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N° 172 - décembre 2003

( sommaire )

 

Cahier :

L'actualité des Vaudois,
Les Vaudois du Lubéron,
par Christian Mazel

Dédicace. Aux abonnés et lecteurs qui nous ont toujours soutenus et encouragés par leur fidélité et confiance au cours de ces 16 ans de correspondance et à qui (pour donner la parole a beaucoup d'écrivains) nous n'avons adressé que 2 « cahiers » de notre « cru ».

C. M.

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L'actualité du valdéisme

La spiritualité des Vaudois a évolué en 8 siècles.

Depuis la conversion de Vaudès en 1170 à Lyon jusqu'à aujourd'hui, en passant par l'assemblée des Barbes (prédicateurs itinérants) à Chanforan en 1532.

Par exemple, devant le pape Lucius III en 1184 Vaudès et ses disciples réclament la liberté d'annoncer l'Évangile pour les hommes et les femmes, clercs ou laïcs. Aux XVe et XVIe siècles, les prédicateurs doivent se cacher et vivre dans la clandestinité.

On retrouve des évolutions dans l'Église catholique romaine. Bossuet (1627-1704) serait interdit de chaire aujourd'hui : il était gallican. Depuis un siècle et demi, des dogmes essentiels ont été promulgués : Immaculée conception (1854), infaillibilité pontificale (1870), assomption corporelle de Marie (1950).

Mais il y a des constantes qui montrent à quel point la spiritualité vaudoise est en pleine actualité.

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LA PAUVRETÉ

Alors qu'un quart de la population mondiale est sous-alimentée et que cette question est une des plus urgente pour nous, Vaudès (comme François d'Assise dont la mère était très probablement de foi vaudoise) est scandalisé par la misère du peuple. Il veut que l'Évangile soit vécu. A Pentecôte 1173 il abandonne toute sa sécurité de marchand fortuné à Lyon pour partir à l'aventure en « pauvre ». La pauvreté n'a rien à faire avec le mérite. Elle est un moyen de liberté de mouvement et de prédication.

La discussion entre les Vaudois de la vallée du Pô (les « Lombards ») et ceux du Midi plus rigoristes à propos de l'opportunité d'avoir un métier (et donc une sédentarité) finit par trouver un accord fraternel à Pergame.

Les vaudois, inspirateurs des ordres franciscains et mendiants, ont vécu la solidarité avec les pauvres de toutes les époques.

On les a tout de suite appelés « les Pauvres de Lyon » ou les « les Pauvres du Christ ».

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AUTORITÉ DE LA BIBLE

Le symbole pictural des Vaudois est un chandelier allumé entouré des 7 étoiles (Églises de l'Apocalypse) et le devise « Lux lucet in tenebris ». La Lumière luit au sein des ténèbres : la Parole de Dieu.

Au XIIe siècle, une des premières actions de Vaudès fut de traduire les Écritures en langue vernaculaire. Il chargea le « grammaticus » Etienne d'Anse et le « copiste » Bernard Ydros de traduire des portions de la Bible pour être répandues.

On pouvait trouver sur certains marchés des fragments de Bibles historisées, glossées ou versifiées. Mais pour un parchemin avec une Bible complète il fallait les peaux de trente moutons.

C'est à dire une fortune. Qui peut acheter de pareils objets ?

Dans la bibliothèque Inguibertine de Carpentras (ancienne capitale du Comtat venaissin) une bible vaudoise de 1450 environ comporte le texte avec des prologues, gloses et indications en provençal. Cette Bible est une sélection de livres : des deutéro-canoniques sont en bonne place, mais il manque les livres pouvant induire à des spéculations doctrinales (Genèse... etc.). Les livres « sapienciaux » occupent une place centrale avec les Psaumes, le Siracide, la Sapience de Salomon...

Lors du célèbre synode à Chanforan (1532) avec des barbes venant des pouilles, de Provence, du Piémont, des Allemagnes et des communautés dispersées en Europe, une décision essentielle fût celle de traduire la Bible en français. Erasme, Lefèvre d'Etaples, Briçonnet et le groupe de Meaux faisaient les traductions à partir de la « Vulgate », en latin, de Jérôme. Les vaudois consacrèrent 500 écus d'or (un écu représente pour ces paysans une année de travail) pour que Pierre Robert Olivetan, cousin de Jean Calvin, puisse travailler deux année dans « les vallées » pour cette traduction. Pour eux l'autorité de la Bible surpasse celles des papes et des conciles. Les vaudois ont été les premiers à traduire la Bible en français à partir des textes originaux en hébreu et en grec.

