Ouverture et Actualité
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Julia
Film franco-américain d'Erick Zonca avec Tilda Swinton, Saul
Rubinek, Kate del Castillo, Aidan Gould. Durée : 2 h 20.
Dans un bar enfumé de Los
Angeles, des hommes d’affaires éméchés n’ont
d’yeux que pour Julia (Tilda Swinton), une femme d’environ
quarante ans, aux yeux embués d’alcool, qui titube et
parle fort. Alcoolique, elle a perdu son travail et poursuit sa descente
aux enfers en ne s’intéressant à rien ni à
personne, en couchant avec n’importe qui pour payer ses dettes.
Le matin, elle soigne sa gueule de bois et ses difficultés
à s’exprimer avec de grandes rasades de vodka tonic.
Au cours d’une réunion des Alcooliques
Anonymes, elle rencontre Elena, une mégalomane illuminée,
peu fiable, qui lui raconte que son fils est retenu par son grand-père
milliardaire. Elle a besoin d'une complice pour le récupérer
et propose à Julia une curieuse association : kidnapper l’enfant
contre de l’argent. Dans son esprit imbibé d’alcool,
la perspective de rembourser ses dettes et de pouvoir ensuite boire
sans contrainte, amène Julia à accepter. Elle s’embarque
avec l’enfant dans une cavale hasardeuse pleine de rebondissements.
C’est pour elle une fuite en avant, une escalade
de manipulations au cours desquelles elle tente d’exploiter tout
le monde sans réaliser qu’elle a la charge d’un pauvre
gosse. Elle croit pouvoir doubler son informatrice, agir masquée,
récupérer la rançon à la consigne d’une
gare avec autant de facilité que dans les thrillers… mais
elle est dépassée par les actions qu’elle initialise
et ses nombreux mensonges. La situation se retourne contre elle mais
elle s’entête et se retrouve au Mexique, dans une impasse,
cernée par des crapules qui inversent les rôles.
Le film est un road-movie dans lequel l’important
n’est pas la destination mais le voyage en lui-même qui
laisse des traces et fait que nous devenons quelqu’un d’autre.
Julia doit choisir elle-même son chemin et après de nombreuses
épreuves finit par sortir de l’aveuglement où l’alcool
l’avait plongée. Le passage de la frontière mexicaine,
lui fait prendre conscience d’une autre frontière, celle
au-delà de laquelle il n’y a pas de retour possible pour
les actes commis.
La mise en scène remarquable nous entraîne
aux côtés de l’actrice Tilda Swinton, qui joue comme
s’il en était de sa vie. En dépit de quelques longueurs,
Eric Zonka réalise une œuvre magistrale dans laquelle
tout jugement fait place à la compassion et à la tendresse.
Le spectateur se réjouit du résultat de l’influence,
reconnue par le réalisateur lui-même, de son maître
John Cassavetes dans « Gloria ». 
Pierre Nambot
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L’heure d’été
Les héritages provoquent
souvent des conflits familiaux. Que se passe-t-il pour que les relations
entre héritiers changent et se détériorent ?
La cupidité n’est pas forcément la cause fondamentale
des désaccords, le problème est plus complexe, occasionné
par des bouleversements insidieux des personnes qui n’en prennent
pas conscience. C’est ce que nous montre Olivier Assayas dans
« L’heure d’été »
Durant l’été, dans leur maison familiale
située à la campagne, dans une nature resplendissante,
Frédéric, Adrienne, Jérémie et leurs enfants
fêtent les 75 ans de leur mère, Hélène
Berthier, qui a consacré sa vie à préserver l'oeuvre
de son oncle, le peintre Paul Berthier. Hélène aimerait
bien parler de la succession mais l’ambiance est joyeuse et il
n’est pas facile d’aborder ce sujet, d’ailleurs pour
Frédéric, l’aîné, rien ne changera
!
A l’automne, Hélène meurt. Les enfants
discutent et souhaitent sauvegarder l’héritage dont ils
sont dépositaires et qui reste le symbole de la famille et
de son passé. Mais progressivement un changement se fait jour,
ils s’interrogent sur cette nouvelle situation. Leurs intérêts
divergent, Adrienne et Jérémie, qui vivent très
loin, font valoir qu’ils n’auront que rarement l’occasion
de venir ici. Jérémie a besoin d’argent pour s’installer
en Chine.
Ils doivent se rendre à l’évidence,
la décision qu’aucun d’eux n’avait envisagée
parait soudain inéluctable : tout doit être vendu. Les
épreuves commencent. La maison familiale ne sera plus pour
les générations successives le havre de paix, le lieu
de rencontres et de manifestations joyeuses. L’attachement émotionnel
place les enfants dans une situation déchirante. En outre,
ils doivent aussi se séparer de tout ce que contient cette
demeure, tableaux de maîtres, objets de valeur et sources de
souvenirs affectifs, accomplir les démarches administratives
fastidieuses : voir le notaire, faire expertiser…
La famille se trouve dépossédée
de toutes ses richesses qui changent de main et deviennent «
prisonnières et enfermées » dans le Musée
d’Orsay. La page est tournée. Les enfants gardent les
souvenirs sentimentaux mais les petits-enfants ne s’embarrassent
pas de toutes ces « histoires » !
« L’heure d’été »
est en rapport permanent avec la nature, la modernité, le temps
qui passe et qui marque la finitude de l’homme et souligne la
pérennité des œuvres et des objets. C’est
un film simple et émouvant sur la mémoire, la transmission
entre générations. De quoi héritons-nous ? Que
retenons nous de ceux qui nous ont précédé ?
Les jeunes rejettent la plus part des valeurs proposées mais
vont-ils s’affranchir de l’héritage de leurs aînés?

Pierre Nambot
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Soyez sympas rembobinez
Michel Gondry fait à nouveau
preuve d’une imagination débordante et n’hésite
pas à utiliser les artifices les plus déjantés
pour nous étonner et nous distraire.
