Ouverture et Actualité
Article
précédent
liste
suivant
Actualité cinématographique
Sur cette page :
Précédents articles sur un film :
, , , , , , ,
,
, , ,
, ,
, , , , , ,
,
, , ,
, , , ,
,
,
, , , ,
,
, , .
Volver
Réalisé par Pedro Almodovar (Espagne),
avec Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola
Dueñas…Prix du scénario au
festival de Cannes 2006, durée : 2 h
01.
Ce film
n’a pas gagné la Palme d’or
du Festival de Cannes mais, parmi les films
de la compétition déjà
sortis en salles, il pourrait être le
plus gros succès non seulement en Espagne
mais aussi en France. Il est donc naturel
que le visiteur de ce site puisse avoir l’avis
du chroniqueur habituel.
Le spectateur fait la connaissance
de Raimunda (Pénélope Cruz)
personnage central au tempérament de
feu prête à tout pour protéger
sa fille, de sa sœur Sole (Lola Dueñas)
plus effacée, de la tante Paula (Yohana
Cobo) murée dans sa douleur et de leur
mère (Carmen Maura) morte il y a quelques
années mais qui revient faire un tour
chez les vivants pour régler quelques
comptes avant le repos éternel car
dans la Mancha dit-on, le vent prend des vies
et parfois les ramène.
Le film est l’histoire
de trois générations de femmes
racontée dans un village imaginaire
(géographiquement celui du réalisateur)
où le rapport de ses habitants à
la mort est omniprésent. C’est
aussi le mélange de la réalité
et de la fiction dans lequel un fils a perdu
sa mère et souhaite rétablir
des liens avec elle. Celle-ci veut aussi profiter
de sa « résurrection »
pour se faire pardonner et se délivrer
ainsi des secrets douloureux qui la rongent.
Ce fils n’est autre que
le réalisateur qui dit :"Volver
(qui veut dire revenir en castillan) est un
titre qui englobe pour moi plusieurs retours.
Je suis revenu un peu plus à la comédie.
Je suis revenu à l’univers féminin,
à la région de la Mancha…Je
me suis remis à travailler avec Carmen
Maura, dix-sept ans que cela ne nous était
pas arrivés (depuis Femmes au bord
de la crise de nerfs en 1987), avec Penélope
Cruz, Lola Duenas et Chus Lampreave. Je suis
revenu à la maternité, comme
origine de la vie et de la fiction et tout
naturellement, vers ma mère. Revenir
vers la Mancha est toujours un retour au sein
maternel... J’ai l’impression, et
j’espère que ce n’est pas
un sentiment passager, que j’ai réussi
à emboîter une pièce manquante…
Cet élément dont je parle, c’est
‘la mort’, pas seulement la mienne
où celle des êtres que j’aime,
mais la disparition inéluctable de
tout ce qui est vivant. Je n’ai jamais
pu ni l’accepter, ni la comprendre…
J’ai l’impression avec ce film d’avoir
fait un deuil nécessaire, un deuil
indolore. J’ai comblé un vide,
j’ai pris congé de quelque chose,ma
jeunesse (?) que je n’avais pas encore
quitté, alors que je devais le faire,
je ne sais pas…En dépit de ma
condition de non-croyant, j’ai fait venir
le personnage de Carmen Maura de l’au-delà.
Je l’ai fait parler du ciel, de l’enfer
et du purgatoire. Et, je ne suis pas le premier
à la découvrir, l’au-delà
est ici. L’au-delà est ici bas.
L’enfer, le ciel ou le purgatoire, c’est
nous, ils sont à l’intérieur
de nous, Sartre l’a dit bien mieux que
moi".
Pour faire passer son difficile
message, Almodovar utilise sa maîtrise
habituelle de cinéaste (jeu des acteurs,
esthétisme, chants populaires…)
et un ton à la fois émouvant
et dérisoire en prétextant de
l’irréalité de la situation.
Le résultat est un film rayonnant qui
demande néanmoins beaucoup d’efforts
pour saisir tout le sens de cette confession
qui suscite beaucoup d’admiration. .

Pierre Nambot
haut
Un regard sur le festival de Cannes
2006.
Le festival
de Cannes reste la manifestation annuelle exceptionnelle
et unique pour le cinéphile. Cette année
encore ce fut un défilé de films
variés et de qualité ; mais au
retour j’éprouvais comme les années
passées un mélange curieux d’émerveillement
et de frustration, (pour n’avoir pas vu
tel ou tel film). En plus des projections de
la sélection de la Compétition
officielle, il y aurait lieu de parler de celles
d’Un Certain Regard,
de la Quinzaine des réalisateurs, de
la Semaine Internationale de la Critique…
C’est évidemment impossible aussi
vais-je donner mon impression générale
en me limitant à la première sélection.
Cette année, la majorité
des films sélectionnés ont pour
thème la guerre : la lutte d’indépendance
en Irlande (Le Vent se
lève), le franquisme (Le
Labyrinthe de Pan), l’engagement
des bataillons magrébins et africains
pendant la guerre (Indigènes),
la mobilisation pour la guerre d’un fermier
(Flandres)…Leur réalisation est
certes remarquable mais, pour ma part, j’ai
regretté leur trop grand nombre et ainsi
que le manque de films traitant des relations
individuelles ou collectives.