Le geste qui marque le début du mouvement vaudois est l'envoi des disciples pour répandre l'Évangile et Vaudès part avec eux à l'aventure dès la fin du XIIe siècle.

Les barbes transportaient toujours la Bible avec eux. Ils la dissimulaient dans leur baluchon de colporteur.

Quand Griot est arrêté (fin octobre 1532 à Lourmarin dans une ferme), il possède des livres dans son sac : « un petit sachet de toile blanche ». Lors du procès inquisitorial, il est interrogé plusieurs fois sur le propriétaire de ces livres trouvés dans son sac. Il refuse de répondre : la question est trop dangereuse. En effet, la seule possession d'un livre est suspecte : les clercs sont les seuls enseignants patentés, autorisés et reconnus.

Les fermes et maisons où passaient « les barbes » possédaient une chambre à deux lits et une petite bibliothèque.

Par exemple, la maison de Collin-Pellenc, au Plat d'Apt, avait une pièce secrète où furent trouvés des livres « hérétiques » (1540) : une bible en français Olivetan, les Actes des Apôtres, un livre de polémique religieuse, une lettre, sans doute, de Calvin.

Autre exemple : Jean Serre, de Murs (maître d'école pour les jeunes barbes - dit « le boiteux de Murs » - avoue en 1536 posséder une bible en italien et un Nouveau Testament en Français.

Le jeune barbe Jean Griot (que nous avons déjà mentionné) lors de son procès à Apt par Jean de Roma en novembre décembre 1532 (8 interrogatoires avec les minutes du notaire des séances).

« Avant que l'on reçoive ung prescheur en leur secte, il faut qu'il soit bien approuvé. Et luy faict-on estudier le nouveau testament quatre ou cinq ans jusques à ce qu'ils scaichent tout par coeur, comme l'Évangile : sainct Mathieu et sainct Jehan, et les apostres Thimoteum et Titum et les épitres de sainct Jude. Et mesmement ledict qui parle dict qu'il scavait déjà scaint Mathieu et les épitres canonicalles en sa langue maternelle briansonnoys et deux chapitres de sainct Luc. En après, dict que quant les prescheurs s'en vont deux à deux il y ung qui est principal (pour Griot c'était Jean Gérault) et l'autre est son simple compagnon, lequel lui est donné pour plusieurs raisons. La première est pour apprendre le nouveau testament, la seconde pour soy exercer petit à petit en prédication, la tierce est pour porter tesmoignages à la congrégation si sondict maistre a été de bonne conversation.

Il a esté deux ans a estudier sainct Mathieu et les épîtres canonicalles soubs la doctrine et conseil de Jehan Serre de Murs et du bonnetier d'Avignon » (Guérin) (Follio 185).

Griot cite : Genèse 43 (Joseph en Egypte), Exode et Deutéronome pour la loi ecclésiastique et Maccabées II à peu près tous les livres du Nouveau Testament (16 sur 27) dont les plus importants, les 4 Évangiles.

La source de la foi vaudoise est la Bible.

Beaucoup rejettent au nom de l'enseignement biblique, le culte des saints, la confession auriculaire (à l'oreille du prêtre), le purgatoire, la prière en faveur des morts, l'obéissance aux supérieurs indignes, le sacrifice matériel de la messe, les indulgences. Ils n'admettent pas la peine de mort et sont végétariens avec intransigeance. L'un d'eux déclare : « Jésus n'a-t-il pas comparé ses disciples aux oiseaux du ciel et aux lys des champs : tels nous devons être ».

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MÉFIANCE A L'ÉGARD DES RITES, INSTITUTIONS, DOGMES

L'esprit vaudois s'oppose à tout ce qui est figé.

