L'honneur de l'homme
Nous avons le désir de nous changer. Nous avons tous, au fond
de nous-mêmes, le désir de renoncer à nos vices,
à nos esclavages, à nos mauvais penchants. Certes, ce
désir est particulièrement net chez tous ceux qui se sentent
prisonniers d'une sorte d'esclavage infernal, les alcooliques, les prisonniers
réci-divistes... mais, Dieu merci, il est aussi présent
chez chacun d'entre nous.
Ce désir de se changer, c'est l'honneur de l'homme, et peut-être
le propre de l'homme.
Au fond, ce à quoi nous aspirons, c'est à une «
nouvelle naissance ». Oui, « naître de nouveau »
(cf Jean 3,3), ou plutôt renaître en étant à
la fois soi-même et un autre, voilà ce que nous voudrions
pouvoir faire.
Mais est-il possible de se changer ? Voilà la question.
Ce qui pose problème dans cette question, c'est le «
se ». Peut-on se changer ? Peut-on se changer par soi-même
? Ce serait beaucoup plus facile de répondre à la question
« peut-on changer ? ». Nous savons bien que nous changeons,
et que la vie nous change. Nous sommes changés par les épreuves
que nous subissons. Perdre ses parents, cela nous change. Perdre un
enfant, encore plus. Les échecs nous changent aussi, et aussi
le fait de vieillir. Les souffrances nous changent. Cioran a écrit
: « Tant qu'on n'a pas vraiment souffert, on vit souvent dans
le faux et le faux-semblant », on triche, on parade, on «
se fait mousser ». En revanche, lorsque l'on a souffert, on apprend
à devenir humble, humble vis-à-vis de soi-même et
compréhensif vis-à-vis d'autrui. On peut aussi d'ailleurs
devenir plus agressif et plus « réactionnaire ».
Mais, de toute manière, on change.
Mais la question posée, c'est « peut-on se changer ?
» Peut-on se changer par sa volonté, par ses efforts ?
Pour tenter de répondre à cette question, je partirai
d'un texte biblique : la parabole du fils prodigue (Luc 15). Cette parabole
concerne d'ailleurs non seulement le fils prodigue mais aussi son frère
aîné.
Le fils prodigue et le fils aîné de la parabole.
Le fils prodigue, après avoir mené une vie de liberté,
de débauche et aussi de misère décide de rentrer
à la maison paternelle. Il décide de changer de vie et
aussi de se changer. Lui qui a voulu être un homme libre, il veut
devenir un simple serviteur de son père.
Comment en est-il venu à vouloir se changer et peut-être
à pouvoir se changer ? Après avoir quitté la maison
paternelle, il a dépensé tout son bien dans la débauche.
Il s'est retrouvé à un rang de « sous-cochon »
(il ne s'autorise même pas à manger la nourriture des cochons).
Alors qu'il avait choisi la liberté, il a le sentiment d'avoir
été « coincé » par lui-même.
Sa liberté s'est retournée contre lui.
Et c'est pourquoi il « implose », contre lui-même.
Ainsi, c'est son dégoût de lui-même qui change le
fils prodigue. Il a été « eu » par lui-même.
Il est devenu esclave de son propre désir de liberté.
Et il décide de rentrer à la maison paternelle pour pouvoir
devenir un serviteur. Pour ne plus avoir à se poser des questions.
Pour ne plus avoir à faire de choix. C'est peut-être là
la vraie liberté .
Quant au fils aîné, il se pourrait bien qu'il décide,
lui aussi, de changer de vie et aussi de se changer. Il commence par
mener une vie sage et réglée chez son père. Mais,
après le retour de son frère cadet, il refuse de rentrer
dans la maison et de partager le repas du veau gras. Et peut-être
va-t-il quitter la maison paternelle, comme son frère cadet l'avait
fait quelques années plus tôt. L'histoire ne le dit pas.
Mais on peut l'imaginer. Lui qui a vécu des années durant
comme un simple serviteur de son père, il veut peut-être
devenir un homme libre. Comment en est-il venu à changer, à
se changer ?
Le fils aîné est resté à la maison paternelle,
sage comme une image. Il est considéré par tout le monde
comme un bon fils, un bon serviteur. Mais en fait il occulte une part
de lui-même. Il est coincé par l'image que les autres se
font de lui. Les autres, c'est son père qui ignore la véritable
nature de son fils (ils ne se sont jamais vraiment parlé), et
aussi ses amis qui le considèrent comme inapte aux réjouissances.
Et c'est pourquoi le fils aîné explose (alors que le
fils prodigue implose). Il explose contre ce qu'« on » a
fait de lui. Il laisse exploser son appétit de vie et de liberté.
Et il décide peut-être de quitter la maison paternelle,
en jetant son bonnet (et sa vie d'enfant sage) par dessus les moulins.
Partir, pour devenir un homme nouveau. Partir pour aller « vers
lui-même », vers la réalisation de ce qu'il est en
vérité.
Ainsi cette double parabole s'organise comme un chassé-croisé.