Avec une certaine nostalgie, il nous fait découvrir
un magasin vidéo qui propose à ses clients uniquement
les bonnes vieilles cassettes VHS. Il utilise tout d’abord un
subterfuge digne de certains philosophes qui prônent la déconstruction
pour innover. Toutes les cassettes sont effacées accidentellement
par Jerry qui, ayant tenté de saboter une centrale électrique,
se trouve maintenant doté d’un pouvoir magnétique.
Cela n’arrange pas les affaires du magasin, menacé de
démolition si les travaux de réfection ne sont pas faits.
Il faut vite trouver une solution, les clients sont mécontents
et le patron peut revenir d’un moment à l’autre.
Mais, Mike, momentanément en charge du magasin et son collègue
Jerry, n’ont pas un dollar en poche pour racheter le stock détruit.
Rien n’arrête les deux comparses, ils décident de
tourner les films à leur façon. Ils se réapproprient
les personnages des grands succès d’Hollywood et les extraits
qu'ils revisitent : Men in Black, Le roi Lion, 2001, l’Odyssée
de l’espace sont un enchantement. Avec des moyens désuets
mais grâce à un sens peu commun du bricolage et de la
débrouille (des vieilles boîtes de conserve, deux boulons,
un aspirateur, une caméra pourrie…) ils refont les cassettes.
Le résultat est un bric à brac invraisemblable et pourtant
l’initiative rencontre un tel succès auprès des
habitants de la petite ville que l’ensemble de la communauté
s’investit bientôt dans le projet.
Michel Gondry crée un excellent duo : Mos Def
qui joue avec un naturel déconcertant le personnage de Mike,
sympathique mais maladroit, et l’inénarrable Jack Black
qui interprète Jerry, malchanceux et comique. Chaque dialogue
entre Jack Black et Mos Def bénéficie d'un comique de
situation irrésistible. A l’opposé Danny Glover
campe M. Fletcher, un personnage trop gentil, dont le magasin est
au bord du gouffre.
Avec cette farce de potache déjantée
et truffée de gags, le cinéaste pose un regard ironique
mais bienveillant sur ces pitres qui font preuve d’une créativité
remarquable. Il singe le cinéma savant et intellectuel qui
tente souvent d’étouffer cette inventivité hors
norme, et donc forcément dérangeante. Il milite aussi
pour les projets collectifs afin que chacun retrouve le goût
de faire les choses par lui-même et aussi avec les autres tout
en souhaitant que cet espoir puisse s’étendre à
la société dans son ensemble.
Ce film d’une très grande humanité
sera apprécié des amateurs de films ubuesques. 
Pierre Nambot
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Redacted
Film réalisé par Brian De Palma (USA) avec Kel O'Neill,
Ty Jones, Daniel Sherman , durée: 1h 30min. Il a obtenu le Lion
d’argent du meilleur réalisateur au festival de Venise 2007.
Nous savons que Brian de Palma excelle
dans la dénonciation des conflits : « …Une guerre
absurde a provoqué une tragédie absurde… ».
Après son film « Outrages » sur les exactions des
soldats américains pendant la guerre du Vietnam, que pouvait
bien faire le cinéaste pour parler de la guerre d’Irak
sans éviter les redites ?
« Redacted » est plus qu’une surprise
pour le spectateur, c’est un choc, un terrible choc d’images
plus horribles les unes que les autres mais pourtant vraies ! La caméra
DV du G.I. Salazar filme ses copains avec leurs lassitudes, leurs
détresses, leurs peurs, leurs haines et leurs folies. Un documentaire
français nous montre le travail des américains aux check
points ; le but est de sécuriser le territoire mais l’efficacité
est peu convaincante, il y a même souvent des malentendus avec
la population locale et des « bavures ». La télévision
locale relaye l’actualité mais le manque d’informations
précises induit des interrogations et des suppositions qui
accentuent l’ambiance apocalyptique. Puis viennent se rajouter
les brèves des chaînes d’informations télévisées
arabes, les images des vidéos de surveillance des lieux, des
blogs, des témoignages et confidences circulant sur le web.
C’est un déferlement de scènes terriblement choquantes
qui finit par hypnotiser le spectateur. Il s’attend au pire mais
il reste néanmoins interdit devant le viol de la jeune Samara,
son assassinat et celui de toute sa famille parce que des G.I. qui
ont perdu tout repère ont voulu tout simplement s’amuser!
Conscient des évolutions de l’information
devenue de plus en plus spectaculaire, Brian de Palma innove et présente
ici un documentaire composé d’images numériques
instantanées venant de différentes sources ; il a cependant
pris soin de les reconstituer pour ne pas être légalement
attaqué. De plus le réalisateur ne hiérarchise
pas ses sources d’informations et ne privilégie aucun
point de vue, il laisse le spectateur se positionner. A travers la
mise en scène du film, nous prenons conscience du système
médiatique qui nous entoure et qui, loin de nous informer,
nous manipule si nous n’y prenons pas garde. L’image est
maintenant un outil indispensable en communication mais c’est
aussi un outil dangereux que l’utilisateur doit maîtriser.
Dans le passé, le protestantisme s’en méfiait et
recommandait même de s’en affranchir, ce n’est plus
le cas aujourd’hui mais la prudence et l’esprit critique
restent de mise. 
Pierre Nambot
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Juno
En 2005, Jason Raitman avec «
Thank you for Smoking », nous séduisait par cette satire
d'une société hypocrite. Il quitte ici le monde des
adultes pour celui des adolescents.
Comme les filles de son âge, Juno affronte le
dilemme de l’adolescence, l’accès précoce
à l’âge adulte mêlé à l’absence
d’une réelle maturité. Elle se protège et
camouffle sa fragilité en adoptant une attitude provocante.
A 16 ans, Juno n’a pas réalisé qu’elle pouvait
être enceinte dès son premier rapport sexuel ; elle estime
d’ailleurs qu’il y a une erreur de diagnostic mais au 3ème
test, elle doit se rendre à l’évidence.