Vaudès apparaît à Lyon au XIIe siècle en pleine montée sociale des laïcs, des femmes et des marchands. Les marchands font éclater la société féodale. Leurs richesses dépassent parfois celles des propriétaires terriens. Les foires qui prennent de l'essor sont l'occasion d'échanges de marchandises et d'idées. Les développements économiques favorisent le brassage des monnaies et des livres. Et Lyon est articulation et jonction des terres de Provence et de France et les terres d'Empire germanique. Vaudès et le père de François d'Assise (Bernardone) ont été participants de ces foires de Lyon.

A la différence de François d'Assise, Vaudès n'a pas voulu que les disciples qu'il envoyait « deux à deux, pieds nus, vêtus de laine grossière, nus sur les pas du Christ nu » (note le prélat romain Walter Map chargé de l'enquête à leur sujet), portent un costume particulier. « Les Pauvres de Lyon » ne se signalent par aucun vêtement spécifique qui les distinguent des autres et constituent une organisation disciplinée ou autoritaire.

Seules les sandales rappelaient l'itinérance évangélique des disciples de Jésus en Galilée.

Avant la réforme et les affrontements doctrinaux (1540), les Vaudois ont peu pratiqué les confessions de foi.

Se distinguant des cathares, les Vaudois n'ont pas eu de rigoureuses structures d'Église alors que le mouvement vaudois commençait quand les cathares s'organisaient, par exemple avec le synode de Saint Félix de Caraman (1167).

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L'ESPRIT DE RÉSISTANCE

Beaucoup aiment faire partie du nombre, de la majorité et du consensus du moment. « Faire comme tout le monde et penser comme tout le monde » donne un confort et sert d'argument de vérité.

Dès l'origine, les vaudois ont accepté d'être minoritaire. Marie Durand, enfermée à 15 ans dans la tour de Constance (Aigues-mortes) pendant 38 ans, a gravé sur la margelle du puits le célèbre mot « RESISTER ».

Elle symbolise cet esprit de liberté personnelle face à l'oppression. La formule qu'elle a refusé de prononcer -pour obtenir sa libération-était : « Je me réunis ».

Lors de la Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV (1685), les vaudois d'Abriès (Queyras dans les Hautes-Alpes) ont préféré s'exiler : les 3/4 des familles ont choisi l'exil plutôt que « l'abjuration » (pour eux « apostasie » et reniement).

« Faire semblant », « On en prend et on en laisse » ne correspondent pas à leur attitude spirituelle.

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CARACTERE INTERNATIONAL DE LA FOI CHRÉTIENNE.

Jean Duvernois, spécialiste des cathares et des vaudois, insiste dans ses travaux sur le caractère interrégional (international, mais il n'y avait pas encore de « nations »). Jacques Fournier, inquisiteur à Pamiers, interroge un « hérétique » en 1314 : il a étudié 16 ans. Né à Saint André (Isère, Dauphiné), il a séjourné à Lyon, Orange, Montpellier, Viviers...

Les historiens Molnar et Giovanni Gonnet ont mis en évidence « Alliance valdo-hussite ». Les meilleurs théologiens vaudois étaient les hussites, de Bohème aux XVe, XVIe et XVIIe siècles !

Très tôt au XVIe siècle, les vaudois sont en relation avec les premiers réformateurs. Par exemple, le synode de Mérindol en 1530 envoie deux de ses représentants consulter Farel à Neuchâtel et Oecolampade à Bâle. Nous avons les lettres de Georges Morel (de Freissinières) avec Oecolampade et Bucer (Strasbourg). Des « péticions » ont les réponses de leurs questions. L'autre délégué était le bourguignon Pierre Masso.

Au synode de Chanforan (1532) les barbes venaient de toute l'Europe. Farel et Saunier avaient fait le voyage depuis Genève.

Les persécutions ont encore accentué ces transferts de populations à travers l'Europe et aussi, l'Amérique. Actuellement il y a plus de vaudois en Uruguay (région de la Plata), qu'en Italie dont les pionniers sont originaires.

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LA MISE EN PRATIQUE

La mise en pratique dans la vie quotidienne compte plus que les rectitudes dogmatiques.