Le fils aîné, s'il s'en va, pourrait bien se changer en
fils prodigue. Et le fils prodigue, en rentrant chez son père,
pourrait bien se changer en fils aîné.
Mais, maintenant, à partir de ces deux exemples, venons-en
à la question « comment peut-on se changer ? »
Le déclic de l'émotion
Je commencerai par un propos pessimiste. A mon avis, on ne peut pas
se changer par le seul ressort de la volonté et de la décision.
L'effort ne suffit pas. La bonne volonté, les bonnes résolutions
ne sont guère efficaces. Les changements opérés
par la seule volon-té ne tiennent pas longtemps.
Notre manière de nous comporter relève pour une large
part de l'involontaire. Nous réagissons en fonction de la situation
où nous sommes placés. Et nous le faisons par des schémas
comportementaux qui sont plus ou moins déterminés, plus
ou moins involontaires. Et ce qu'il y a en nous d'involontaire (notre
caractère, mais aussi nos habitudes et nos schémas comportementaux
stéréotypés) ne peut guère être changé
par la seule volonté. Certes on peut faire des efforts pour tenter
d'adopter des comportements diffé-rents. Mais cela ne suffit
pas. La nature et les stéréotypes comportementaux reprennent
vite le dessus.
On ne peut pas changer par la seule volonté. Le fils aîné
ne peut se changer par une décision « à froid ».
Et il en est de même pour le fils prodigue.
Ce qui peut nous changer, c'est un bouleversement émotif à
l'intérieur de nous-mêmes. Seul un bouleversement émotif
peut casser nos stéréotypes comportementaux.
C'est justement parce que l'émotion est de l'ordre de l'involontaire
qu'elle peut agir sur l'involontaire de nos habitudes comportementales.
L'émotion agit en tant que déclic. C'est elle qui produit
l'énergie qui nous fait prendre la décision de nous changer
et peut nous rendre effectivement apte à changer.
- Le premier de ces déclics émotifs pouvant susciter
un changement, c'est l'humiliation, c'est-à-dire une blessure
narcissique forte. Garder les cochons passe encore, mais mourir de faim
alors qu'eux s'empiffrent, c'est trop. Je ne peux pas continuer à
m'avilir à ce point. Trop, c'est trop. Même lorsque, toute
honte bue, on a été au plus loin de l'abjection, il peut
se produire un déclic qui retourne les choses et vous empêche
d'aller plus loin.
- Le deuxième de ces déclics possibles, c'est la peur.
Ce qui motive la conversion du fils prodigue, ce n'est pas la repentance,
c'est plutôt la peur de ce qu'il va lui arriver s'il ne change
pas. Ainsi le déclic du changement de comportement, ce n'est
pas l'espoir, c'est bien plutôt la peur.
- Le troisième des déclics émotifs pouvant susciter
la possibilité de se changer, c'est la révolte. Ainsi
le fils aîné de la parabole, à l'occasion d'un incident
fortuit (le retour du fils prodigue et la fête que le père
organise en son honneur), explose de colère contre son père
mais aussi contre les humiliations qu'il a endurées jusqu'alors.
Les humiliations produisent très rarement l'humilité.
En revanche elles produisent la révolte. Et c'est cette révolte
qui peut susciter chez le fils aîné l'énergie suffisante
pour décider de quitter la maison paternelle, avec les risques
que cela com-porte. La révolte nous donne l'énergie de
vouloir que les choses changent et de pouvoir les faire changer.
- Le quatrième des déclics émotifs possible,
c'est la jalousie. Le fils aîné est jaloux de la vie du
fils cadet, ou plus exactement de l'image qu'il se fait de cette vie.
Et c'est cette jalousie, cette rivalité mimétique qui
peut le conduire à changer de vie et à se changer.
Mais cette envie de faire comme l'autre peut aussi prendre une forme
plus noble que celle de la jalousie. Elle peut susciter aussi un désir
de suivre l'exemple de l'autre qui prend la forme d'une vocation, d'un
appel. Ainsi la lecture de récits sur la vie du docteur Schweitzer
a suscité bien des vocations à se mettre au service des
plus défavorisés. De fait, l'exemple de tiers peut induire
des décisions et des retournements spectaculaires.
- Autre déclic émotif possible pouvant susciter l'aptitude
de se changer : la prise de conscience du mal que l'on fait. L'émotion
que l'on peut ressentir en découvrant que l'on fait souffrir
autrui peut être un vecteur de changement et de conversion extrêmement
fort.
- Je mentionnerai enfin un autre déclic émotif possible
: l'amour. L'amour non seulement nous change mais permet de nous changer.
L'amour peut faire de nous un autre homme.
Ainsi, pour conclure sur ce point, disons que la décision de
se changer, pour être efficace, doit prendre appui sur une émotion
vive .
En fait l'émotion est révélatrice sur deux points
déterminants :
. Elle est révélatrice d'une « facette de soi
» qui avait jusqu'alors été occultée et qui,
en étant mise à jour, va pouvoir susciter un nouveau comportement.
