La vie carcérale
nintéresse les journalistes que pour écrire du sensationnel,
sinon la peine de prison est oubliée du plus grand nombre.
Le quotidien de la prison est sans mémoire. Cest
le lieu de loubli par excellence. La seule évocation du
mot « prison » est ressentie comme une menace redoutable.
On préfère en général, et cela se comprend
assez, navoir aucun lien avec elle. Lodeur de la délinquance
et du crime fait fuir.
La prison, comme lÉglise, ce sont dabord
des gens qui les composent toutes deux. Le nouveau testament ne sy
est pas trompé, lui qui recommande de se souvenir de ceux qui
sont en prison (« Souvenez vous de ceux qui sont en prison, comme
si vous étiez prisonniers avec eux, et de ceux qui sont maltraités
puisque vous avez un corps semblables au leur » He 13,3) et daller
les voir (« Jétais en prison, et vous êtes
venus auprès de moi » Mt 25,36).
Aller voir lautre, quil soit criminel, délinquant
ou violeur, cest se souvenir quil est, comme le Christ lui-même,
abîmé, défiguré par la violence infligée
ou subie.
Aller voir les détenus est une démarche
qui sinscrit dans la vocation de lÉglise du Christ.
Ne pas y aller, cest négliger un devoir et aussi sexposer
à un jugement ultime.
Dès la parution de louvrage
de Cesare Beccaria (1738-1794) «Des délits et des
peines», les architectes ont essayé de penser un
nouveau modèle de prison, plus respectueux des détenus
et plus facile à surveiller. Le plan Panopticon apparaît
comme la solution idéale.
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Conscientes de limportance de la question, les Églises
protestantes délèguent des aumôniers, en accord
avec lAdministration pénitentiaire et donc la République
laïque, étant donné que la détention prive
les personnes de la possibilité daller et de venir ! Chacun
doit pouvoir satisfaire à sa demande religieuse
Mais que fait laumônier ? A peine les grilles
franchies, il constate la force de destruction qui réside en
ces lieux. Il sait bien que la pénalité moderne nose
plus dire quelle punit les crimes et quelle prétend
réadapter les délinquants ! Est-il attendu pour cela par
lInstitution ?
Est-il là pour participer au maintien de lordre
et garder le silence en toute occasion ? Sil crie à la
violence, sil dénonce linjustice quil constate,
sera-t-il écouté ?
Lorsque laumônier se limite aux paroles religieuses,
le voilà pris au piège du vocabulaire. Comment rappeler
la force de la grâce dans lobscurité et la solitude
des cellules ou des basses fosses carcérales ? Comment dire sans
équivoque la prière dominicale lorsque limage du
père terrestre est irrémédiablement dégradée
? Comment demander le pain quotidien alors quil est sans saveur
?
Personne ne peut comprendre quelque chose à la
prison si son regard nest pas transfiguré par la charité,
lempathie, la mansuétude et même lamour. Pour
rendre visite aux personnes incarcérées, il faut toujours
sy préparer comme si lon allait rencontrer une personne
que lon a aimée et que lon a connue libre et heureuse.
Un proche, un enfant, un frère, un ami ou une amie, une mère
aussi parfois
Cest la condition pour quune vraie relation
sétablisse. Parfois, à notre insu, la visite devient
une visitation. Mais cela, à la grâce de Dieu !
Antoine de Saint Exupéry écrit dans Lettre
à un otage : « Si jaccueille un ami à ma table,
je le prie de sasseoir et sil boîte, je ne lui demande
pas de danser. »
Laumônier, dans sa responsabilité
éminemment chrétienne et sociale avance doucement avec
lautre visité, douloureux et violent à la fois,
rétif à lespérance ou masqué à
lui-même. Mais il fait de très grands pas dans la connaissance
de lhumain. Il porte dans sa mémoire et sa prière
les êtres dont lâpreté de la vie aspire consciemment
ou non à la guérison. Cest là sa ferveur.
Werner
Burki