Dans la « Noble lession », poème du XVe siècle (conservé à Cambridge) nous trouvons dans la traduction de Léger (1669) :

« Mais l'Ecriture dit, et voir nous le pouvons :

Que s'il se trouve un bon aymant Dieu et son Christ

Qui ne veuille médire, ni jurer, ni mentir,

Ni commettre d'adultère, tuer ni dérober,

Et de ses ennemis ne se veuille venger,

C'est un vaudois, dit-on, qu'on le fasse mourir ! »

Sa conduite quotidienne définit le vaudois et le désigne aux yeux de tous.

Nous avons mentionné la base biblique de la formation des barbes. Les subtilités dogmatiques n'entrent pas dans leur enseignement.

Devant l'inquisiteur Jean de Roma (nous avons les minutes des huits interrogatoires mais pas les supplices infligés et les pressions.) Jean Griot est interrogé sur la sainte Trinité.

- Crois-tu à la sainte Trinité ?

- Oui.

- Crois-tu au Fils ?

- Oui.

- Crois-tu au Saint Esprit ?

Oui.

Cette confirmation est signe d'hérésie. Il faut croire « en l'Esprit », et non « au saint Esprit ».

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LA FOI VAUDOISE, UNE MANIERE DE VIVRE

On connaît les représentations de la famille vaudoise réunie autour de la table avec le père lisant la Bible pour toute la famille.

Savoir lire la Bible impose de savoir lire. Des écoles de montagne ont été ouvertes un peu partout dans les « vallées ». Au moment où les vaudois sont sortis de leur « ghetto » pour se répandre en Italie (1848), une école était toujours jointe au temple.

Aux USA, en Caroline du Nord, lorsque les vaudois du Piémont ont créé la ville de Valdèse (1893), ils ont construit l'école avant de bâtir le temple. Ainsi était cette tradition vaudoise. On ne peut oublier que la première « école normale » (formation d'enseignants) a été créée par Félix Neff dans le village de Dormillouse (à 1800 m. d'altitude tout au fond de la vallée de Freissinière) et cette « école de régents » fonctionna durant deux ans entre 1825 et 1828.

En famille, l'éducation s'efforce de vivre la « non-violence », la rectitude de la parole dite, la transparence de la vie. Des universitaires ont évoqué des séances nocturnes débridées dans des familles vaudoises de Provence. Il ne semble pas que les documents sérieux appuient cette thèse.

Nous ne saurions faire de l'hagiographie de ce mouvement de foi. On retrouve des incohérences et des inconséquences : des vaudois riches, ou des vaudois qui défendent leur famille par les armes.

Mais notre pensée a voulu accompagner un élan spirituel qui est pour nous un stimulant et un encouragement.

Ils se savaient et se savent « le sel de la terre ».

Leur actualité se lit avec joie.

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Les vaudois de Provence

L'ÉGLISE DU MOYEN-AGE

Depuis Jésus de Nazareth, dans les siècles qui ont suivi, jamais il n'y eut d'organisation complète des Églises. La légende raconte que l'apôtre Thomas créa une église chrétienne en Inde. Les montagnes de l'Arménie isolèrent les chrétiens de ces contrées des controverses et luttes méditerranéennes. De même aussi pour les chrétiens de la haute vallée du Nil. Dans le monde de la Méditerranée, des mouvements divers animèrent les Églises : l'arianisme (un moment majoritaire), le donatisme, les cathares au XIe et XIIe siècles...

Avant la rupture et l'excommunication réciproques du pape de Rome et du patriarche de Constantinople en 1054, des disputes et conflits continuels n'avaient cessé de diviser latins et orientaux : date de la fête de Pâques, légitimité et usage des images, liturgies, épiscopats et surtout autorité sur l'ensemble des églises et primauté d'un siège de pouvoir sur l'autre siège. On fait remarquer que souvent l'histoire de l'Église est celle de ses divisions.

Au Moyen Age, beaucoup de dogmes et doctrines diverses n'étaient pas codifiés (ils le seront pour l'Église romaine par le concile de Trente 1545-1565 dit de la Contre-Réforme). Par exemple, aux IXe et Xe siècles on pouvait discuter entre théologiens scolastiques au sujet de l'eucharistie : « si une souris mange l'hostie, est-ce qu'elle a mangé Dieu ? » (controverse Ratramme et Radbert à Corbie).