Ainsi le fils prodigue n'était pas, au fond de lui-même,
uniquement libertaire et aventureux. L'émotion qui le saisit
(le dégoût de lui-même, la peur de l'avenir) lui
révèle qu'il y a en lui, occulté jusqu'alors, un
aspect de lui-même prudent et casanier. Et c'est cette «
facette » qui va alors prendre le pas et destituer le pouvoir
de sa « facette » libertaire. Et de même le fils aîné
n'était pas au fond de lui-même uniquement discipliné
et masochiste. L'émotion qu'il ressent au retour de son frère
(faite de révolte et de jalousie) lui révèle qu'il
y a aussi en lui, occultée jusqu'à ce jour, une facette
libertaire, individualiste et aventureuse.
. L'émotion révèle aussi de désir de changer
de situation. Le fils prodigue découvre qu'il n'est pas fait
(ou qu'il n'est plus fait) pour une vie de nomadisme et de précarité
et qu'il est aussi fait pour une vie (une situation) de sécurité
sédentaire. Et le fils aîné découvre (sans
doute) qu'il n'est pas fait (ou qu'il n'est plus fait) pour la vie dans
la maison paternelle et qu'il lui faut se placer dans une autre situation,
celle d'une vie aventureuse et libre.
Le changement de situation permettra l'expression de nouvelles potentialités
de notre moi qui étaient déjà présentes,
mais occultées en nous. Lorsqu'il sera de retour à la
maison paternelle, le fils cadet exprimera sa facette « fils aîné
». Et le fils aîné, s'il quitte la maison paternelle,
exprimera à sa facette « fils prodigue ». Le changement
de situation leur permettra de contracter de nouvelles habitudes comportementales,
c'est-à-dire de nouveaux « jeux de rôle » comportementaux.
Ainsi il y a en chacun de nous différentes facettes, on pourrait
dire différents « petits moi » qui se manifestent
tour à tour en fonction des situations dans lesquelles nous nous
trouvons fortuitement ou de celles dans lesquelles nous nous plaçons
volontairement. Changer, c'est changer de facette.
La réalisation du changement
Ainsi la clé du changement, si clé il y a, c'est le
changement de situation. En effet « ce que nous sommes »
relève certes pour une part de notre nature, mais aussi, pour
une part très importante de la situation dans laquelle nous sommes.
Notre comportement est profondément déterminé
par la situation dans laquelle nous sommes. Si M. Dupont est simple
employé dans une société, il aura un comportement
donné (il sera par exemple passif, revendicateur...). Mais si
on lui confie une responsabilité et un certain pouvoir, il est
probable qu'il changera radicalement de comportement et pourra devenir
tyrannique, quitte à retrouver son premier comportement s'il
retourne à la base. De même, M. Durand pourra avoir des
comportements très différents au travail et en famille,
avec son épouse et avec sa maîtresse. Il pourra changer
de comportement à l'occasion d'un remariage, surtout si ses deux
épouses successives sont très différentes l'une
de l'autre (il y a cependant des stéréotypes qui restent
parce que, même avec des épouses différentes, la
situation d'époux reste déterminante).
Ainsi, à l'occasion d'un changement de situation et d'environnement,
certains des aspects de notre moi seront occultés et d'autres
auront la possibilité de s'exprimer d'avantage. Et nous ne seront
plus « le même », du moins en apparence ! Nous changeons
d'habitudes comportementales. Notre comportement s'agence et s'ordonnance
de manière différente.
On peut se demander si, pour se changer, il est absolument nécessaire
de changer de situation (par exemple de conjoint, de profession, de
contexte), ou si une forte émotion peut suffire. On peut espérer
qu'une forte émotion puisse suffire. Mais ce n'est pas certain.
Si l'émotion n'est pas suivie d'un changement de situation (ou
d'un profond changement dans la manière de voir la situation),
les anciennes habitudes reprennent vite le dessus. Chassez le naturel,
il revient au galop !
La foi nous change-t-elle ?
Pour savoir si la foi peut nous changer, il faut se demander si ceux
qui ont découvert la foi, autrement dit ceux qui se convertissent,
changent, ou mieux, se changent par le fait même de découvrir
la foi.
Il y a incontestablement de nombreuses personnes qui ont profondément
changé de vie lorsqu'elles ont découvert la foi. On pense
à Saint-Augustin, à Saint-François d'Assise, et
à bien d'autres.
La conversion religieuse, au fond, c'est, d'abord et avant toute chose,
une décision de se changer. Et ce changement peut se manifester
de trois manières différentes.
- Tout d'abord la foi permet, me semble-t-il, d'accepter des renoncements
et même de les vouloir. La notion de sacrifice est consubstantielle
à la découverte de la foi. La découverte de la
foi ne permet pas toujours d'embrasser une vie nouvelle, mais elle nous
aide à sacrifier ce qui était le moteur de la vie passée
: le plaisir, la gloire, l'ambition. La foi conduit indubitablement
à une forme de renoncement. Elle conduit même à
une sorte du goût du renoncement comme si le renoncement était
la preuve que l'on se donne à soi-même que l'on a découvert
la foi. Je fais des sacrifices, donc je crois. Je cesse de lire des
livres pornos, je renonce à une liaison adultérine, j'abandonne
un métier lucratif pour partir en mission, je verse à
l'Eglise la dîme de mes revenus. C'est là le phénomène
des voeux qui répond à un besoin de sacrifice.