Dans une Amérique dévote et culpabilisante,
l’annonce de sa grossesse à ses parents prend l’allure
d’un désastre : « Elle ne pouvait pas simplement
conduire en état d'ivresse ou être renvoyée du
lycée au lieu de … ». Mais, très vite, dans
ce couple recomposé et décomplexé, l’amour
parental reprend le dessus. Pas de morale, le père et la belle-mère
font preuve d’une grande bienveillance et se mettent à
l’écoute de leur fille.
Une décision importante s’impose. Juno
ne peut pas faire confiance à son ami Bleeker. Trop jeune,
immature et comme beaucoup de garçons face à ce même
problème, il la laisse assumer seule. Au premier abord, c’est
simple, Juno n’a pas d’hésitation, elle décide
d’avorter. Mais, en parlant autour d’elle et en rencontrant
une de ses camarades en campagne contre l’avortement, elle réfléchit
et le doute s’empare d’elle. Pourquoi ne pas devenir mère
porteuse ? Non pour l’argent mais par générosité,
pour aider un couple qui ne peut pas avoir d’enfant. Par instinct
maternel, sa belle-mère hésite à l’encourager,
mais son père la soutient dans cette démarche. Le comportement
des conjoints du couple candidat à l’adoption diverge
très vite : impatiente d’être « mère
», la femme est enthousiaste, mais, ne se sentant pas mûr
pour être « père », l’homme prend peu
à peu ses distances et veut divorcer.
Dans une ambiance chaleureuse et tendre faite d’un
mélange de comportements infantiles et de pudeur adulte, de
dialogues crus et de non dits évocateurs, le spectateur suit
avec passion l’apprentissage de la vie par une toute jeune fille.
Excellemment mis en scène, ce film aborde deux réalités
souvent occultées, les grossesses précoces et l'adoption.

Pierre Nambot
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Sweeny Todd
Réalisé par Tim Burton avec Johnny Depp, Helena Bonham
Carter, Sacha Baron Cohen, Alan Rickman. Durée 1 h 55.
Nous sommes dans un quartier de
Londres obscur, crasseux, inquiétant qui semble sorti tout
droit d’un roman de Charles Dickens. Le « Ciel »
est couvert de nuages sombres d’où s’échappe
un filet de sang écarlate qui s’écoule à
travers les rouages d’une sinistre mécanique avant d’atteindre
les égouts noirâtres de la ville, les bas-fonds de l’enfer.
Ce générique nous met rapidement en condition
pour aborder l’univers de Tim Burton. Sweeney Todd apparaît
avec une chevelure à la Cruella, la voix grave, le regard inquiétant,
le teint blafard d’outre-tombe. Il s’appelle en fait Benjamin
Barkeret, il était barbier. Le Ciel (le destin) l’a condamné
à souffrir, en perdant sa femme dont la beauté a troublé
l’infâme juge Turpin qui l’élimine en l’envoyant
au bagne. A sa sortie, ce même Ciel apocalyptique met sur sa
route Mme Lovett, qui par amour, lui cache l’existence de son
épouse et lui remet ses précieuses lames de rasoirs
en argent. Todd et Mme Lovett sont animés d’une haine
farouche envers les « saigneurs » qui abusent de leur
rang et oppriment (« saignent ») les plus faibles.
Ces deux êtres sans scrupule mettent en oeuvre
un stratagème diabolique. Todd attire ses victimes dans son
échoppe, les égorge puis laisse le soin à Mme
Lovett de faire disparaître les corps dont une partie est recyclée
dans des tourtes à la viande très appréciées
par de nombreux clients. Peu à peu sa passion vengeresse et
« purificatrice » s’étend jusqu’aux consommateurs
de tourtes auxquels il destine le même sort. Pour débarrasser
Londres de tous ces individus rebutants, Tood a du travail. C’est
l’enfer au sens propre comme au sens figuré mais la situation
va se retourner contre l’exterminateur…
Ce film est une adaptation de la comédie musicale
de Stephen Sondheim et Hugh Wheeler Sweeney Todd, the Demon Barber
of Fleet Stree qui a eu beaucoup de succès à Broadway.
Tim Burton a choisi de garder la partition initiale plutôt que
de faire appel à son compositeur fétiche. Il a recrée
un Londres glauque, ultra stylisé, sans souci de vérité
historique. Grâce au procédé de “désaturation”
des couleurs, les images saisissantes approchent du noir et blanc.
Le tout donne un mélange d’horreur et d’émotion
souligné de touches d’humour noir décapant (“Je
gage que je rase avec dix fois plus de dextérité que
n’importe quel bonimenteur.”)
C’est une tragédie humaine où les
êtres sont tiraillés par leurs pulsions contradictoires
au centre desquelles règnent l’amour et la haine de la
société.
Burton signe ici son œuvre la plus aboutie mais
aussi la plus tourmentée. Les spectateurs qui apprécient
ce mode d’expression penseront qu’il s’agit du plus
humain des films de ce réalisateur, pour les autres, le risque
de rejet est grand. 
Pierre Nambot
haut
Lumière silencieuse
Film mexicain de Carlos Reygadas avec Cornelio Wall Fehr, Miriam Toews,
Maria Pankratz. (2 h 16)
Dans l'immensité de la province
Chihuahua, au nord du Mexique, vit une communauté mennonite
d’environ 100.000 membres. Ils sont les descendants d'une minorité
protestante dissidente éminemment fervente et pacifique mais
très conservatrice. Les fondateurs ont quitté l'Europe
au cours du 17ème siècle pour le Canada puis le Mexique
vers 1920 où la majorité d'entre eux vit encore aujourd'hui
et parle un dialecte du nord de l’Allemagne, proche du néerlandais
médiéval. Très pieux, ils possèdent leurs
propres écoles, leurs hôpitaux, un système juridique
spécifique et refusent tout modernisme.
