Naguère encore,
il était de bon ton de prétendre que le protestantisme
avait accompli sa mission historique en léguant à la société
française l’essentiel de ses valeurs : la laïcité,
le libre examen, la démocratie, l’égalité,
l’éducation obligatoire, l’émancipation de la
femme.Cet inventaire après décès avait pour quelques
khâgneux de vagues relents d’hégélianisme tardif
: le protestantisme avait suivi la même voie fatale que la philosophie
en accomplissant son dépassement dialectique. Dont acte.
Pourtant, que la société française
ait pu tendre un miroir au protestantisme ne laisse pas d’inquiéter.
Estce bien le protestantisme qui a acculturé la société
française, ou n’est-ce pas plus vraisemblablement la société
française qui a acculturé le protestantisme ? Il est temps
d’effectuer nous aussi notre révolution copernicienne. Quel
besoin avait-on, quel besoin aurait-on de professer des convictions
étranges, en tout cas, à bien des égards, étrangères
à l’esprit et aux mentalités de nombre de nos contemporains
? Pourquoi continuer à se dire, à se sentir, à
se penser protestant en reproduisant, à satiété,
les modes extérieures, le politiquement correct, le prêt
à penser et le bêlant prêt à croire ? Quel
intérêt y avait-il, quel intérêt y aurait-il
à professer encore Jésus-Christ et cette absurdité
déraisonnable, la « folie de la croix » ?
Du reste, a-t-on besoin même d’être
protestant pour revêtir Jésus-Christ ? Les catholiques
le font très bien et ils le font même souvent beaucoup
mieux, avec ce professionnalisme qui peut se prévaloir de deux
millénaires, ou presque, contre les cinq petits siècles
que s’octroient les Églises de la Réforme.
Quel est le sens de cet attachement irréductible
à l’Évangile qui nous rend à ce point récalcitrants,
résistants, rétifs et contestataires ? Pourquoi ne pouvonsnous
jamais nous résigner, nous contraindre et nous taire ? Qu’est-ce
qui transforme à ce point le salut en révolte, et la profession
en protestation ? Saurons-nous aujourd’hui et demain rester fidèles
à cet appel qui nous vient de la nuit des temps, cet appel sourd
comme la douleur, cet appel qui est de l’ordre du cri ou du blasphème
: « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné
? »
Il faudrait bien être sourd pour ne pas l’entendre
dans le silence assourdissant de notre monde en dérive. Demain,
encore, demain, nous serons toujours là. 
Bernard
Cottret