- La foi permet-elle de découvrir un sens à sa vie ?
De fait, la conversion survient souvent à un moment où
on est saisi par l'absurdité de sa vie. Ainsi Saint-Augustin,
avant d'adhérer au christianisme, avait vécu « une
première conversion ». En lisant un ouvrage de Cicéron,
il avait été saisi par le sentiment de la vanité
de l'existence et de toutes les espérances humaines.
Mais la question est de savoir si, en se convertissant, on se guérit
de ce sentiment de vanité et d'absurdité de la vie. C'est
le cas pour certains mais pas forcément pour tous. En effet Saint-Jean
de La Croix dit bien que c'est « la nuit » qui sut le guider,
et que, même par la foi, il marche toujours de nuit. Pour moi-même,
je dirai que ma conversion personnelle, à l'âge de seize
ans, m'a permis plutôt d'accepter l'absurdité de la vie
que je ressentais intensément. Cette absurdité a alors
cessé d'être tragique. Et ce grâce à la découverte
de la notion de « justification par grâce seule ».
Confesser sa foi, c'est reconnaître joyeusement que sa vie n'a
pas de justification par elle-même (qu'elle n'a pas de sens par
elle-même, qu'elle n'a pas de raison d'être par elle-même,
qu'elle est absurde en elle-même) parce qu'elle n'a de justification
que parce que Dieu, et Dieu seul, lui trouve un sens et lui donne un
sens. Je m'en remets à Dieu pour ce qui est du sens de ma vie
et du sens de ce que j'ai à faire. Et de ce fait je cesse d'être
préoccupé par le sens, ou l'absence de sens, de ma vie.
C'est, peut-on dire, la forme luthérienne de l'« amor
fati », du consentement au destin. Il est certain que cela vous
change : au lieu du souci de soi, une sorte de désinvolture joyeuse
; au lieu de l'angoisse d'avoir à trouver un sens à sa
vie, une forme de sérénité à dire «
vanité des vanités, et tout est vanité ».
La foi, c'est dire : je ne sais, Dieu le sait.
- Troisième changement possible par la découverte de
la foi. On dit que la démarche de la foi permet d'« aller
vers soi », vers sa vérité. Et on cite l'appel fait
à Abraham « Quitte la maison de ton père, va vers
toi-même ». Mais je ne suis pas sûr que la foi nous
incite à aller vers « nous-mêmes ». Elle nous
incite plutôt à aller vers « le Christ » qui,
par la foi, vit en nous.C'est plutôt aller vers une dépossession
et une destitution de ce que l'on est par soi-même, ou, en tout
cas, vers une sorte d'indifférence à ce que l'on est par
soi-même. On est porté et conduit dans sa vie par un autre
Maître que soi-même. Se changer, ce n'est donc pas tant
devenir soi-même (même si ce soi-même a toujours été
plus ou moins occulté par les circonstances, le devoir que l'on
se donne et aussi la pression du regard des autres sur vous). Se changer
par la foi, c'est aller vers l'étran-ger (ou l'Etranger) qui
est en soi. C'est devenir d'une certaine manière, étranger
à soi-même. On cesse de « faire un » avec soi-même.
C'est devenir « étranger et voyageur sur cette terre »
(Heb. 11, 13) et en particulier étranger à soi-même.
Pour Simone Weil, le fait d'aimer l'étranger comme un autre
soi-même implique que l'on ait à s'ai-mer soi-même
comme un étranger et à aimer l'étranger (l'Etranger
?) qui est en soi.
Alain
Houziaux
Pour quelles raisons pourrait-on avoir encore besoin d'une religion
?
Je précise d'abord la manière dont je comprends cette
question.
. Je ne rentrerai pas dans la distinction que l'on fait souvent entre
la « foi » et la « religion ». La « religion
» serait l'expression d'un sentiment plus ou moins ambigu, mêlé
de superstition, de crainte et de magie. La « religion »
serait, paraît-il, tout à fait différente de la
« foi » chrétienne qui, elle, serait la décision
libre, gratuite et désintéressée de reconnaître
la seigneurie de Jésus-Christ. Et c'est pourquoi des théologiens
protestants tels que Bultmann, Bonhoffer et même Karl Barth ont
prétendu que la foi chrétienne devait être non religieuse.
Mais, à mon avis, il faut considérer le christianisme
comme l'une des religions. La foi chrétienne est une manifestation
religieuse parmi d'autres. Je définis la religion comme un phénomène
social qui implique des croyances, des rites et une communauté.
Je ne lui donne pas un sens péjoratif.