Dans cette communauté, un fermier, Johan, vit
avec sa femme et ses six enfants. Modérée, cette famille
accepte les voitures et la médecine, mais ne tolère
pas le téléphone ; elle place au centre de ses activités
un rituel aux nombreuses prières. Amoureux d’une autre
femme, Johan trompe son épouse, ce qui constitue une faute
impardonnable vis-à-vis de sa famille, de la communauté
et de Dieu dont il devrait être le serviteur exemplaire. Un
véritable dilemme s’empare de lui : peut-il vivre avec
une femme qu’il aime et qui tient à lui et abandonner
celle qui l’aime toujours ? Est-il l’objet d’une attirance
charnelle ou d’un sentiment irrépressible ?
Le film commence par un très long plan fixe
sur la nature qui s’éveille : les étoiles scintillent
à travers une brume légère puis le ciel passe
progressivement du rouge au jaune au bleu alors qu’une brise
remue légèrement les branches et que les bruits d’abord
discrets se font plus audibles. D’entrée, le spectateur
attentif et sensible est captivé par cette « Lumière
Silencieuse » d’où émane une forme de grâce
qui lui fait prendre toute la mesure du Temps et de l’Espace.
Nous découvrons ensuite les hommes, les femmes et les enfants
qui vivent dans la douceur, parlent peu, ce qui souligne la sensualité
des êtres et l’harmonie de leur vie avec la nature. La
conduite de Johan ne provoque pas de réactions hostiles des
membres de la communauté mais de la compassion pour celui qu’ils
considèrent comme une victime aux prises avec les conflits
de son âme. Johan oscille entre les remords et l’espoir
d’une solution paradisiaque qui lui viendrait de Dieu mais il
sera surpris et bouleversé par l’issue finale. L’épouse
nous apparaît comme la sacrifiée qui sauve les dogmes
et les croyances et la maîtresse comme celle qui accomplit une
action miraculeuse. Cette action nous rappelle le film « Ordet
» de Dreyer.
Reygadas réalise ce film avec une exceptionnelle
maîtrise. Les images semblables à de magnifiques tableaux
représentent des paysages grandioses. Le réalisateur
a choisi de filmer des non professionnels, les mennonites, eux-mêmes
très motivés pour transcrire cinématographiquement
leur existence alors qu’ils ne connaissent pas la télévision.
L’utilisation de très longs plans séquence donne
l’impression au spectateur de suivre les événements
en temps réel.
Ce film magnifique, qui nécessite une attitude
contemplative et un état d’esprit ouvert à l’aspect
mystique et salvateur, met l’accent sur la complexité
de l’être humain Le jury du festival de Cannes 2007 lui
a décerné son prix, il aurait cependant mérité
une distinction du jury œcuménique. 
Pierre Nambot
haut
L’Homme sans âge
Film américano-roumain de Francis Ford Coppola avec Tim Roth,
Alexandra Maria Lara, Bruno Ganz, André M. Hennike, Alexandra
Pirici. (2 h 05.)
La sortie d’un film de Francis
Ford Coppola après une longue absence constitue un événement
qu’il nous est difficile de passer sous silence.
Nous sommes en 1938, le réalisateur nous présente
un professeur roumain Dominic Matei (Tim Roth) qui se consacre à
un essai gigantesque sur les origines du langage. Il décide
de tout sacrifier à son oeuvre, y compris son amour pour la
jeune Laura (Alexandra Maria Lara). Il est désespéré
car, à 70 ans, il craint, de ne pas pouvoir terminer ses recherches.
Un soir, frappé par la foudre un soir il en sort rajeuni. Cet
événement miraculeux lui donne des moyens extraordinaires
et il pense alors pouvoir remonter aux sources du langage et au début
de la conscience humaine. Malheureusement les nazis puis les alliés
s’intéressent à son cas. Il va devoir faire un
choix cornélien…
Personnage quelque peu monstrueux le professeur joue
à l’esprit pur et dominateur. Il estime être un
homme d’exception et doit éviter les obstacles que constituent
l’amour, la politique, le vedettariat…
Le film aborde de nombreux thèmes : la nostalgie
de la jeunesse, l’identité qui limite la liberté,
la manipulation,… Coppola s’interroge surtout sur le savoir
et sur le temps, celui qu’on emploie et celui qui passe. Il utilise
la magie et le fantastique. Sur le plan de la mise en scène,
L’homme sans âge comporte beaucoup de plans fixes. Le scénario
fluide et séduisant nous ramène au style cinématographique
habituel de Coppola. Il n’en reste pas moins que cette adaptation
de l’œuvre ésotérique du philosophe Mircea
Eliade qui se réfère au mythe de Faust, nécessite
de la part du spectateur une attention particulière pour en
avoir une lecture enrichissante. 
Pierre Nambot
haut
Nous les vivants
Un film de Roy Andersson (Suède) avec Fred Anderson, Björn
Englund, Robert Grundström, Elisabeth Helander, Elisabeth Jörgensen,
Jessica Lundberg... De 2007, durée :1h34.
Le réalisateur nous promène
dans la vie quotidienne où se déroulent des scènes
qui semblent absurdes. Pourtant, des liens subtils se dessinent progressivement
entre elles. Les nombreuses situations déconcertantes qui se
succèdent montrent la difficulté des « vivants
» à communiquer et à vivre en société.