Wong
Kar-waï, le président du jury qui
excelle dans ce domaine (In
the mood for love en est l’emblème),
a décerné la Palme d’Or à
un cinéaste aux antipodes de son propre
style : Ken Loach avec Le
vent se lève : « Nous avons
choisi ce film avec le cœur » a-t-il
dit, puis « Peut-être si nous disons
la vérité sur le passé,
pourrons-nous dire la vérité sur
le présent ». C’est très
louable mais je pense que la conduite de deux
frères dans la guerre d’Irlande
est émouvante mais manque de réalisme
sur la fin ce qui atténue le message
du film. Le Grand Prix du Jury donné
à Flandres
est aussi une surprise car le scénario
est plutôt « tiré par les
cheveux », par contre Almodovar avec Volver
mérite bien le Prix du Scénario
et Inarritu celui de la Mise en Scène
avec Babel et sans
doute mieux pour ce dernier (voir ci-après).
En donnant les prix de l’interprétation
féminine et masculine à deux groupes
(actrices de Volver et acteurs de Indigènes),
le jury a confirmé son objectif de satisfaire
le maximum de personnes. Ce manque de courage
apparent est regrettable car il dévalorise
du même coup les réalisateurs et
acteurs de talent.
Il
me faut revenir sur Babel
qui a eu également le prix du Jury oecuménique.
C’est un choix qui me touche car je pense
que ce film méritait la Palme d’or
! C’est une très grande œuvre
tant dans la forme que dans le fond. Il nous
montre que dans ce monde où tout s’enchevêtre,
la communication est une illusion car subsistent
les solitudes, les préjugés, les
peurs. Nous en reparlerons au moment de sa parution.

Pierre Nambot
haut
The Secret Life of Words
Réalisé par Isabel Coixet (Espagne),
avec Sarah Polley (Hanna), Tim Robbins (Joseph)…de
2005, durée : 1h52.
Hanna travaille
consciencieusement mais vit renfermée sur
elle-même, obsédée par la
propreté. Elle passe ses vacances sur une
plateforme pétrolière dont l’activité
est arrêtée suite à un accident.
Elle y soigne Josef qui a été grièvement
brûlé en voulant sauver une personne.
Entre Hanna qui porte un appareil auditif mais
le débranche souvent pour se protéger
du monde et Joseph qui a perdu momentanément
la vue, un lien intime se tisse. Nous apprenons
qu’ils sont chacun dépositaire d’un
secret qui les écrase et dont ils vont
enfin se libérer.
C’est un mélodrame
qui se joue dans ce monde métallique flottant
et isolé, à la fois protecteur et
menaçant pour une poignée d’humains
qui doivent trouver jour après jour un
mode de socialisation. Le passé hante chacun
d’eux, les traumatismes émergent,
écorchent et « brûlent »
les consciences. La raison est mise à rude
épreuve et conduit à des comportements
les plus divers: le suicide dans les flammes,
la recherche d’un ailleurs, le silence, la
confidence.
Tout en évoquant les génocides,
Isabel Coixet nous montre le pouvoir libérateur
de la parole et la possibilité de chacun
à guérir de ses blessures et de
ses fautes. Avec talent elle utilise l’humour
et la dérision des situations et des dialogues
pour souligner avec force les aspects existentiels
tragiques riches en émotion. C’est
un film difficile qui nécessite du spectateur
de la patience pour suivre le chemin que lui fait
parcourir la réalisatrice et une lecture
attentive au deuxième et même au
troisième degré pour en apprécier
toute la signification. Il en est en final pleinement
récompensé. 
Pierre Nambot
C.R.A.Z.Y. Réalisé
par c Vallée (Québec), avec Michel
Côté, Marc-André Grondin,
Danielle Proulx, … durée: 2h05, de
2005.
Le 25 décembre
1960, la famille québécoise Beaulieu
compte un enfant de plus : Zachary. Le père
un peu bourru mais travailleur, la mère
aimante et croyante, sont fiers de leurs cinq
garçons. En voix off, Zachary nous raconte
qu’il grandit dans la musique, l’humour,
la révolte, entouré de ses «
abrutis » de frères.
C.R.A.Z.Y. nous transporte dans
les années 60 à 80 et nous plonge
dans l’univers d’un jeune qui se sent
marginalisé et qui est prêt à
renier sa personne pour attirer l’attention.
Trois thèmes importants sont abordés
: l'identité québécoise
où se confrontent un passé catholique
très pesant et en parallèle une
révolution tranquille des mœurs
(musique, sexe, éducation), le questionnement
sur l'identité masculine dans la société
et la place du problème sexuel. Le comportement
humain est mis à nu avec tout ce qu’il
comporte comme blasphèmes vis-à-vis
du christianisme et de l’église
catholique qui, dans l’ambiance «
sexe drogue et rock », en oublie sa mission
et même ses cantiques… Cet environnement
n’aide évidemment pas le jeune Zachary
à trouver un équilibre même
si l’attitude très pieuse et même
mystique de la mère fait face à
ces débordements. Il se hait et déteste
les autres, se complaît à endurer
des souffrances christiques en contre partie
de ses pensées et de ses attirances.
C.R.A.Z.Y. est une quête
de foi et de soi marquée par de bons
sentiments. Le style est empreint de fantaisie
et d’ironie afin que la société
de l’époque, qui se libère
de ses carcans, nous paraisse moins sordide.
Un film très intéressant
mais dérangeant. 