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LA RICHESSE DE L'ÉGLISE OFFICIELLE ET LES « LES PAUVRES DU CHRIST »

Au XIIe siècle en Occident devant la scandaleuse richesse et le luxe effréné des princes de l'Église officielle, des « sociétés » (Societas) apparurent. Comme il en existait pour les marchands et les artisans. Ces groupes chrétiens s'appelaient « les pauvres ». Si aujourd'hui les Églises sont pour la plupart pauvres dans une société de consommation, au XIIe siècles les prélats étalaient dans une société de misère, les apparats de leur richesse.

Chez les « lombards » de la plaine du Pô, surviennent Arnaldo de Brescia, Jean de Ronco et tout un mouvement des « pauvres lombards ». En Bohème et d'autres régions de l'Europe, on remarque des groupes semblables désirant vivre selon l'Évangile. Ils s'opposent aux moeurs dissolues et la hiérarchie ecclésiastique de leur temps.

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VALDO & VAUDES

Ainsi, dans ce contexte social et religieux, en 1773 un riche marchand de Lyon se convertit à la pauvreté. Son nom, comme c'est le cas à cette époque peut s'orthographier Valdo, Valdus Valdesius, Vaudés. Le prénom (inusité à l'époque) ne lui sera donné qu'un ou deux siècles plus tard par les Lombards ; Pierre, évoquant la vraie succession apostolique spirituelle du Christ. On ne sait avec exactitude ni la date de naissance (vers 1140), ni le lieu. On ne connaît pas non plus, les circonstances de sa mort : en Provence en 1207 ou en Bohème en 1217.

Marié, père de famille, Valdo change de vie dans des circonstances mal connues de nous.

On peut penser à 3 raisons qui ne sont pas exclusives les unes des autres.

1) La prédication des « pauvres de Lyon ». Les marchands étaient les grands aventuriers de l'époque. La prédication venant des compagnons de mêtier et de foi ne pouvait être que convainquante pour un homme sincère et conséquent.

2) La mort brutale d'un ami lors d'un banquet. Quel est le sens de la vie et des urgences du temps ?

3) Un ménestrel (les ménestrels et troubadours véhiculaient des idées religieuses souvent peu conformes aux théologies officielles mais toujours sous une forme poétique et voilée) chante le poème et le récit d'Alexis : le jour de son mariage, le riche noble disparaît de chez lui ; on ne sait ce qu'il est devenu. A la porte de sa riche demeure, un mendiant est venu quémander pendant des années. A la mort du quémandeur, on s'aperçoit qu'il n'est autre que le seigneur disparu et revenu incognito chez lui.

Par la chronique dite de Laon (1220), nous savons qu'il découvrit la pauvreté et voulut s'y consacrer. A Pentecôte 1173, il fait don des immeubles à sa femme, place ses deux filles à l'abbaye de Fontevrault, distribue pain et viande aux pauvres. Après une dernière distribution de ses biens aux pauvres, il se réfugie chez un ami (15 août). Sur le seuil de la demeure, celui qui fut un très riche marchand (draperie, soies, épices) déclare : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ».

« Étant donné que, selon l'apôtre Jacques, la foi sans les oeuvres est morte, nous avons renoncé au monde et distribué tous nos biens, comme Dieu le veut et nous avons décidé d'être nous-mêmes pauvres de telle façon que nous n'ayons plus aucun souci du lendemain et que nous n'acceptions de personne ni or ni argent, ni quoi que ce soit, si ce n'est le vêtement et le pain quotidien. Notre intention est de vivre les conseils évangéliques comme étant des préceptes impératifs ».

1180. Ce document, digne de foi, est le seul texte que nous possédions qui émane directement de Valdés.

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LA PROVENCE DES XIVe ET XVe SIECLES.

A la fin du XIVe et au cours du XVe siècle la Provence est décimée par la guerre, les pillages, les calamités et les pestes. Les papes se protègent par la construction de remparts (env.1350) autour d'Avignon. La guerre entre les deux branches de la maison d'Anjou ravage le pays. Les « Grandes compagnies » sévissent dans la contrée. En 1470, dans la viguerie d'Aix, 50 villages ont disparu, 47 % des agglomérations ont été abandonnées, 60 % dans le pays d'Apt. On parle du « siècle de l'homme rare » (Leroy Ladurie : Montaillou).