Le film est tout simplement une comédie tragique
ou une tragédie comique dont le spectateur est le témoin
: un membre d'une fanfare municipale s'entraîne à jouer
de la grosse caisse dans son appartement, un homme tente de dormir
dans une pièce qui donne sur une voie ferrée, un autre
rêve qu’il est condamné à mort pour "négligence
vis-à-vis du bien d'autrui" car il a brisé la vaisselle
familiale héritée de plusieurs générations
et lorsqu'il se débat pour ne pas être attaché
sur la chaise électrique, quelqu'un lui suggère de "Penser
à autre chose !", une institutrice fond en larmes devant
ses élèves parce que son époux l'a traitée
de "nigaude", une ivrogne traite sa belle-mère de
sadique car elle lui sert de la bière sans alcool, un coiffeur
arabe se venge sur un client raciste en lui donnant un coup de tondeuse
au front et à la nuque, un psychiatre est désespéré
de devoir redonner le goût de vivre à ses patients méchants
ou moins abattus que lui, une épouse inconsolable prie pour
son défunt mari, sollicite le pardon pour les personnes viles
et cupides tout en ignorant que son époux mort d’une crise
cardiaque au cours d’une séance du Conseil d’administration
de l’entreprise dont il était le Président procédait
sans état d’âme au licenciement d’un grand
nombre d’employés…
Le spectateur est face à une fable onirique
et burlesque où les rêves, mais aussi les cauchemars,
peuvent devenir réalité. Le cinéaste nous soumet
à une mosaïque d’images où dominent le gris-bleu
et le vert pâle en harmonie avec le monde disloqué des
villes sans âme où errent des ersatz humains. Mais il
utilise en alternance un ton jovial fait de gags plongés dans
une musique de la Nouvelle Orléans créant ainsi des
instants anodins et dérisoires qui nous renvoient à
la futilité des choses. Tous les personnages semblent venir
de la vie quotidienne où l’être humain, qui se laisse
dominer par les acquis matériels, devrait ne pas se prendre
trop au sérieux sous peine de devenir un fléau pour
les autres.
Ce film est « un Essai sur le penser à
l’autre » comme le dirait Emmanuel Levinas, brillamment
mis en scène par un cinéaste suédois dont l’humour
rappelle celui de Tati. 
Pierre Nambot
haut
Paranoïd Park
Film américain de Gus Van Sant avec Gabe Nevins, Dan Liu, Jake
Miller. Durée :1 h 30. Prix du 60ème anniversaire de Cannes
2007.
Paranoïd Park est l'adaptation
du roman éponyme de Blake Nelson (écrivain originaire
de Portland). Alex vit mal le divorce de ses parents, son meilleur
camarade le délaisse et il est peu attaché à
sa petite amie, Jennifer. Il s'ennuie et passe de plus en plus de
temps à Paranoïd Park appelé aussi Punk Park et
connu comme le skatepark le plus malfamé de Portland. Insuffisamment
mur pour affronter la piste sous le regard des autre, Alex contemple
plus qu'il ne « roule ». Un soir, dans un délire
avec un skater inconnu, après avoir bu de la bière,
l'idée leur vient de sauter sur des trains de fret. Durant
cet exercice, Alex provoque involontairement un accident mortel.
Le spectateur suit la lente évolution mentale
de l’adolescent qui ne prend pas tout de suite la mesure de son
geste malencontreux. Dépourvu de réelle attache affective,
il n’a personne à qui se confier, il croise les autres
sans pouvoir leur adresser la parole et ne se sent intégré
ni au monde des jeunes ni à celui des adultes : il est hors
du temps et de la société. Sa situation est illustrée
par la signification métaphorique de Paranoïd Park. Triste,
renfermé sur lui-même, il affronte seul la « bêtise
» qui le hante. Son chaos mental se traduit par une grande confusion
dans sa manière de s’exprimer peu intelligible, dans sa
perception des images déformées, floues ou ralenties
et celle des sons ressentis comme provocateurs sous forme d’airs
d’opéra, de rock, de techno. Ses troubles s’atténuent
au fur et à mesure qu’il prend conscience de la gravité
de son acte ; il devient plus responsable, plus mature. Une véritable
amie et non Jennifer trop égocentrique, lui donne la clef pour
résoudre son problème. La bonne voie enfin trouvée,
l’angoisse laisse place à l’apaisement et au soulagement.
L’espoir renaît, la jeunesse n’est pas perdue !
La maîtrise des images et de l’accompagnement
musical est remarquable ; elle fait appel aux sens et nous entraîne
dans le monde intérieur de cet adolescent avec une intense
émotion. Nous passons des performances époustouflantes
des skaters qui défient l’équilibre, comme ils
défient la société, à un monde plus stable
et plus posé. Non professionnels, les acteurs jouent avec une
grande authenticité, plus spécialement Gabe Nevins (Alex),
parfaitement dans la peau de son personnage.
Après Gerry, Elephant, Last Days, Paranoïd
Park s’inscrit dans une filmographie consacrée à
l’isolement de l’individu, en particulier des jeunes, et
à ses conséquences. Dans les trois premiers films, en
particulier Elephant, la mort fait partie de la mythologie de l’adolescence.
Ici, la mort est un accident trivial qui interroge sur l’être
humain, son libre arbitre, sa conscience morale et son humanité.
C’est un film qui mérite d’être vu ! 
Pierre Nambot
haut
Secret Sunshine
Film sud-coréen de Lee Chang-dong avec Jeon Do-yeon, Song Khang-ho.
(2 h 22) Prix d'interprétation féminine 2007 pour Jeon
Do-yeon à Cannes.
Shin-ae (Jeon Do-yeon) quitte Séoul
après la mort accidentelle de son mari, pour s'installer dans
la ville natale de ce dernier, Myriang, qui signifie "abri du
soleil secret". En compagnie de son jeune fils, Jun, elle désire
prendre un nouveau départ. Bien que son intégration
à ce milieu provincial ne soit pas sans difficultés,
elle refuse l’aide d’un garagiste (Song Kang-ho, le plus
célèbre des acteurs coréens) qui s'attache sincèrement
à elle. Une nouvelle tragédie surgit : son fils est
assassiné par un malade mental. Tout bascule pour elle…
Pendant la première partie du film, le spectateur
pense assister au chemin initiatique de Shin-ae vers l’apaisement
et un nouveau bonheur. Elle donne des cours de piano pour subvenir
à ses besoins et tout indique qu’elle peut refaire sa
vie. Mais, progressivement le doute s’installe : méfiance
et hostilité des habitants de la petite ville qui l’espionnent,
colportent des propos malveillants à son encontre, attitude
de son fils qui joue à disparaître et à faire
le mort…
La mort de Jun plonge Shin-ae dans une horrible souffrance.
