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Numéro 177 - mai 2004
( sommaire )

Dans cette nouvelle rubrique intitulée « Combattre », Évangile et Liberté souhaite témoigner d’un Christianisme en acte, social, engagé. La primauté de l’action sur le dogme a toujours été l’une des grandes affirmations du protestantisme libéral. Comme le disait Albert Schweitzer : « Si tu veux croire en lui [Jésus-Christ], commence par faire quelque chose en son nom. » L’action n’est plus seulement la mise en pratique d’une conviction personnelle, la réponse obéissante à un appel, l’action est une manière de rendre l’Évangile plus vrai, plus proche, plus crédible.

Combattre

Werner Burki, pasteur à l'Oratoire du Louvre à Paris, a été pendant de nombreuses années responsable de l'aumônerie protestante des prisons. Il nous montre ici comment la visite d'un aumônier peut aussi devenir une véritable et nécessaire visitation...

L’aumônier de prison

La vie carcérale n’intéresse les journalistes que pour écrire du sensationnel, sinon la peine de prison est oubliée du plus grand nombre.

Le quotidien de la prison est sans mémoire. C’est le lieu de l’oubli par excellence. La seule évocation du mot « prison » est ressentie comme une menace redoutable. On préfère en général, et cela se comprend assez, n’avoir aucun lien avec elle. L’odeur de la délinquance et du crime fait fuir.

La prison, comme l’Église, ce sont d’abord des gens qui les composent toutes deux. Le nouveau testament ne s’y est pas trompé, lui qui recommande de se souvenir de ceux qui sont en prison (« Souvenez vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux, et de ceux qui sont maltraités puisque vous avez un corps semblables au leur » He 13,3) et d’aller les voir (« J’étais en prison, et vous êtes venus auprès de moi » Mt 25,36).

Aller voir l’autre, qu’il soit criminel, délinquant ou violeur, c’est se souvenir qu’il est, comme le Christ lui-même, abîmé, défiguré par la violence infligée ou subie.

Aller voir les détenus est une démarche qui s’inscrit dans la vocation de l’Église du Christ. Ne pas y aller, c’est négliger un devoir et aussi s’exposer à un jugement ultime.

 

plan d'une prison "idéale"

Dès la parution de l’ouvrage de Cesare Beccaria (1738-1794) «Des délits et des peines», les architectes ont essayé de penser un nouveau modèle de prison, plus respectueux des détenus et plus facile à surveiller. Le plan Panopticon apparaît comme la solution idéale.

Conscientes de l’importance de la question, les Églises protestantes délèguent des aumôniers, en accord avec l’Administration pénitentiaire et donc la République laïque, étant donné que la détention prive les personnes de la possibilité d’aller et de venir ! Chacun doit pouvoir satisfaire à sa demande religieuse…

Mais que fait l’aumônier ? A peine les grilles franchies, il constate la force de destruction qui réside en ces lieux. Il sait bien que la pénalité moderne n’ose plus dire qu’elle punit les crimes et qu’elle prétend réadapter les délinquants ! Est-il attendu pour cela par l’Institution ?

Est-il là pour participer au maintien de l’ordre et garder le silence en toute occasion ? S’il crie à la violence, s’il dénonce l’injustice qu’il constate, sera-t-il écouté ?

Lorsque l’aumônier se limite aux paroles religieuses, le voilà pris au piège du vocabulaire. Comment rappeler la force de la grâce dans l’obscurité et la solitude des cellules ou des basses fosses carcérales ? Comment dire sans équivoque la prière dominicale lorsque l’image du père terrestre est irrémédiablement dégradée ? Comment demander le pain quotidien alors qu’il est sans saveur ?

Personne ne peut comprendre quelque chose à la prison si son regard n’est pas transfiguré par la charité, l’empathie, la mansuétude et même l’amour. Pour rendre visite aux personnes incarcérées, il faut toujours s’y préparer comme si l’on allait rencontrer une personne que l’on a aimée et que l’on a connue libre et heureuse. Un proche, un enfant, un frère, un ami ou une amie, une mère aussi parfois…

C’est la condition pour qu’une vraie relation s’établisse. Parfois, à notre insu, la visite devient une visitation. Mais cela, à la grâce de Dieu !

Antoine de Saint Exupéry écrit dans Lettre à un otage : « Si j’accueille un ami à ma table, je le prie de s’asseoir et s’il boîte, je ne lui demande pas de danser. »

L’aumônier, dans sa responsabilité éminemment chrétienne et sociale avance doucement avec l’autre visité, douloureux et violent à la fois, rétif à l’espérance ou masqué à lui-même. Mais il fait de très grands pas dans la connaissance de l’humain. Il porte dans sa mémoire et sa prière les êtres dont l’âpreté de la vie aspire consciemment ou non à la guérison. C’est là sa ferveur. feuille

Werner Burki

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