Monod, est un quand même
puisque, disait-il, il est le Dieu de « l’impossible et de
la délivrance ». Tel fut bien le Dieu de l’abbé
Pierre. Tel est le nôtre.
Ce qui me frappe, c’est cette véritable incarnation d’un
christianisme toujours à la fois spirituel et social qu’a
été la vie de l’abbé Pierre. Il a été
et reste pour nous l’illustration de cette vérité
duelle. Et c’est en cela qu’il dépasse nos frontières
ecclésiastiques et religieuses : les actions, l’amour du
prochain, la rencontre et l’accueil des démunis unissent
croyants et incroyants, chrétiens et témoins de toutes
les religions par-delà les institutions, les doctrines ou les
cultes. L’œcuménisme, c’est d’abord cette
religion vécue concrètement ; elle unit les « pratiquants
», comme on dit, c’est-à-dire ceux qui mettent l’Evangile
en pratique. Emmaüs ! Voilà un mot ancré dans
une des plus belles pages des évangiles (Luc 24) ! Il est significatif
que Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et président
du Conseil français du culte musulman, ait salué en l’abbé
Pierre, et cela avec « un profond respect », comme il a
tenu à le souligner, un « homme de Dieu ».
Laurent
Gagnebin