Pierre Nambot
Wassup Rockers (What’s up
Rockers ? Quoi de neuf Rockers ?)
De Larry Clark (USA) avec Jonathan Velasquez,
Francisco Pedrasa, Minilton Velasquez…de
2005, durée : 1 h 45.
Dans le quartier
pauvre de South Central à Los Angeles,
les jeunes latino-américains sont à
la mode « baggy » (vêtements
très amples) comme un signe d’appartenance
à un gang. Un groupe de sept adolescents
se distingue en portant des pantalons serrés,
en se laissant pousser les cheveux et en étant
férus de skate-board. Ils ne boivent
pas, ne se droguent pas. Ils sont sans histoire,
tout simplement exubérants et ne passent
pas inaperçus auprès des autres
garçons et filles de leur âge.
Un jour ils décident d'aller «
skater » dans un très beau quartier,
le fameux "nine stairs" de Beverly
Hills, afin de trouver un terrain de jeu idéal
pour exécuter tranquillement quelques
figures spéciales de skate-board. Cette
décision fait basculer leur vie…
Le film commence sur un style
documentaire classique ressemblant à
ces reportages télévisuels consacré
au skate-board. Le cinéaste restitue
assez bien les codes et attitudes de ces rockeurs,
désavoués à la fois par
les classes aisées et par leur milieu
des couches populaires. Larry Clark emmène
ensuite ses personnages à Beverly Hills,
à la rencontre de filles blanches et
riches. Nous vivons alors un cheminement délirant
au cours duquel les jeunes passent dans différentes
propriétés de milliardaires et
sont pris pour des cibles mais aussi des objets
sexuels…
Le cinéaste nous montre
à quel point la vie de ces adolescents
peut être dangereuse parce qu’ils
ne sont pas dans la norme : « Vous n’avez
rien à faire ici – Parce qu’on
est du ghetto ? – Oui ! ». Les pressions
exercées sont même plus fortes
au sein du ghetto qu’à Beverly Hills
ou dans la banlieue. Larry Clark ne cherche
pas à en faire des martyrs ou des saints,
son propos est de coller au plus près
à la réalité.
En déplaçant l’action
dans le quartier le plus chic de Los Angelès,
le réalisateur confronte deux mondes
qui sont, l’un comme l’autre, une
jungle faite de violence plus ou moins rentrée,
avec des codes strictes, le plus souvent inhumains
. Nos adolescents vont apprendre à leurs
dépens qu’ils sont, ici aussi, jugés
sur leur simple apparence.
Larry Clark est attiré
par le monde de l’adolescence. Pour son
cinquième film, il met en perspective
la misère sociale et la violence gratuite
face à la volonté de vivre et
à l’insouciance de la jeunesse.
Il dénonce l’intolérance,
les préjugés et la ghettoïsation
grandissante aux Etats Unis, constat alarmant
auquel l’Europe n’échappe malheureusement
pas ! 
Pierre Nambot
haut
Le passager, réalisé
par Eric Caravaca (France) avec Julie Depardieu,
Eric Caravaca, Vincent Rottiers, mars 2006, Durée
: 1h 25.
Thomas (Eric
Caravaca) quitte sa famille pour aller reconnaître
le cadavre de son frère Richard qui s'est
suicidé. Etant maintenant seul, il doit
régler les procédures funéraires
et administratives ce qui le conduit à
retourner dans la petite station balnéaire
où il a grandi. Là, plutôt
que de s’installer dans sa maison natale,
il décide de descendre à l’hôtel
car une photo l’amène à penser
que cet établissement a un lien avec son
frère. Thomas fait la connaissance de Jeanne
(Julie Depardieu) et découvre que la jeune
femme a partagé la vie de son frère
dont elle attend l’improbable retour. Il
rencontre Lucas (Vincent Rottiers) qui semble
avoir beaucoup aimé Richard. Très
vite, une relation quasi filiale se noue entre
le jeune garçon et le nouveau venu puis
entre celui-ci et Jeanne. Pourtant Thomas ne leur
révèle pas son identité,
il s’installe dans leur vie et collecte des
informations…
Thomas est malgré lui rattrapé
par son passé : un père parti, une
mère enfermée dans sa douleur, un
frère aîné qui faisait la
loi. Il n’a pas supporté l’attitude
de ce dernier et a rompu toute relation avec lui.
Le réalisateur nous présente en
gros plan, un personnage sombre, pathétique,
toujours pas remis du traumatisme de son adolescence
qui le confine dans la rancœur et le paralyse.
Il tente de s’approprier une partie de l’univers
de son aîné pour s’affirmer,
mais en vain. Avant de l’enterrer, il lui
faut renouer les liens brisés. C’est
à ce prix qu’il réussira à
envisager la vie autrement. Ce sera possible grâce
à l’aide des autres, celle de la patronne
de l'hôtel où il est descendu incognito
et de ceux qui l'ont connu enfant : le vieux marchand
de journaux et Suzanne, l'amie devenue chanteuse
de cabaret.
La mise en scène de Caravaca
reste discrète, son style assez dépouillé
fait de gros plans contrastant avec des plans
très ouverts. La vue de la station balnéaire
hors saison, entre la piscine vide et la zone
portuaire déserte, le tout plongé
dans un climat hivernal peu engageant, constituent
des images qui rejoignent celles de l’existence
de Thomas présentées fréquemment
en flash-back. La même musique tranquille
revient souvent en soulignant les moments dramatiques
intenses. La narration se fait avec beaucoup de
tendresse et les personnages deviennent vite attachants.
