Et si Dieu en avait fini avec les
affaires du monde ? De guerre lasse, il en aurait eu assez de nos querelles
et de nos requêtes. Dieu se serait dépris du souci de l’humain
et nous aurait abandonnés aux déterminismes de l’histoire,
à la seule force des choses. Et si nous l’avions nous-mêmes
congédié ? L’ayant fait passer par le tribunal de
l’histoire, nous l’aurions jugé bien trop dangereux
pour être aimé ou bien trop impuissant pour être
crédible. Parti ou évincé, Dieu ne serait plus
ce signe, pourtant si précieux et si bénéfique,
que tout n’est pas fini et que tout ne se réduit pas à
ce qui est… Qu’est-ce que croire en Dieu, en effet, sinon
une manière d’affirmer que tout ne s’épuise
pas dans le monde des objets finis, et de pointer une ligne d’horizon
permettant de dépasser la surface des choses ? Qu’est-ce
que Dieu sinon cette puissance de l’in-fini qui nous permet de
résister à la résignation, une manière de
nommer l’impérieux désir d’un autrement, et
de désigner la grâce, toute simple et à chaque fois
miraculeuse, d’être à nouveau possible ? Non qu’il
y ait deux mondes, celui-ci, mauvais et imparfait, et son contraire,
au-delà de tout. Croire en Dieu comme à l’in-fini
est une manière de valoriser l’inachevé pour y déceler,
ici et maintenant, la trace d’une nouveauté pouvant encore
infléchir le cours des choses, enrichir le déjà
connu, faire plier nos contingences. Croire en Dieu comme à l’in-fini
revient à penser le réel comme étant animé
de l’intérieur par une force qui, insoumise à ce
qui est, ouvre celui-ci sur l’inconnu et sur demain. Dieu ne pourra
donc jamais en avoir fini avec l’humanité car il désigne
ce qui lui est le plus précieux : sa part d’irréductible,
d’espérance, l’au-delà dans l’intime de
chacun, l’infini au cœur du fini. 
Raphaël
Picon