Il faut en effet faire la différence entre la religion et la
superstition. Etre religieux, c'est une disposition intérieure
et c'est d'abord une forme de vénération de Dieu ou des
dieux. Et même si l'on craint ces dieux, on tente néanmoins
d'obtenir d'eux des manifestations de bienveillance. Et être superstitieux,
c'est respecter un certain nombre de tabous. La superstition est constituée
de pratiques extérieures, arbitraires et formelles ayant par
elles mêmes un pouvoir « ex opere operato », sans
référence directe à un au-delà qui serait
celui des dieux.
. Je ne jouerai pas non plus sur le sens du mot « besoin ».
Je sais bien que certains peuvent considérer que la « foi
» et même la « religion » ne sont pas des besoins
parce qu'elles seraient des réponses à un appel venu d'En-haut.
Mais, que cela soit vrai ou non (et c'est sans doute vrai), il n'en
reste pas moins qu'il peut y avoir en l'homme un besoin de religion
et des « besoins religieux ». J'entends le mot « besoin
» dans un sens psychologique très général.
« Un besoin est une exigence née de la nature ou de la
vie sociale » (le Robert). On peut avoir besoin d'une religion
comme on peut avoir besoin d'exprimer son affection.
Les besoins auxquels la religion ne peut répondre
Donc, pour quelles raisons aurions-nous, même aujourd'hui, encore
besoin d'une religion ? Dans un premier temps, nous allons présenter
trois raisons qui sont souvent invoquées mais qui, à notre
avis, ne sont ni valables ni pertinentes.
La première des raisons
que l'on invoque, c'est celle-ci : « avoir de la religion »,
cela permet d'« avoir de la morale ». Et c'est pour cela
que, même encore aujourd'hui, on aurait besoin d'avoir une religion.
On suppose souvent que, si l'on n'a pas de religion, tout est permis
et qu'on peut mener, impunément et sans scrupules, une vie tout
à fait immorale. On entend souvent dire « si on ne croit
pas en Dieu, on peut faire n'importe quoi ». Ainsi si l'on envoie
les enfants au catéchisme, c'est bien souvent pour leur donner
une éducation morale.
Et pourtant, on finit par découvrir, petit à petit,
que les gens qui « ont de la religion » ne se conduisent
pas mieux que les autres. Mais on persiste néanmoins à
confondre religion et morale, et ce même si les bons prêtres
et les bons pasteurs vous expliquent que Jésus a pris la défense
des femmes de mauvaise vie et aussi celle des collecteurs d'impôts
qui n'étaient pas toujours très honnêtes.
En fait, la religion et la morale, ce sont deux choses assez différentes.
La religion n'est pas de l'ordre de la morale, elle est de l'ordre de
la quête de la vérité. Les religions sont d'abord
un enseignement et une prédication. Et cette prédication,
elle porte sur les origines du monde, sur le sens de cette vie-ci, et
aussi, dans la plupart des cas, sur ce qui nous attend après
la mort. Et le message éthique de la religion est en fait secondaire.
Deuxième raison invoquée
pour dire que l'on a besoin d'une religion : « avoir de la religion
» nous permettrait d'être plus heureux. La religion nous
donnerait une certaine forme de sécurité intérieure,
une sérénité et peut-être une sorte de détachement
vis-à- vis des choses de ce monde et des problèmes de
la vie.
Ce n'est pas absolument faux, loin de là. Nous connaissons
tous des personnes, qui, avec une sorte de candeur, acceptent tout ce
qui leur arrive, même les épreuves, avec la certitude que,
quoiqu'il arrive, elles restent « entre les mains de Dieu ».
C'est incontestable, la religion, semble-t-il, les aide à supporter
beaucoup d'épreuves.
Mais les personnes qui disent être sereines grâce à
leur foi ont sans doute une prédisposition intérieure
naturelle (et peut-être même innée) à cette
sérénité. A mon avis, elles auraient été
aussi sereines si elle n'étaient pas croyantes. Et, inversement,
je ne pense pas qu'une personne qui est naturellement angoissée
puisse trouver la paix et le bonheur par le simple fait qu'elle se convertisse
à la foi.
Ainsi, il ne me semble pas que la religion puisse donner par elle-même
le bonheur. Et je ne sais pas si la proportion de gens heureux est plus
importante dans les églises, synagogues et mosquées qu'ailleurs.
Il me semble que parmi les gens religieux, il y a autant d'inquiets
qu'ailleurs et que les grands maîtres spiri-tuels (Moïse,
David, Jésus...) n'étaient pas particulièrement
sereins.
Les livres saints sont rarement des écoles de sagesse. Il y
a certes des exceptions (par exemple le livre de l'Ecclésiaste).
Mais ces livres de sagesse sont souvent assez peu religieux.
Les livres saints, et en particulier la Bible, apportent souvent moins
de consolation que certains ouvrages qui ne sont pas spécifiquement
religieux (je pense à Christian Bobin ou au Prophète de
Khalil Gibran, ou aux ouvrages d'Elisabeth Kübler-Ross sur l'après-mort).
Troisième raison pour laquelle
on pourrait avoir besoin d'une religion : avoir une religion permettrait
d'être intégré à une communauté, à
une sorte de famille spirituelle.