Caravaca a été à bonne école
avec Dupeyron et Chéreau ; le spectateur
y retrouve toute la finesse et la subtilité
et même une certaine résonance avec
le film « Son frère », de ce
dernier.
Les interprétations sont
excellentes : le réalisateur tient lui-même
le rôle de Thomas, personnage mutique, plein
d'émotions contenues, Julie Depardieu campe
une Jeanne un peu hors du temps, Nathalie Richard
est une Suzanne lumineuse qui a su surmonter son
drame, Vincent Rottiers joue avec beaucoup de
naturel le jeune Lucas, adolescent qui réussit
à s'affirmer.
C’est une œuvre remarquable
et bouleversante sur les blessures profondes de
l’enfance, l’effort surhumain et pudique
pour les enfouir sans pouvoir les effacer et sur
une nouvelle façon de voir les choses,
de faire le deuil.
Un premier film qui laisse entrevoir
les qualités cinématographiques
exceptionnelles d'Eric Caravaca.
Pierre Nambot
haut
Le jury œcuménique au 20ème
Festival International du Film de Fribourg a décerné
son prix à Be With me d’Eric Khoo (Singapour).
Le Festival International
de Films de Fribourg (FIFF) est à bien des
égards une manifestation cinématographique
passionnante. Je l’ai découvert en 2004
et cette année encore j’ai pu apprécier
l’accueil, l’organisation et la programmation
des films.
L’objectif de ce festival est
de développer les réflexions à
la fois philosophiques et cinématographiques
vis-à-vis des pays du Sud et de l’Asie.
Qu’ils viennent du Brésil, d’Iran
ou des Philippines, qu’ils soient présentés
dans la sélection officielle en compétition
ou non, qu’ils soient des fictions ou des documentaires,
les films proposés en 2006 évoquent
l’évolution complexe du monde au niveau
sociologique et politique ainsi que les difficultés
de la production du 7ème art. Nous parlerons
ici seulement des films qui ont obtenu une ou plusieurs
distinctions.
Le Regard d’or a été
attribué à Be Ahestegi/ Tout doucement
de l’Iranien Maziar Miri qui décrit
les tabous sociaux concernant les femmes en Iran.
Le prix spécial du jury international revient
à Heremias, un film philippin de Lav Diaz
qui utilise un langage cinématographique
non conventionnel tant dans le style, pour la sauvegarde
de la culture nationale originale, que dans la durée
(8 heures). Shen Hai/Blue Cha Cha de Cheng Wen-tang,
dans lequel l’héroïne est accablée
par une destinée qui ne lui laisse pas présager
des lendemains meilleurs, a obtenu une mention spéciale.
Le prix Oikocredit a été remis à
Un matin bonne heure réalisé par Gahité
Fofana de Guinée qui raconte les conditions
dans lesquelles deux jeunes sont amenés à
se cacher dans le train d’atterrissage d’un
avion pour émigrer.
Le prix documentaire a été
décerné ex-aequo à Taimagura
Baachan/ Grand-mère de Taimagura de Yoshihiko
Sumikawa (Japon) et à Doust/L’Ami de
Sara Rastegar (France/Iran). Très différents
par leur facture et leur réalisation, ces
deux films relatent une rencontre humaine et poétique
avec un personnage symbole de sagesse universelle.
Le jury œcuménique, auquel
j’appartenais, a décerné son
prix à Be With me d’Eric Khoo (Singapour).
Nous nous sommes réjouis de constater qu’il
a également été récompensé
par le prix de la Fédération Internationale
des Cinés Clubs (FICC) et par une mention
spéciale du jury international.
Eric Khoo tisse son film autour de
trois histoires correspondant à différents
moments de la vie : - un vieil épicier peu
bavard et plutôt triste est hanté par
le souvenir de sa femme, - un agent de sécurité
boulimique est amoureux d’une femme qui ne
lui a jamais accordé un regard, - une sexagénaire
aveugle et sourde souriante et épanouie,
- deux adolescentes tentent de vivre ensemble une
histoire d’amour.
A l’exception de la sexagénaire,
les personnages sont plongés sans raisons
apparentes dans la vie solitude des grandes villes
et le spleen sentimental. Ils sont en quelque sorte
le reflet de la société ultramoderne
d’aujourd’hui qui engendre directement
ou indirectement de nombreuses situations d’isolement
individuel et d’incommunicabilité. A
l’inverse, la sexagénaire aurait bien
des raisons de ne plus croire en la vie. En effet,
affligée non seulement d’un sérieux
handicap physique, elle a eu un passé particulièrement
difficile. Toutes ces épreuves ne semblent
pourtant pas avoir d’emprise sur elle, car
elle nous apparaît dotée d’une
force intérieure invincible. Avec les moyens
limités inhérents à son état,
elle est la seule à communiquer avec les
autres et son visage rayonne ; elle transcende le
film !
Toute en nuances, cette œuvre
mêle fiction et réalité car
Térésa Chan, aveugle et sourde depuis
l’âge de 14 ans, joue son propre rôle.
Elle a écrit son autobiographie pour raconter
son combat, sa détermination à surmonter
ses souffrances afin de venir en aide aux autres
et devenir professeur dans une école pour
mal voyants. Eric Khoo en a été marqué,
il a fait ce film et l’a engagée comme
actrice.