Elle tente de survivre, de paraître forte mais le jour où
la douleur accumulée s'extériorise, les autres en sont
terriblement offusqués , éprouvent de l'angoisse et
de la peur face à la profondeur des sentiments exprimés.
Accablée par la solitude et le malheur, Shin-ae se laisse enrôler
dans une église sectaire chrétienne aux effets cultuels
démonstratifs qui n’a rien d’autre à proposer
que l’amour de Dieu. Elle se convertit et devient une croyante
zélée résolue à appliquer tous les principes
du christianisme, dont le pardon inconditionnel des pêcheurs.
Mais, lorsqu’elle est confrontée à l’assassin
de son enfant et à la question du pardon, sa foi vole en éclats…
"Secret Sunshine" est un film noir. Il commence
par un plan sur un ciel radieux et se termine sur la vision triste
et sombre du sol d'une cour où traîne un sac plastique
sale. Il s’agit d’une analyse sans concession de notre société
et d’une invitation à mieux regarder, à mieux entendre
et à mieux comprendre ceux qui nous entourent, c’est-à-dire
les Autres. 
Pierre Nambot
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4 mois 3 semaines 2 jours
Film roumain réalisé par Cristian Mungiu avec Anamaria
Marinca (Otilia), Laura Vasiliu (Gabita), Vlad Ivanov (le docteur Bébé).
Durée : 1h 53min.
Nous nous devions de parler du film
qui a reçu la palme d’or à Cannes, cette année,
même si pour la rentrée nous aurions aimé aborder
un sujet plus léger.
Nous sommes en Roumanie en 1987, sous le régime
moribond de Ceausescu, la misère est omniprésente et
l'avortement sévèrement puni. Deux étudiantes
solidaires et amies, Gabita et Ottilia, partagent la même chambre
dans un foyer. Enceinte de plus de 4 mois, Gabita n’a pas d'autres
choix que l’avortement. Ottilia qui fait tout pour l’aider,
appelle le Docteur Bébé et la situation tourne au drame.
Mungiu nous place d’entrée dans une ambiance
oppressante presque cauchemardesque : une résidence universitaire
semblable à un casernement, une police omniprésente,
la misère qui conduit les plus démunis à pratiquer
des trafics délictueux. La caméra nous montre cette
réalité sordide par de longs plans séquences
où le gris bleu domine sauf dans les scènes nocturnes
où le noir s’impose. Le réalisateur fait preuve
de délicatesse en utilisant de nombreux hors plans mais pas
au moment crucial et c’est dommage !
Otilia prend les choses en main, aide son amie à
trouver une chambre d’hôtel, le Docteur Bébé
pour l’avortement (à noter l’ironie dans le choix
de ce nom) sans se douter du traumatisme qui l’attend. C’est
aussi un choc pour le spectateur entraîné par les mouvements
de la caméra qui s’accélèrent avec la tension
et l’horreur de la situation. C’est Otillia, la moins effrayée
et apparemment la plus solide des deux, qui paraît la plus éprouvée.
Ce film dur et moralement exigeant offre, malgré
sa rudesse apparente, deux magnifiques portraits de femmes qui luttent
avec courage ; les actrices sont époustouflantes. En plus du
thème central qui peut relancer le débat entre les anti-avortement
et les pro-avortement, c’est la Roumanie de Ceausescu que nous
montre Mungiu et métaphoriquement « l’avortement
» de cette sinistre époque.
C’est un film à voir à condition
d’être dans de bonnes dispositions. 
Pierre Nambot
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Au jury œcuménique du festival de Cannes
2007
Avec les projections, le marché
des films, les célébrités, les participants,
l’environnement, le festival de Cannes se présente sous
de multiples aspects. Pour le cinéphile et par surcroît
le membre du jury œcuménique que j’étais cette
année, le véritable spectacle était évidemment
dans les salles obscures.
Comme à chaque festival, je me suis senti plongé
dans un océan cinématographique. J’ai eu l’impression
de perdre pied, d’être transporté dans un univers
imaginaire et de me retrouver dans un état psychologique second.
La variété des situations et des questions implicites
et explicites développe l’acuité du sens critique
et y associe un plaisir certain.
Le jury œcuménique était composé,
pour les catholiques de Jean-Yves Fischbach (France), Marina Sanna
(Italie), Catherine Wong (Hong Kong) et pour les protestants de Anne-Béatrice
Schwab (Suisse), présidente, Marisa Villareale (Allemagne)
et moi-même. Nous avions pour mission de faire un choix destiné
à attirer l’attention du public sur les valeurs humaines
et spirituelles largement partagées dans toutes les cultures
et qui sont aussi celles de l’Evangile.
Les échanges au cours de nos débats ont
été d’autant plus enrichissants que nos divergences
sur les évaluations ont été abordées dans
un esprit fraternel. Les impressions objectives et subjectives de
chacun ont été partagées et le souci d’accomplir
au mieux la mission donnée nous a permis de dépasser
nos divergences pour établir facilement le choix final.
Nous avions à nous prononcer sur les 22 films
de la sélection officielle pour décerner le prix auxquels
s’ajoutaient tout ou partie des 20 films d’« Un Certain
Regard » pour attribuer éventuellement une mention. Comme
il n’est pas possible ici d’évoquer tous ces films,
je me limiterai à l’essentiel de ceux de la Sélection
Officielle.