Les seigneurs se préoccupent de faire cultiver le pays, mis à l'abandon et dépeuplé. Ils ne se préoccupent pas de la religion des nouveaux colons qui viennent à des conditions spécialement avantageuses, remettre en culture en défrichant. Ce sont : l'évêque de Marseille qui a en fief Mérindol, les moines de Sénanque et de Silvacane, l'évêque de Cavaillon Sadolet dès 1517, qui eut une correspondance avec Jean Calvin à Genève), les papes d'Avignon. Philippe III « le Hardi » donna ses terres au pape Grégoire X en 1274.

Les papes séjournèrent en Avignon de 1307 à 1376.

Des « actes d'habitation » sont signés à ces « fermiers perpétuels », travailleurs honnêtes, peu intéressés par les gains et avantages qu'exigeaient d'autres travailleurs (Dr Arché). Le légendaire roi René meurt en 1480. Selon les articles de son testament, un premier neveu, Charles du Miane lui succéde. Son règne ne dure pas plus d'un an. Le second hérite de la Provence en 1481 : c'est Louis XI qui nomme Forbin vice-roi (on raconte que Louis XI lui aurait dit : « tu m'as fait comte » - allusion au fait que Forbin l'avait fait mettre sur le testament du roi René : « je te fais roi »).

La Provence perd ses privilèges et libertés. Le comté devient sénéchaussée et le Parlement d'Aix aligné sur les autres provinces (1501). Les deux derniers représentants de la famille de Sabran, ruinés, vendent à Foulk (ou Foulquier d'Agout), seigneur de Sault, le pays d'Aigues et une partie de la Provence, qu'il gouverne pendant 70 ans jusqu'à sa mort en 1490. La succession est ensuite assurée par Louis puis le beau-frère, les Boiliers et la dame de Cental.

La Provence est envahie par les troupes impériales du connétable de Bourbon (1524) et celle de Charles-Quint (1536). Amies ou ennemies, les armées de passages ne laissent que ruines et famine.

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LES VAUDOIS DESCENDENT DES ALPES

A XIVe siècle, les vallées de Freissinières, de Valpute (appelée dès 1469, val Louise en reconnaissance à Louis XI), le Briançonnais et le Valcluson en Piémont sont peuplés de familles vaudoises. Des persécutions sont périodiquement exercées contre ces paysans. En particulier en 1487, Albert de Catane, grâce au consentement de Charles VIII et au désir du pape, se déchaîne contre les vaudois. C'est une véritable croisade, partie de Grenoble, pour l'extermination des vaudois. Le Parlement de Grenoble charge Hugue de la Palud de cette mission. 8000 volontaires s'engagent pour bénéficier des biens des hérétiques. Les survivants vaudois doivent porter une croix sur la poitrine et une autre sur le dos.

La deuxième raison qui a conduit les vaudois des Alpes à s'expatrier est la misère. 1/3 de la population peuplée de Vaudois ne peut payer d'impôt « à cause de la pauvreté ». Les registres du fisc classent la population en quatre catégories : les solvables, les habitants à revenu modeste, les pauvres et ceux qui sont partis depuis le dernier pointage. Le fisc pressure autant qu'il est possible, et même au delàS(

Il faut vraiment être dans le besoin pour être taxé « pauvre ». A Freissinières, sur 95 feux, il y a 48 % de pauvres ; sur 295 à Vallouise, 12 % ; à l'Argentière 88 % d'après la recension de 1474. Deux ans plus tard la situation a empiré : l'appauvrissement s'accrut de 10 %.

La misère est un phénomène des pays alpins. Elle ne touche pas seulement les vallées vaudoises. Mais on trouve chez ces familles une volonté de s'en sortir.

La solidarité religieuse et familiale, joue un grand rôle : les familles émigrantes sont accueillies par ceux des leurs qui les ont précédés dans les pays plus favorisés aux plans climatique et agricole. L'entraide existe fortement au sein de cette communauté de foi. Ces hommes et ces femmes ont confiance que « Dieu fait la route devant eux » et leur permet une nouvelle implantation. La lecture de l'Ancien Testament avec l'exode du peuple d'Israël dans le désert et l'implantation en Terre Promise nourrit leur pensée.