Be with me que nous pourrions traduire
par « sois à mes côtés
», est un brillant message d’amour et
d’espoir, une œuvre qui, par son propos
essentiel, redonne à la notion d’humanisme
sa véritable signification. Il est sorti
sur nos écrans en octobre 2005 et nous espérons
qu’il sera reprogrammé prochainement
; c’est un film à voir et à revoir
! 
Pierre Nambot
haut
A Perfect Day
Réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil
Joreige, film franco-germano-libanais avec Ziad Saad,
Julia Kassar, Alexandra Kahwagi. Durée : 1 h
28.
Malek est un jeune
homme sujet à des pertes de conscience et des
apnées du sommeil. Il vit à Beyrouth
avec sa mère Claudia qui, depuis 15 ans, n’a
toujours pas fait le deuil de son mari disparu, comme
17.000 autres. Il souhaite que sa mère tourne
enfin la page et que sa petite amie renoue avec lui,
bref il aspire à avoir une vraie vie.
Beyrouth nous est montrée telle
qu’elle se présente aujourd’hui :
ville morcelée, exhumée de ses débris
et reconstruite partiellement à la hâte,
embouteillée par les voitures polluantes, envahie
par les masses humaines et saturée par les
décibels des boîtes de nuit…
Dans cet environnement étouffant,
Malek a du mal à se libérer d’un
poids dont il ne cerne pas les causes. Son état
végétatif n’est-il pas inconsciemment
un moyen de ne pas voir la réalité ?
De plus il ignore bien des choses, en particulier
la guerre qu’il n’a pas connue et que l’omerta
ambiante occulte.
Les cinéastes nous plongent
dans la situation éprouvante de cette région
instable où chacun cherche l’occupation
et le divertissement sans pouvoir réfléchir
au présent et envisager l’avenir c’est-à-dire
un autre jour, « a perfect day ».
Ce film fait penser à celui
de Vimukhti Jayasundara, « La Terre abandonnée
», magnifique réalisation sur le Sri
Lanka déchiré par la guerre civile.
Il nous livre ici une belle histoire émouvante
sur les douleurs du Liban avec une grande sensibilité
et un certain art elliptique. Regrettons que la lenteur
du rythme en « élitise » les propos
et prive le film de l’audience d’un large
public qui pourrait prendre ainsi conscience de ce
type de situation. 
Pierre Nambot
haut
L’ivresse du pouvoir, Réalisé
par Claude Chabrol avec Isabelle Huppert, François
Berléand, Patrick Bruel, Robin Renucci, Maryline
Canto, de 2006, durée : 1 h 48.
Jeanne Charmant Killman,
juge d'instruction doit instruire une affaire de commissions
et de détournements de fonds, un dossier complexe
mettant en cause des personnalités dont le président
d'un important groupe industriel. Au fur et à
mesure de ses investigations, son pouvoir s’accroît
sensiblement mais en parallèle sa vie privée
se fragilise.
En dépit de l’avertissement
sur les ressemblances fortuites avec des personnes et
des faits existants, le spectateur constate vite que
Chabrol s’inspire directement de l’affaire
Elf. Il est facile d’identifier François
Berléand à Le Floch-Prigent, Jeanne «
Charmant » à Eva « Joly ».
Le cinéaste décrit en détail
ce qu’il perçoit des abus pouvoirs tout
en montrant les limites d’une juge en proie elle
aussi aux mêmes dérives. « L’ivresse
du pouvoir » vise à la fois les potentats
industriels et les magistrats tout puissants. Le parallèle
est saisissant : le président surchargé
s’est entouré d’une armée de
femmes pour gagner du temps et la juge fait de même
avec une armée d’hommes. Le réalisateur
montre avec subtilité les nombreuses implications
du pouvoir et les transformations qu’elles induisent.
Malheureusement Chabrol n’échappe
pas, une fois encore, à sa propension à
critiquer de façon outrancière et même
fantaisiste certaines franges de notre société
: hommes de pouvoir, policiers, gardiens de prison…
La mise en scène un peu négligée
n’est pas en rapport avec le sujet qui aurait mérité
plus d'inspiration et un traitement plus solide et plus
sérieux. La narration, qui chez Chabrol prend
toujours son temps, est cette fois beaucoup trop lente.
L’interprétation est globalement
très réussie. Isabelle Huppert excelle
dans ce rôle de femme «parfaite, lisse comme
du marbre» et fragile à la fois et François
Berléand dans celui d’un homme irritant
et pathétique à souhait. Le jeu forcé
de Bruel est la seule fausse note.
L’actualité nous a conduit
à parler de ce film mais notre appréciation
est réservée sur le plan cinématographique
ainsi que sur le déroulement des procédures
relatées. 
Pierre Nambot
haut
Le Nouveau Monde
Réalisé par Terrence Malick (USA) avec Colin
Farrell, Q’Orianka Kicher, Christopher Plummer…De
2005. Durée : 2 h 20.
Au tout début
du XVIIème siècle, le continent nord-américain
est une terre sauvage infinie, "le Nouveau Monde",
sur laquelle vivent de nombreuses tribus. En avril 1607,
trois bateaux anglais accostent sur la côte orientale.
Ils viennent établir "Jamestown", un
avant-poste économique, religieux et culturel.