C'est sans doute vrai. De fait, on peut constater qu'aujourd'hui,
les religions qui retiennent le plus de fidèles sont celles qui
procurent une réelle identité communautaire. Je pense
au judaïsme, à l'islam, et aussi au catholicisme. Au contraire,
le protestantisme (du moins le protestantisme des Eglises réformées
et luthériennes traditionnelles) fait moins recette, car il est
trop tolérant et ouvert, et il n'est pas assez structuré
par un dogmatisme contraignant et par des rituels exigeants. C'est vrai,
les religions identitaires et plus ou moins sectaires procurent un sentiment
de sécurité . Et c'est pourquoi je pense qu'au XXIe siècle,
les communautés religieuses qui résisteront le plus seront
celles qui offriront une réelle vie communautaire.
Mais je veux ajouter un point, ou plutôt un contrepoint. Depuis
quelques décennies, les personnes qui se considèrent comme
« religieuses » n'ont plus tellement besoin de ces communautés
fortement identitaires. Elles se construisent une religion personnelle
« à la carte », en marge de toute communauté
structurée. Et elles deviennent souvent des nomades allant d'une
communauté à l'autre, sans vraiment chercher une intégration
ou une identification réellement efficace.
Actuellement, il y a une dissociation entre le besoin religieux et
le besoin d'une communauté. Les besoins religieux d'aujourd'hui
ne sont plus des besoins d'identification communautaire.
En conséquence, à
la question « avons-nous encore besoin d'une religion ? »,
nous présentons donc une première réponse plutôt
négative : la religion et les religions traditionnelles ne peuvent
répondre ni à notre besoin de morale, ni à notre
besoin de bonheur. Quant au besoin d'appartenir à une communauté,
il ne faut pas le confondre avec le besoin d'avoir une religion.
Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons plus besoin de religion.
Cela veut simplement dire qu'il ne faut pas demander à la religion
de répondre à des besoins qui ne sont pas de son ressort.
Nous ne pouvons avoir besoin d'une religion que si nous avons encore
des besoins qui sont effectivement des besoins religieux.
Et c'est pourquoi, la question qu'il nous faut en fait poser, c'est
celle-ci : aujourd'hui, sommes-nous encore habités par des besoins
que l'on peut considérer comme étant, à proprement
parler, de nature religieuse ? Et les religions d'aujourd'hui peuvent-elles
y répondre ?
Les besoins auxquels la religion peut répondre
Eh bien oui, nous avons encore besoin d'une religion. En effet, me
semble-t-il, il y a encore chez l'homme d'aujourd'hui des besoins que
l'on peut qualifier de religieux et auxquels les religions d'aujourd'hui
(et en particulier le christianisme) peuvent répondre.
Le premier de ces besoins, c'est
celui d'un langage qui permette d'exprimer un certain sens de l'infini,
de la transcendance, du mystère, du divin, de l'au-delà
qui est en nous. Ce besoin de dire l'indicible d'un au-delà du
monde visible et connaissable reste toujours présent chez l'homme
d'aujourd'hui. Et nous avons aussi besoin d'un langage pour dire la
culpabilité, l'espérance, le sentiment d'être exilé
dans ce monde, le désir d'aimer et d'être aimé.
Et ce besoin d'un langage du mystère et de la vérité
profonde de la vie, les reli-gions d'aujourd'hui peuvent continuer à
le satisfaire.
En effet, le langage des mythes et des symboles offerts par les religions
est plus adapté à cette deman-de que celui des concepts
intellectuels de la philosophie.
Je suis frappé de voir combien d'écrivains même
agnostiques (tels que Camus, Gide, Valéry ou Malraux) recourent
constamment à un langage emprunté à la Bible, à
ses mythes, à ses symboles et à son vocabulaire pour exprimer
le sens qu'ils ont de l'aventure humaine et du mystère de la
vie. Les titres de leurs ouvrages en témoignent (La Porte étroite,
Si le grain ne meurt, L'Exil et le royaume, La Chute, Le Premier Homme...).
Même si ces écrivains n'ont pas à proprement besoin
d'une religion, ils ont néanmoins besoin qu'il y ait des religions.
Ainsi le langage des religions est une boîte à outils
précieuse et même semble-t-il indispensable pour permettre
l'expression de besoins fondamentaux de l'homme. Parmi ces besoins,
certains sont de types religieux ou mystique (je constate qu'un nombre
considérable d'écrivains agnostiques et non religieux
se disent mystiques), et d'autres sont plus existentiels et psychologiques.
Mais, quoi qu'il en soit, pour exprimer ces besoins, le langage qu'offrent
les religions et les mythologies est infiniment plus riche et plus évocateur
que celui de la psychologie et la philosophie.
Par rapport à ce besoin de langage, les religions (dans leurs
livres saints et même dans leurs catéchismes) restent un
« organum » et un « clavier » tout à
fait utile et fructueux.
