Depuis longtemps, j’ai
pris l’habitude de jeter les miettes du repas, juste au-delà
de la dernière marche du perron. Les oiseaux les aperçoivent
et se disputent en les picorant. Les pigeons chassent les merles qui
intimident moineaux, rouges-gorges et mé-sanges. Chacun vient
se servir à son tour.
Ce spectacle est plaisant et je me donne bonne conscience
en me félicitant de nourrir ainsi la gent ailée et d’éviter
de faire disparaître ces restes dans la poubelle, ce qui, les
jours de mauvais temps, serait plus facile et plus confortable.
Servies parmi les dernières, les mésanges
sont les plus belles avec leur tête noire et leur ventre délicatement
coloré. Leurs gestes vifs me ravissent. Je m’attarde parfois
à les contempler, levant les yeux de mon journal.
Un jour de pluie, j’observe le manège de
l’une d’elles. Elle me paraît souffreteuse et peine
à replier une de ses ailes : blessure ? Devant la porte-fenêtre,
je la vois comme elle me voit. Je ne bouge pas pour ne pas l’effaroucher
et elle picore quelques menues miettes peu appétissantes sur
la terre détrempée. Elle lance la tête à
droite et à gauche, vérifie que je l’observe, ne
trouve rien qui vaille et revient sur la marche vidée de toute
pâture par les oiseaux précédents.
Je prends son jeu comme un reproche : « Pourquoi
n’as-tu pas concentré tes miettes sur la pierre étroite
? Avec ce mauvais temps, les autres sont peu accessibles dans les flaques
qui suivent la marche. Tu fais tout trop vite et sans réfléchir
à la peine que tu nous donnes ! »
Cet apologue, on peut le lire comme l’on veut. Il
est loisible d’y voir la constante insatisfaction de ceux que,
pourtant, on se donne la peine d’assister. On peut aussi penser
que donner est bel et bon, mais qu’il y faut la manière.

Bernard
Félix