John Smith, jeune officier au tempérament rebelle
n’a pas encore idée de la sophistication de
l’empire indien auquel il aura à faire. Durant
ce round d'observation précédent le choc
des civilisations, Smith découvre Pocahontas, une
jeune indienne fascinante, un lien si puissant se tisse
entre ces deux êtres qu’il en deviendra légendaire.
Le réalisateur a tourné sur
place en Virginie, le long du fleuve James, avec des acteurs
originaires de cette région, représentant
les différentes nations indiennes, parlant l’Algonquin,
et sans utiliser volontairement le sous-titrage. Le résultat
est d’une beauté à couper le souffle
: les reflets de l'eau, la couleur de la terre, des herbes
hautes, le soleil à travers les branches, les bruits
de la forêt, le bruissement de vent aux cris d’oiseaux
rares comme ceux de la perruche de Caroline…
L’histoire de ces premiers pas sur
cette terre du Nouveau Monde est scandée par les
voix intérieures des personnages : John Smith l’idéaliste,
Pocahontas l’indienne et John Rolfe qui amènera
cette dernière sur sa terre d’adoption, l’Angleterre
laquelle deviendra plus tard son linceul. Malick s'intéresse
ici à un mythe celui de la colonisation de l'Amérique
et de la fondation d'un état surpuissant édifié
sur quelques troncs coupés et plantés dans
la boue. Il montre le conflit plus ou moins latent entre
deux mondes et cette guerre aussi inévitable qu’absurde
avec l'avancée du progrès. L’idée
d’un équilibre naturel rompu par la civilisation
a été abordée d’une façon
analogue et tout aussi complexe par Jean-Jacques Rousseau
dans « Le discours sur l’inégalité
» et « L’Emile » ainsi que par
René de Chateaubriand dans « Voyage en Amérique
» où il révèle à ses
contemporains européens, les sensations enchanteresses
qu’il a éprouvées à travers
les immenses forêts du Nouveau Monde, et aussi dans
« Le Génie du christianisme »
Malick entreprend un dialogue entre la
nature, symbole de pureté et l’homme blanc
aux idées corrompues appelé à la
souiller. Dieu est ici interpellé afin qu’il
donne des explications sur l’absurdité de
cette situation. A la différence de Bergman dont
la mise en scène est au service d’une observation
austère de l’aspect matériel, Malick
traque dans les yeux de ses personnages leur quête
des cieux, d’une puissance salvatrice. Au final,
ce n’est pas le récit qui ordonne les choses
du « Monde » mais c’est ce dernier qui
prête sens à la vie : le vent dans les feuilles,
le murmure de la forêt, le torrent qui coule sur
la roche, les oiseaux qui fendent le ciel….
Une œuvre fluide, sublime qui transporte
le plus récalcitrant. 
Pierre Nambot
haut
Un couple parfait
Réalisé Nobuhiro Suwa (Japon) avec Valeria Bruno-Tedeschi
(Marie), Bruno Todeschini (Nicolas), Nathalie Boutefeu (Esther),
Jacques Doillon (Jacques), de 2005, durée 1 h 44.
Marie et Nicolas, des
Français qui vivent à Lisbonne, se rendent
à Paris pour le mariage d’amis. Ensemble depuis
15 ans, « leur couple parfait » s’effrite
: ils ne se parlent presque plus, ne paraissent plus s’apprécier,
font lit à part…Ils envisagent de divorcer et
le disent à leurs amis très étonnés.
Ce séjour à Paris leurs permet de tout mettre
à plat. Au cours d’une nuit Nicolas déambule
seul dans les rues de la capitale et s’arrête
dans un bar. Lorsqu ‘il retrouve Marie, leur conversation
s’anime sous l’effet de l’alcool et leurs
dernières certitudes se brisent. Vont-ils pouvoir
sortir de cette impasse, se reprendre et repartir ensemble.
Pendant 104 minutes, Suwa scrute les deux
protagonistes de ce couple en difficulté. Il n’y
a pas d’action, pas de conversation, lorsque Marie
et Nicolas veulent se dire quelque chose, ils bafouillent,
murmurent ou marmonnent. Les personnages sont souvent dans
la pénombre, en contre-jour, hors champ comme s’ils
n’osaient pas se montrer ou même se rencontrer.
Le cinéaste utilise des plans fixes d’une durée
inhabituelle et mise en scène très sobre pour
susciter une intense émotion, parfois même
un malaise. De plus, par leur talent, Valeria Brono-Tedeschi
et Bruno Todeschini donnent au spectateur l’impression
d’assister à un drame réel.
Nous retrouvons ici le style de Suwa, en
particulier celui du film H Story (interrogations sur les
possibilités de réaliser aujourd’hui
Hiroshima mon amour d’Alain Resnais).
C’est une œuvre particulière,
cérébrale et abstraite qui enchantera ceux
qui se passionnent pour les études de caractères
et la psychologie. 
Pierre Nambot
haut
The King
Réalisé par James Marsh (USA) avec Gael Garcia
(Elvis), William Hurt (David Sandow, le pasteur), Pell James
( Malerie Sandow)…de 2005. Durée : 1 h 45.