Ainsi le langage religieux, et de façon plus générale
la religion, permet d'exprimer l'inexprimable d'une quête, d'un
appel, d'une vocation, d'une asymptote de ce monde avec l'infini, l'éternité
et la lumière d'un soleil invisible.
Se priver du langage religieux et des ressources qu'offrent les religions,
c'est s'amputer de la possibilité d'exprimer la face invisible
de l'homme et du monde. Et ce, même les agnostiques, et peut-être
même surtout les agnostiques, l'ont compris.
Ainsi le besoin d'une religion, c'est d'abord le besoin d'une poétique,
d'une symbolique, de récits et de paraboles pour dire «
Dieu », c'est-à-dire l'appel vers ce « Dieu »
et le besoin de ce « Dieu » qu'il y a pratiquement en tout
homme, et ce même si certains récusent le terme de «
Dieu » et la foi en ce Dieu.
La deuxième raison pour
laquelle nous avons besoin d'une religion, c'est celle-ci : aujourd'hui
autant qu'hier, nous avons besoin de nous sentir aimés, compris,
protégés, je dirais même « maternés
». En fait, ce besoin me paraît être plus fondamental
que le besoin d'être heureux. Et alors que la religion ne peut
pas vraiment répondre au besoin d'être heureux, elle peut
répondre à ce besoin d'une forme de protection et de bénédiction
sur nos souffrances, nos faiblesses et nos misères.
En fait, les religions répondent à ce besoin de consolation
à propos de nos souffrances. Et elles le font bien mieux que
bien des psychothérapies. En effet, elles annoncent des modes
de salut et elles promettent une délivrance soit dans l'au-delà,
soit même dans l'ici-bas.
Mais, ce qui compte au moins autant, c'est qu'elles nous donnent des
exemples et des modèles de héros et de saints qui ont
souffert comme nous. Et ces « serviteurs souffrants » deviennent
des compagnons et des soutiens pour nos propres itinéraires.
Ce n'est pas un hasard si les saints du calendrier liturgique de l'Eglise
catholique ont tous d'abord été des martyrs. Et ce n'est
pas un hasard non plus si le récit de la Passion de Jésus-Christ
reste le thème central des tableaux et des vitraux des églises.
Nous avons besoin d'une religion de proximité et de compassion
plus encore peut-être que d'une religion d'évasion et de
rêve.
Nous avons besoin de cantiques et de psaumes qui nous permettent d'exprimer
notre plainte, notre solitude et notre prière et qui nous annoncent
aussi que nos appels sont entendus. Ces chants et ces prières
que nous proposent les Eglises et les religions, ils nous accompagnent
et nous rassurent. Ils nous fortifient. Et c'est là l'essentiel.
Le livre de l'Exode (qui est le récit d'une marche au désert),
le livre de Job (qui exprime la plainte des hommes), et le récit
de la Passion de Jésus sont pour nous bienfaisants et secourables
tout comme le sont, pour beaucoup, les chemins de croix et les calvaires
de nos campagnes. Nous ressentons les Hébreux du désert,
le Psalmiste, et Jésus lui-même comme solidaires de nos
souffrances et comme aptes à exprimer nos angoisses et nos plaintes.
Et c'est cela qui nous importe d'abord, beaucoup plus sans doute que
des discours dogmatiques, intellectuels et abstraits qui nous assèneraient
des vérités soi disant tombées du ciel. Nous avons
besoin d'une religion qui nous accompagne dans nos épreuves et
non pas d'une religion qui nierait ces épreuves. Nous avons besoin
d'une religion de compassion et non pas d'une religion d'héroïsme
et de stoïcisme.
Et, il me semble que les religions, et peut-être plus particulièrement
les religions d'aujourd'hui répondent à ce besoin d'être
accompagné dans l'épreuve. Le christianisme en particulier
a su aujourd'hui se faire plus humble, plus humain, plus fraternel et
plus attentif à la misère et à la souffrance des
hommes. Il répond mieux à ce besoin d'être consolé.
Il a cessé de prêcher la colère et le Jugement de
Dieu. Il excommunie moins qu'avant.
Les Eglises d'aujourd'hui sont moins exi-geantes et envahissantes.
Elles respectent les ambiguïtés et les faiblesses de la
nature humaine.
Tertio. Nous l'avons dit, le besoin
que nous avons d'une religion peut, pour certains, s'exprimer comme
un besoin d'appartenir à une communauté structurant une
identité collective forte. Mais je pense que, aujourd'hui, notre
besoin fondamental n'est pas là. Il est plutôt un besoin
de communion et de d'émotion. Nous avons besoin d'exprimer des
émotions et de communier dans ces émotions.
Je sais bien que toutes les émotions collectives ne sont pas
forcément de nature religieuse. Le sport le montre bien. Mais
il y a des émotions que seules les célébrations
religieuses permettent d'exprimer. Je pense au besoin de fraternité
devant les épreuves et les souffrances, au besoin d'une espérance
inconditionnelle et aussi à cette émotion, que l'on appelle
la prière, que l'on éprouve devant l'Infini et l'Au-delà.