Notre décision d’écarter les films
style « paillettes » : - Death Proof de Tarantino, - Ocean’s
13 de Soderbergh et ceux dont le thème était éloigné
de notre objectif comme : - Zodiac de David Fincher, - The man from
London de Béla Tarr, - No country for old man de Joel §
Ethan Coen - Une vieille maîtresse de Catherine Breillat, a
été vite prise. Les 15 films restant n’étaient
pas dépourvus d’intérêt comme par exemple
: - 4mois 3 semaines et 2 jours de Christian Mungus qui illustre le
terrible problème de l’avortement en Roumanie sous la
dictature de Ceausescu – Lumière silencieuse de Carlos
Reygadas évoque la vie au sein d’une communauté
mennonite au Méxique - Le scaphandre et le papillon de Julian
Schnabel dans lequel Jean-Dominique Bauby atteint de « locked-in
syndrome » communique seulement avec un battement de cil - Alexandra
d’Alexander Soukurov qui par la visite d’une mère
russe à son fils soldat, dénonce l’absurdité
de la guerre en Tchétchénie.
Notre choix s’est porté sur De l’autre
côté de Fatih Akin pour lequel nous avons établi
le communiqué de presse suivant : « Ce film raconte habilement
les destins croisés, en Allemagne et en Turquie, d’hommes
et de femmes d’origines différentes. Il sensibilise le
spectateur à la douloureuse complexité des pertes de
repères et des relations, ainsi qu’à la richesse
des échanges, passages et cohabitations possibles entre ces
mondes différents. D’autres thèmes majeurs sont
abordés, ce sont ceux de la filiation, du sacrifice et de la
réconciliation. »
Vous trouverez l’article que j’ai écrit
au sujet de ce film ci-dessous. 
Pierre Nambot
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De l’autre côté (Auf der anderen seite)
Prix du Jury Œcuménique Festival de Cannes 2007
Film réalisé par Fatih Akin (turc né en Allemagne),
avec Baki Davrak, Patrycia Ziolkowska, Hanna Schygulla. Durée
: 2h02.
Fatih Akin, réalisateur allemand
d’origine turque, a élaboré un scénario
complexe mais bien construit, qui met en scène deux familles
et six personnages aux destins entrelacés. Ainsi, un Turc originaire
des rivages de la mer Noire enseigne la langue allemande à
Brème, une étudiante, dont la mère vit à
Brème, se soulève contre le régime en Turquie...
Beaucoup d’actes manqués, de retrouvailles impossibles,
de révélations tardives, d’accidents, jalonnent
ces vies. Un véritable chassé-croisé des personnages
et des situations s’établit entre l’Allemagne et
la Turquie. Dans le cadre de cette fiction, le cinéaste maîtrise
les caractéristiques politiques, humaines et psychologiques
qui conditionnent l’existence : l’absence d’une mère,
d’un père et le besoin de filiation, le ressentiment et
l’amour, la haine et le pardon.
Fatih Akin s’adonne à un véritable
métissage des cultures. Avec sa force émotionnelle,
son humanisme exacerbé, sa volonté de combattre les
préjugés, il fait évoluer ses personnages - l’intellectuel
solitaire, le macho traditionnel, la progressiste méfiante,
la fervente combattante, l'utopiste occidentale et la prostituée
paumée - vers des conceptions plus ouvertes, plus nuancées
leur permettant de sortir de leurs impasses et d'accéder à
une forme de sérénité.
Ce changement individuel se heurte malgré tout
aux contraintes de la société et rend le devenir incertain
peut-être même illusoire. Le seul espoir semble résider
dans l'acceptation de l'étranger, de l’Autre, ainsi perdre
quelqu'un c'est aussi trouver quelqu'un d'autre. Il ne s’agit
pas d’un simple substitut mais d’une situation symbolique
: le transfert se produit par des objets (un livre permet au père
de se rapprocher de son fils), un lieu (les rivages de la mer Noire
représentent la paix intérieure), par la mort (avec
la mère de sa petite amie un des personnages retrouve ce qui
a disparu avec la mort de sa propre mère).
Akin insère son histoire dans un cadre politique
où la Turquie et l'Allemagne ont une histoire commune d’amour
et de répulsion. Les relations humaines et les opinions de
chacun, sont subies, souvent dépendantes d'un contexte plus
général qui influe sur la justice et les idéaux.
Il en ressort autant de conceptions personnelles de la foi que de
protagonistes, ce qui suscite la méfiance entre les gens.
Le réalisateur nous dit avec force que, lorsque
les hommes ouvrent leur cœur, échangent, arrivent à
se comprendre, leurs obsessions s'effacent. Compte tenu des cultures
et des croyances, des sacrifices s’imposent, il faut du temps
et de la distance pour que le dialogue, le pardon et l'amour s'instaurent.
Nous devons passer de « l’autre côté »
par rapport à nous-mêmes, effectuer un déplacement
au sens propre et au sens figuré.
Il s’agit d’un chef-d’œuvre qui
répond parfaitement à l’esprit du jury œcuménique.
Je suis très heureux que nous lui ayons attribué ce
prix et que le lendemain, dans le cadre de la compétition officielle,
il ait reçu le prix du meilleur scénario. 
Pierre Nambot
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Ne touchez pas la hache
Réalisé par Jacques Rivette, avec Jeanne Balibar (Antoinette
de Navarreins, Duchesse de Langeais), Guillaume Depardieu (General Armand
de Montriveau), Michel Piccoli (Vidame de Pamiers), Bulle Ogier (Princesse
de Blamont-Chauvry). 2007, durée 2h17. Sélectionné
au Festival de Berlin 2007.
Nous sommes au XIX° siècle,
pendant la Restauration, période au cours de laquelle l'aristocratie
est en pleine décadence. Lors d’une soirée mondaine,
Armand de Montriveau, un Général Français, rencontre
la séduisante Antoinette de Navarreins, Duchesse de Langeais,
dont il s'éprend. Encouragé par la jeune femme, il envisage
de devenir son amant mais coquette, tout en l’encourageant, elle
se refuse à lui au nom de la bienséance. Il décide
de la prendre à son propre jeu, et pour se venger de sa cruauté,
il l’enlève. Les rôles s’inversent alors, lui
feint l'indifférence, la repousse au point qu’elle se
réfugie dans le cloître des Carmélites à
Majorque. Il part pour tenter de l’arracher au couvent...