Elvis, qui vient de terminer
son service dans la Navy, part à la recherche de son
père qu’il ne connaît pas. Il rencontre
le pasteur David Sandow qui, dans le passé, avait eu
des relations avec sa mère. Ce dernier a une famille,
un fils Paul très croyant qui réfute la théorie
de l’évolution de Darwin et une fille de 16 ans,
Malérie. Le pasteur ne veut pas revenir sur son passé,
il rejette Elvis et lui interdit même de s’approcher
de sa maison. Elvis et Malerie tombent amoureux l’un
de l’autre. Paul découvre leur liaison et veut
protéger sa sœur de cet individu apparemment peu
fréquentable. Il menace Elvis mais cela va mal tourner…
L’action se déroule au Texas dans
la ville de Corpus Christi, lieu idéal pour traiter
du fondamentalisme religieux, des passions, des traditions
et des tabous qui font partie de la vie. C’est ainsi
que les personnages justifient leurs actes en estimant avoir
l’assentiment de Dieu.
Elvis s’attribue une mission qui va le
conduire au pire. Progressivement la mise en œuvre du
châtiment transforme cette fable en un terrible thriller.
Le spectateur suit un drame épouvantable et se trouve
déstabilisé par une situation ambiguë où
s’entremêlent les actes, la religion, la punition
et le jugement définitif. Le pasteur, emblème
d’un fondamentaliste religieux américain, impose
avec autoritarisme et arrogance sa « bonne foi ».
L’exécuteur du châtiment a « une tête
d’ange » mais accomplit froidement sa mission…
L’enjeu principal posé par The
King est celui du pardon : nos fautes nous seront-elles pardonnées,
effacées dès lors que nous les aurons confessées
? La mise en scène est remarquable pour un premier
film, malheureusement Marsh brocarde avec maladresse la société
texane, la famille idéale et l’intégrisme
protestant américain. Il réalise une œuvre
dont la perversité domine ce questionnement. C’est
don premier film, souhaitons qu’il évite ce type
d’écueil la prochaine fois. 
Pierre Nambot
haut
Munich
Réalisé par Steven Spielberg avec Eric Bana, Daniel
Craig, Mathieu Kassovitz, Michael Lonsdale, Mathieu Amalric, Valéria
Bruni-Tedeschi, Yavan Attal…de 2005, durée 2 h 35.
Le 5 septembre 1972, aux Jeux
Olympiques de Munich, le groupe terroriste palestinien «
Septembre Noir » prend en otage 11 membres de la délégation
israélienne. L’action, qui se déroule quasiment
en direct sur les chaînes de télévision,
tourne au carnage et fait 17 morts. Madame Golda Meir, Premier
Ministre d’Israël, décide d’appliquer
la Loi du Talion et lance l’opération « Colère
de Dieu ». Une équipe dirigée par Avner
(Eric Bana) est chargée d’éliminer secrètement
11 chefs palestiniens. Cette mission va poser des problèmes
non seulement stratégiques mais aussi moraux à
son chef.
En portant à l’écran ces événements,
Spielberg réalise un grand film hollywoodien à
thèse historique. De « La liste de Schindler »
à « Amistad » en passant par « Il faut
sauver le soldat Ryan », tous les ingrédients habituels
d’une machine à visions » sont ici présents.
Spielberg est un des plus grands cinéastes d’action
de notre temps. La tension monte progressivement avant chaque
assassinat et les scènes de violence, cruelles et noires
ne nous sont pas épargnées. Il analyse sur le
plan psychologique et politique les mécanismes qui poussent
les peuples à s’entretuer ainsi que la vulnérabilité
des intervenants tourmentés par leurs contradictions.
Ainsi Avner est accablé par sa mission, il en sort transfiguré
au point d’en être aliéné.
Spielberg ne prend pas position, il renvoie dos
à dos les terroristes des deux camps, palestiniens et
israéliens, en détruisant au passage le mythe
Golda Meir ce qui lui vaut la condamnation du film par certains
commentateurs juifs américains. Il nous interpelle sur
l’esprit de vengeance qui engendre l’escalade et la
politique du pire, le terrorisme.
Réalisateur de grands spectacles, Spielberg
sait aussi émouvoir les spectateurs qui dans leur grande
majorité se laissent séduire par ce film. Toutefois,
il en fait un peu trop, au détriment de l’objectivité.
C’est dommage mais c’est du Spielberg ! 
Pierre Nambot
haut
Pompoko
Film d’animation réalisé par Isao Takahata (Japon)
de 1994, durée 1 h 59.
De petits êtres étranges,
les tanukis, vivent paisiblement dans la campagne en bonne compagnie
avec les paysans. Ils ressemblent à des blaireaux mais
possèdent la faculté de se métamorphoser.
Suite à une période de croissance économique
importante, le gouvernement japonais décide de supprimer
la forêt pour construire la ville de Tama. Voyant leur territoire
réduit drastiquement, les tanukis organisent la riposte
et utilisent leur pouvoir de transformation pour effrayer les
humains en réveillant en eux peurs et superstitions. Les
solutions les plus farfelues sont expérimentées
par les tanukis.
Le réalisateur met en scène une fable
mordante et sarcastique sur des thèmes actuellement essentiels
: la nature perd ses droits, les minorités se font discrètes
pour subsister, les membres de la majorité sont eux-mêmes
de plus en plus oppressés par leur mode de vie… Tout
cela se déroule dans un univers très poétique
avec, à chaque instant, des drôleries pertinentes.
Nous sommes dans un décor féerique constitué
de tableaux splendides avec des créatures aussi bienveillantes
qu’énigmatiques.