La troisième raison : la famille des Bouliers, seigneur à la fois en Piémont (Roccasparvera, Demonte, Centallo) et en Provence (La tour d'Aigues et sa région) aurait délibérément exercé une action pour ce transfert de population paysanne. « La dame de Cental a fait venir des vaudois » dit le président du Parlement d'Aix, de la Fonds, en 1546.

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L'IMPLANTATION EN LUBERON

On sait que l'émigration humaine se fait souvent en descendant les cours d'eau. Il est donc naturel que les familles vaudoises des Alpes, pour presque la moitié, suivent le Guil, la Biaisse, la Guisane et la Durance. De plus cette migration s'effectue d'est en ouest, selon un phénomène bien connu aussi. On retrouve à Pertuis et à Cucuron, des hommes de Ristolas (Queyras). Chacun « se loue, lui et ses oeuvres ». Le Luberon est particulièrement attractif. 95 % des colons venant des Alpes s'installant en Provence sont des vaudois. Toutes les hautes vallées de la Durance et celle du Cluson sont massivement vaudoises. Il suffit d'être originaire de ces vallées pour être suspecté d'hérésie (procès du jeune barbe Griot devant l'inquisiteur, Jean de Roma, en 1532). Le 10 mars 1495, 80 chefs de familles vaudoises de Freissinières partent pour s'installer à Cabrières d'Aigues, village entièrement abandonné.

Ils signent un acte d'« habitation » avec le seigneur du lieu, Raymond d'Agoult (de la grande famille des Simiane). Cinq siècles plus tard 1/3 des habitants portent encore un nom vaudois... Une des première installations fut Saumane en Comtat Venaissin. Le pape est le premier à accueillir des hérétiques pourvu qu'ils soient de bons paysans !

Les moines de Silvacane installent aussi des vaudois. Les vaudois construisent le beau château de Loumarin, toujours debout. Les colonies vaudoises sont tellement prospères qu'il se produit une seconde vague d'immigration ; depuis les villages construits, les vaudois partent pour des implantations nouvelles : la Roque d'Anthéron, St Estève-Janson, Velaux (avant la révocation de l'édit de Nantes, 1685, Velaux sera le siège du consistoire de Marseille replié à cause des restrictions incessantes qui sont imposées aux protestants).

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LA FOI DES VAUDOIS DE PROVENCE

Les vaudois de Provence vivent leur foi dans le secret de leur vie de famille. Les « bastides » sont fermées vers l'extérieur. la lecture de la Bible est quotidienne, si possible. La bibliothèque Imguibertine de Carpentras conserve une bible du XIVe siècle, en parchemin, écrite en langue romane comme tous les textes vaudois d'avant la Réforme. Cette bible est enluminée.

Les familles vaudoises reçoivent la visite clandestine de « barbes ». Les barbes sont des prédicateurs itinérants qui passent la nuit de hameaux en hameaux, et de ferme en ferme, surtout durant la période d'hiver. On les appelle « barbes » parce que ce mot, en langage populaire de l'époque, signifie « oncle ». C'est un titre de respect pour eux et pour leur ministère.

Jésus dans l'Évangile de Mathieu (23/9) affirme « n'appelez personne votre père ». Les vaudois veulent respecter cette interdiction. Les barbes circulent toujours 2 à 2, un plus âgé et expérimenté, l'autre plus jeune et en apprentissage. Ils connaissent les maisons vaudoises, arrivent la nuit pour ne pas se faire repérer. Ils tiennent des réunions au cours desquelles la Bible est lue et commentée, les confessions reçues avec une parole de pardon, l'enseignement donné.

Les barbes se réunissent périodiquement pour décider des grandes orientations du mouvement et les répartitions des régions à visiter par eux.

Mais en dehors de ces rencontres secrètes, les familles vaudoises participent à la vie sociale et religieuse des villages, aux cérémonies et habitudes locales.

En dehors de l'institution des barbes (relativement tardive si on considère le mouvement évangélique depuis le XIIe siècle) et des réunions clandestines, il n'y a pas d'organisation ecclésiastique, ni de théologie contraignante. La bible et les écrits étaient soigneusement cachés dans les « caches » dans l'épaisseur des murs, par exemple. On en retrouve dans le vieux Mérindol. La possession d'une bible était passible du bûcher.