Il s’agit d’une adaptation du roman, "La
Duchesse de Langeais" de Balzac, qui avait au préalable
écrit la nouvelle, "Ne touchez pas la hache" Cette
expression signifie ici "faire perdre la tête à
quelqu’un", en référence au garde de Westminster,
qui, lors d’une visite, l’avait prononcée en montrant
l’objet ayant tranché la tête du roi d’Angleterre,
Charles 1er.
Après "La belle noiseuse" qui a connu
un grand succès, Rivette choisit à nouveau Balzac, dont
il parle ainsi : "c’est un écrivain que j’ai
eu de la peine à lire…, je l'ai découvert une nuit
d'insomnie… ce roman m'a converti, et m'a donné la clef
pour lire l'ensemble de son oeuvre."
La mise en scène est impressionnante de justesse
et de précision historique. Rivette avait dit : "On
a très vite choisi de garder aussi précis que possible
le contexte de cette histoire. Ce qui nous intéressait, même
si cela peut paraître chimérique, était de transposer
en termes cinématographiques l'écriture de Balzac".
En dépit de la longueur du film, nous suivons avec un intérêt
croissant les personnages magistralement interprétés
par Jeanne Balibar et Guillaume Depardieu. Au vu de leurs joutes verbales
cruelles, le spectateur devine qu’il n’y aura pas de vainqueur,
mais reste rivé aux dialogues, à cette guerre des mots
au cours de laquelle les deux protagonistes se perdent à en
mourir. Rivette a perçu l’écriture de Balzac qui,
selon lui, "joue sur des forces contradictoires qui génèrent
comme un système d'explosion contenue : les longues phrases
coupées par des incidentes, les changements de vitesse surprenants,
cette façon de dire presque en passant les choses les plus
importantes... Voilà pourquoi il faut effectivement lire Balzac
mot à mot. C'est une écriture à trois dimensions."
Le réalisateur a transcrit tout cela en jouant
sur le rythme des images et des mots, sur les prises de vue "en
ellipse", les regards qui s’observent et se toisent, des
moments où tout se fige. Cette fixité se répercute
sur l’environnement et glace le spectateur d’effroi. Que
signifie cette horloge arrêtée, qui fera manquer le rendez-vous,
si ce n’est le destin de leurs amours ? Il y a aussi ce Général
défait qui s’avance tel une masse abîmée
qui n’arrive à se mouvoir qu’en claudiquant. Rivette,
assisté du chef opérateur William Lubtchansky, excelle
à magnifier les bleus, les rouges et les ors, le tout procurant
l’effet d’une descente au tombeau. Il dénonce une
époque où priment l’apparence, le souci de l’argent
et du statut social, ce qui n’est pas sans rappeler notre monde
présent. Comme habituellement dans ses œuvres, tout s’articule
autour du complot sans toutefois tomber dans la catégorie du
film sociologique.
Rivette a accompli une œuvre d’une très
grande qualité dont la spécificité, peut susciter
des approches différentes. 
Pierre Nambot
haut
Ensemble c’est tout
Réalisé par Claude Berri, avec Audrey Tautou, Guillaume
Canet, Laurent Stocker, Françoise Bertin… De 2007, durée
: 1h37.
Camille (Audrey Tautou), anorexique,
fait des ménages le soir dans les bureaux et, à ses
moments perdus, s’adonne au dessin avec talent en représentant
le monde comme si elle voulait le mettre à distance.
Jeune intellectuel aristocrate très timide, Philibert
(Laurent Stocker), malgré une difficulté d’élocution,
souhaite faire du théâtre. Dans le grand appartement
familial qu’il occupe, il héberge Franck (Guillaume Canet),
cuisinier, coléreux mais tendre, qui aime profondément
sa grand-mère, Paulette (Françoise Bertin), une vieille
dame fragile et drôle. Ces personnages vont se rencontrer, apprendre
à se connaître et s’entraider.
Claude Berri met en scène une histoire linéaire,
tirée du roman éponyme d’Anna Gavalda. Il nous
présente des personnages qui semblent s’adonner maladroitement
à un jeu de rôle. Enfermés sur eux-mêmes
par incertitude professionnelle, jugements erronés, peur des
sentiments ou manque affectif, ils commencent par s’interroger
sur leur comportement respectif. Progressivement, ils s’affranchissent
des codes comportementaux habituels qui les bloquent, se parlent et
se livrent à des confidences. La confiance s’installe,
non sans quelques vives explications, et ils en viennent à
s’entraider tout naturellement. Camille arrive à dominer
ses incertitudes et à s’engager avec Franck qui s’ouvre
à l’amour, Philibert obtient un franc succès pour
son premier one man show et Paulette est retirée de la maison
de retraite pour mourir, comme elle le souhaitait, chez elle.
C’est un film dont la simplicité n’a
d’égale que sa sensibilité. Le réalisateur
redonne confiance en la vie et montre que le bonheur existe : ensemble
nous pouvons surpasser toute renonciation, retrouver des raisons d’apprécier
la vie jusqu’au moment ultime. Le quatuor d'acteurs fonctionne
à merveille, l’interprétation est remarquable et
les rôles parfaitement équilibrés. Cette œuvre
est d’autant plus émouvante qu’elle reflète
la vie du réalisateur qui, victime d’une dépression,
a pu la terminer grâce à l’aide de François
Dupeyron. Il s’agit aussi d’une lumineuse illustration du
message biblique vis-à-vis de l’Autre.
Contrairement à beaucoup de films actuellement
sur les écrans, « Ensemble c’est tout » apporte
un rayon d’espoir. 
Pierre Nambot
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