En fait, le besoin de Dieu est une émotion, et la foi est d'abord
une forme d'affectivité. Et pour exprimer cette émotion,
il nous faut des célébrations religieuses.
Et ce besoin de célébration n'est pas incompatible avec
ce que nous avons appelé le goût du nomadisme spirituel
et de la « religion à la carte ».
En effet, ce qui me frappe dans les grands rassemblements charismatiques
et de style JMJ, c'est que l'on prie ensemble sans pour autant prier
par des prières stéréotypées identiques.
Autrement dit, le besoin d'une religion n'est plus le besoin d'un dogmatisme
uniforme ni celui d'une soumission à des rituels identitaires.
Il est plutôt le besoin d'une affectivité chaleureuse et
contagieuse qui permet, le temps d'une célébration, d'un
rassemblement ou d'une fête, d'ou-blier la solitude et le stress
des rapports de force du quotidien. Et les religions, même les
religions traditionnelles, se sont bien adaptées à ce
« new âge » de l'effusion, de la convivialité
et de la communion spirituelle.
Le besoin d'une religion répond au besoin de vivre avec d'autres
les mêmes valeurs, la même spiritualité, les mêmes
expériences, dans une sorte de « communion des saints ».
Il répond au besoin de transmettre à ses enfants ce que
l'on a reçu de ses parents. Le besoin d'une religion exprime
le besoin de faire partie d'un peuple qui s'entraide pour « cheminer
» et vivre ensemble le courage, l'espérance et le rêve.
Ainsi, nous avons donc toujours besoin d'une religion, mais ce besoin,
ce n'est plus d'abord celui d'une structure autoritaire et contraignante,
c'est d'abord un besoin de cérémonies, de rites et de
lieux où l'émotion puisse s'exprimer. Et je pense que
ce besoin de vivre ses émotions en communion avec d'autres a
et continuera d'avoir recours à des formes religieuses pour pouvoir
s'exprimer.
Ainsi, au XXIe siècle, plus encore qu'au XXe, nous aurons besoin
d'une religion.
La fonction régulatrice de la religion
J'ajoute encore deux points.
Au XXIe siècle, plus encore qu'au XXe siècle,
les hommes auront un besoin d'absolu, de consécration et même
de sainteté. Ils auront un besoin d'idéal, d'engagement.
Mais cela comporte des risques. Le besoin d'absolu peut devenir absolutisme,
totalitarisme et même fanatisme. Le besoin d'idéal peut
devenir idéalisme, aveuglement, refus des réalités
(cela est clair, dans les sectes). C'est pourquoi il est souhaitable
que ces besoins (qui peuvent facilement devenir pervers) s'expriment
dans des structures régulatrices. Et les religions traditionnelles
ont un rôle à jouer dans ce domaine.
Sans les structures, les enseignements, les rituels et les médiations
des religions traditionnelles, le besoin d'absolu peut virer au terrorisme.
Ainsi les religions traditionnelles auront demain un rôle éducatif.
Elles auront pour fonction de prolonger l'esprit des Lumières
et de la tolérance dans un monde où le besoin d'irrationnel
va sûrement s'amplifier, que ce soit dans l'orbite du Judaïsme,
ou dans celles du christianisme ou de l'islam.
Il me semble que les religions traditionnelles, après s'être
opposées à l'esprit des Lumières, seront, au XXIe
siècle, le meilleur vecteur de ce qu'il restera de cet esprit.
Et c'est pourquoi leur rôle sera indispensable.
Je ne crois pas qu'il puisse y avoir une foi indépendante
de toute « religion ». Je ne crois pas à une foi
démythologisée, purifiée, indemne de tout soupçon
de crédulité et même de superstition.
Une foi absolument pure de toute religion, qu'est-ce que ce serait
? Ce serait une sorte de théisme pour lequel Dieu serait seulement
un Principe tout à fait abstrait (celui de la transcendance pure).
Ce serait une sorte de mystique par laquelle on s'offrirait à
l'Ineffable, au Silence, au Rien et à la Nuit. Ou ce serait une
sorte d'humanisme pour lequel l'homme serait un dieu fait chair. Tout
ceci me paraît une manière de vouloir déguiser sous
les oripeaux de la foi un très réel athéisme. Les
athées, eux aussi, savent ce que sont la métaphysique,
la mystique et l'humanisme.
Il ne peut donc y avoir une foi qui serait non religieuse, c'est-à-dire
indépendante de toute la mythologie religieuse (les miracles,
les naissances virginales, les résurrections...). Une foi qui
serait indemne de toute religion, ce serait une foi qui ne croirait
ni en un Dieu personnel, ni en un Dieu intervenant dans les affaires
de ce monde, ni en un Dieu répondant aux prières. Ce serait
un Dieu abstrait, un Principe, une Idée. Ce ne serait pas un
vrai Dieu.
Il nous faut une religion qui nous donne du charnu à la vie,
à l'émotion et à la fraternité. Il nous
faut une religion qui donne de la vie à ces idées abs-traites
et intellectuelles que sont l'Infini, la Perfection et l'Eternité
Alain
Houziaux