Le spectateur retrouve la beauté du Tombeau
des lucioles (du même réalisateur) et regrette que
l’homme, dans sa frénétique course au progrès
matérialiste, perde son âme en abandonnant le merveilleux.
Si vous voulez vous accorder un moment de rêve,
une fois n’est pas coutume, alors allez voir ce film d’animation
et emmenez-y les enfants mais pas les tout petits car le film
dure près de deux heures ! 
Pierre Nambot
haut
Le secret de Brokeback Mountain
Réalisé par Ang Lee, scénario de Larry McMurty,
avec Heath Ledger (Ennis), Jake Gyllenhaal (Jack), Michelle Williams
(Alma). Durée : 2 h 14. Lion d’or au festival de Venise
2005.
Ennis del Mar et Jack Twist sont
engagés pour garder un troupeau de moutons en été,
dans les hauteurs de Brokeback Mountain, au cœur du Wyoming.
Au fil des jours, ils apprennent à se connaître, s’attachent
l’un à l’autre et finissent par vivre une véritable
passion. Le travail de gardien terminé, ils se séparent
mais l’amour qui les a enflammés ne s’oublie pas…
Ce film est l’adaptation cinématographique
de la nouvelle d’Annie Proulx, « Brokeback Mountain »,
publiée pour la 1ère fois dans le New Yorker en 1999,
puis éditée en France chez Grasset. L’action
se déroule dans les années 1960-70, après le
Maccarthysme, époque caractérisée par un début
de libération du comportement des personnes et de la transcription
des sentiments ; c’est dans ce contexte que Lee réalise
son film.
Le début ne laisse rien présumer de
la suite. Dans un décor grandiose, sur fond de montagnes
majestueuses, un ciel fascinant aux nuages tourmentés, les
deux cow-boys, accomplissent leurs tâches. Un concours de
circonstances fait basculer les deux gardiens dans l’ivresse
et le malheur d’une passion mutuelle impossible. Ils vont quitter
ce paradis terrestre qui « lave les péchés »
(les métaphores sont nombreuses), pour un autre décor,
celui de l’Amérique profonde, archaïque, pétrie
de convictions religieuses. Le souvenir de Brokeback Mountain demeure
dans l’esprit de Jack et Ennis et les ronge. Ils en viennent
à faire des escapades pour échapper aux traditions
et aux règles, pour retrouver les conditions de la 1ère
fois, seul instant d’éternité pour eux.
La subtilité et la maîtrise esthétique
de Ang Lee donnent un film dont la beauté n’a d’égale
que la profondeur des sentiments. La psychologie très fouillée
des personnages leur communique une densité et une épaisseur
dramatiques. Cet amour entre deux hommes pourrait être le
même entre des partenaires de sexe ou d’âge différent.
En effet, c’est l’amour absolu, universel, hors de la
réalité et du temps. Sous la forme d’un western
naturaliste atypique, sans effet visuel particulier, Lee réalise
une œuvre pudique et philosophique qui submerge le spectateur
bouleversé par tant de détresse humaine. Les séquences
finales avec les non-dits, les silences et la retenue des gestes
décuplent ce ressenti.
C’est un film exceptionnel, beau, grave et déchirant.

Pierre Nambot
haut
Good Night and Good Luck
Réalisé par Georges Clooney, avec David Strathain, Robert
Downey, Patricia Clarson…de 2005, durée 1 h 33.
L’action
se déroule aux Etats-Unis, en 1953-1954, sous la présidence
d’Eisenhower qui, bien que conservateur, dénonçait
le lobby militaire et industriel et combattait la ségrégation
raciale.
Le producteur et réalisateur de l’émission «
See it Now » diffusée sur CBS le dimanche soir, Edward
Murrow (D. Strathain), traite des problèmes de société,
de politique et réalise des interviews de stars. Il termine
toujours son émission par « Good Night and Good Luck
». A la suite du licenciement abusif par l’Us Air Force
d’un pilote accusé d’être un risque pour la
sécurité au prétexte que son père est
abonné à une revue communiste, E. Murrow s’empare
de ce scandale dans son émission et attaque le sénateur
McCarthy, démagogue populiste, obsédé par le
communisme. Les réactions ne se font pas attendre…
G. Clooney fait ici un film authentique sur le courage exceptionnel
d’un journaliste intègre. Il utilise le noir et blanc
manière de prendre de la distance avec les commentaires et
de fixer les propos les plus polémistes de l’époque.
Il crée une ambiance feutrée qui tranche avec le combat
« des requins » dans lequel on ment à voix haute
et on chuchote les vérités. C’est un film sur les
coulisses d’une rédaction avec des images magnifiques,
ciselées par les volutes de la fumée des cigarettes,
le tout sur un fond de jazz.
Le réalisateur reste concentré sur l’aspect éthique
du sujet : la liberté à tout prix face à un pouvoir
tyrannique, y compris face à la presse écrite, radiophonique
et télévisuelle, le « quatrième pouvoir
». C’est une leçon pour notre époque, pour
le peuple américain. A la différence du cinéaste
Michaël Moore, Clooney n’attaque pas violemment Bush mais
utilise une méthode bien plus probante : il loue le journaliste
E. Murrow et souligne la nécessité d’appliquer
le droit et de respecter les autres.
Ce film mérite considération tant pour sa réalisation
que pour son éthique. 
Pierre Nambot
|

|
|