La plupart des textes
bibliques sont des poèmes ; la plupart des textes des grands
théologiens ne sont pas des poèmes. A la puissance d’évocation
des poèmes bibliques, les théologies chrétiennes
ont souvent préféré l’usage de la raison,
souvent issue de la philosophie. Aristote et Platon sont parfois plus
utiles que la variété biblique pour comprendre l’histoire
des dogmes. Et cela même chez les protestants qui invoquent le
principe refondateur de « l’Écriture seule »
! Faut-il s’en plaindre ? Oui et non. La théologie se distingue
du texte biblique en ceci qu’elle propose des interprétations
de Dieu, du Christ, de la foi. Le texte biblique est sans doute plus
proche de l’expérience que de l’abstraction, même
si chacun des livres de cette vaste bibliothèque contient sa
propre cohérence théologique. Est-ce alors le passage
d’une culture hébraïque à une culture gréco-romaine
qui a modifié nos expressions de foi ? Sans doute, c’est
là l’une des clefs historiques. La culture hébraïque
procède par évocations et par symboles, la philosophie
grecque par usage de la raison et par la compréhension d’un
univers « organisé ». Une place pour chaque chose
et chaque chose à sa place… Mais alors, en épousant
le langage des philosophes, le christianisme a-t-il perdu une partie
de sa remise en cause des ordres établis ?
On peut décrire de manière philosophique,
psychologique, et même biologique, les mécanismes de l’amour.
Mais rien ne remplacera les millions de vers sortis de l’imagination
des poètes. Faut-il pour autant renoncer à l’exercice
de notre raison lorsque l’on aborde la question théologique
? Il me semble qu’il existe une voie de réconciliation de
la raison et de la poésie, du discours et de l’expérience.
Chaque sujet génère ses propres langages. Parler du monde
et de l’homme nécessite l’usage de la raison et de
l’observation. Parler de Dieu nécessite l’usage du
symbole et de la contemplation. Comprendre le monde est une recherche
personnelle toujours inachevée, et pourtant fondamentale : que
serait notre société si elle était composée
de perroquets imbéciles répétant les dogmes prétendument
éternels ? Mais lorsqu’on approche de la question du fondement
de toute chose, de la question de la transcendance, le langage se fait
humble. L’être humain entre alors dans un défi étrange
: traduire avec des mots intelligibles ce qui le dépasse. Son
langage s’approche alors de celui des poètes, cherchant
et tâtonnant au milieu des mots, sans que ceux-ci ne prétendent
enfermer Dieu. On ne décrit pas Dieu, on l’évoque.
Lorsque je dis « Jésus est le fils de Dieu
», est-ce « raisonnable » ou « poétique
» ? Cela est raisonnable dans la mesure où cela me dit
quelque chose de la compréhension anthropologique. En même
temps, cela est un poème qui ouvre le champ des interprétations
sur Dieu et le Christ, qui contient une puissance d’évocation
qui renvoie à chacune de nos expériences de foi et de
nos recherches de sens. Nous pouvons alors entrer dans un dialogue,
dans un « conflit des interprétations ». La théologie
devient alors ouverture, occasion de débats et de rencontres.
L’un des défis théologiques de notre
temps est sans doute de retrouver cette puissance poétique, celle
qui invite, qui cherche et qui évoque. Le temps des vérités
assénées est révolu. « Dessine-moi un mouton…
» 
Jean-Marie
de Bourqueney