La population vaudoise est paisible et travailleuse. Les témoignages dans ce sens abondent.

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LE MASSACRE DE 1545

La vie paisible ne fut pas de longue durée. Dès 1530 la persécution sévit contre ces familles paysannes sans défense. Il y a l'affaire du moulin d'Apt. Vers 1538-39 on comptait 10000 maisons vaudoises et protestantes dans la basse vallée de la Durance, Avignon, Cavaillon et Orange (principauté de la maison de la maison de Bourgogne).

En 1537, un édit royal de François Ier faisait obligation aux « mal-pensants » d'abjurer dans les 6 mois pour cause de possession d'une bible. Colin Pelenc, le meunier du moulin d'Apt est brûlé vif. Son moulin devient la propriété de son dénonciateur, le juge d'Apt. De nuit, 19 personnes viennent saccager le moulin pour empêcher l'acquéreur de prendre possession du moulin. Contre cette escouade vaudoise, un arrêt du parlement d'Aix du 18 novembre 1540 condamne 20 personnes de Mérindol et (bien curieuse condamnation dans les annales judiciaires) la localité entière...

Devant la « supplique » des gens de Mérindol à lui même, à la Cour, au cardinal Sadolet, et leur profession de foi, François Ier hésite à ordonner l'exécution de l'Edit. Mais diverses pressions s'exercent sur le roi : l'influence du cardinal de Tournon, un gage d'orthodoxie donné à Charles-Quint, la pression du légat du Comtat-Venaissin, le besoin d'occuper une soldatesque désoeuvrée qui venait du Piémont et attendait d'être embarquée à Marseille, malentendu dans les signatures du roi.

Le 31 janvier 1545, l'ordre d'exécution est signé par François Ier.

En avril, c'est la semaine sanglante, croisade épouvantable contre des chrétiens sujets du roi, conduite par le président du parlement d'Aix, le baron Meynier d'Oppéde. Jaloux de la prospérité de la famille de Cental ou éconduit par la Dame, le chef du massacre utilise toutes les cruautés imaginables. 23 barbes sont exécutés, 3000 vaudois massacrés dans les tortures et tourments, 660 galériens emmenés à Marseille, 225 non-vaudois exécutés pour avoir reçu ou nourri les femmes et les enfants pourchassés (qui meurent de faim sur les chemins), 25 villages rasés. En particulier Mérindol et Cabrières du Comtat sont entièrement détruits. Nobles, ecclésiastiques, soldats, paysans s'enrichissent des dépouilles des Vaudois.

Un cri d'horreur monte de toute l'Europe protestante.

François Ier meurt en 1547. Henri II, qui succède à son père, décide de frapper : les « coupables si haut placés » doivent être « punis ». Jacques Aubery, lieutenant du roi et ambassadeur, fut chargé d'une enquête. Elle reste un document précieux et très documenté sur les atrocités, massacres et évènements. Le Parlement de Paris acquitte le Parlement d'Aix ! Le baron d'Oppède triomphait. Il est nommé « chevalier de Saint Jean de Latran » par le pape Paul IV.

Pour la petite histoire, on raconte que ses descendants, partis en Allemagne sont devenus protestants...

En constante pression d'arrestations, emprisonnements, tortures, exécutions, vexations de toutes sortes, des escouades de vaudois ont tenté de résister pour maintenir quelques libertés. Après de multiples escarmouches, le génocide de 1545 met fin au rayonnement visible des vaudois du Lubéron. Les réfugiés se rendent à Genève, en Suisse, en Allemagne, en Hollande pendant toute la période qui suivit en particulier dans les années 1555-1561.

La présence du valdéisme en Provence ne subsiste pas seulement par des patronymes très nombreux, mais par la survivance de communautés importantes lors de la Révolution et du début du XIXe siècle, et par un esprit de liberté.

Nous aimerions que ceux qui visitent la Provence en touristes ou ceux qui s'y installent apprennent à connaître l'histoire des familles qui ont mis en culture ce paysage ensoleillé et qui ont contribué, à travers leurs tribulations et drames, à forger l'âme de ce pays. Cette présentation voudrait aider la recherche de cette identité.

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