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Numéro 182 - Octobre 2004
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Au hasard de ses lectures et de ses participations à des rencontres théologiques, Raphaël Picon relève à quel point, et d’une manière plutôt inattendue, le général de Gaulle est souvent mentionné pour expliciter tel ou tel point de doctrine… La théologie emprunte parfois des chemins bien étranges !

De Gaulle au service... de la théologie ?

Quand le général de Gaulle vient au secours de la théologie… D’une manière que d’aucun (gaulliste ou non !) pourrait trouver surprenante, le général de Gaulle est particulièrement utile à la théologie lorsqu’elle daigne faire l’effort (très louable) de se faire comprendre !

Jésus-Christ : une personne et un titre

Le général de Gaulle est tout d’abord d’un grand secours pour montrer que le « Christ » n’est pas le nom de famille de Jésus ! C’est André Gounelle qui fait le parallèle page 39 dans Le Christ et Jésus, trois christologies américaines (Paris, Desclée, 1990). De même que l’association des termes « général » et « de Gaulle » associe une fonction à un nom, Jésus-Christ nous renvoie à une personne et à un titre. Jésus est un homme, historiquement déterminé, né d’un homme et d’une femme, et ce Jésus est reconnu comme « Christ », comme « oint », messie, choisi, envoyé par Dieu. Dire « Jésus-Christ », revient donc à confesser que cet homme Jésus est bel et bien Christ pour nous. Le rappel

le Général de Gaulle à Québec en 1967

Le Général de Gaulle au balcon de l'Hôtel de ville de Québec en juillet 1967

de cette distinction peut s’avérer utile dans le contexte du dialogue inter-religieux. Car de même que Charles de Gaulle ne fut pas le seul général de l’histoire de France, Jésus n’est pas le seul Christ. Il n’épuise pas, à lui seul, la possibilité d’autres Christs. Et de la même manière que certains peuvent estimer que de Gaulle a su porter cette fonction militaire à son plus haut degré d’excellence et qu’il s’est entièrement consacré à sa fonction, nous pouvons postuler que Jésus fut un parfait Christ, que son existence fut entièrement consacrée à l’exercice de sa fonction, que le tout de ce que nous savons de sa vie à travers les évangiles fut structuré par la présence agissante de Dieu.

Penser l’incarnation

Comme ce propos semble déjà le suggérer, la mention du « général de Gaulle » est aussi précieuse pour faire comprendre une manière originale et pertinente de penser l’incarnation. Le théologien britannique John Hick s’y est lui-même essayé dans ses Auburn Lectures, une série de conférences sur le pluralisme religieux publiée sous le titre The Rainbow of faiths (Londres, SCM Press, 1995). Refusant de baigner en pleine mythologie et de penser que Dieu serait descendu du ciel pour se glisser dans un corps d’homme, John Hick, à la suite de beaucoup d’autres dont John Cobb ou Paul Tillich, considère que Jésus-Christ incarne la volonté de Dieu, exactement comme le général de Gaulle incarne l’esprit de la résistance ou, à certain moment, la France. Il s’agit donc ici de penser l’incarnation d’une manière métaphorique. Jésus est le Christ en tant qu’il incarne la parole de Dieu, en tant qu’il révèle ce que Dieu veut nous dire et rend celui-ci plus proche, plus vrai, plus crédible. Jésus n’incarne pas Dieu en vertu d’une naissance qui serait plus extra-ordinaire et miraculeuse que n’importe quelle naissance et qui ferait de lui un être hybride, pour ne pas dire… un « monstre ». Jésus incarne Dieu en vertu de l’intensité de la présence de Dieu en lui. Une telle conception de l’incarnation a le mérite de ne pas la réserver à Jésus. Ce dogme peut ainsi être une manière de rendre compte de la présence agissante et transformatrice de Dieu dans tous les éléments du cosmos. L’incarnation concerne la totalité du réel, des humains, des animaux, des végétaux, des minéraux, dans la mesure où Dieu lui-même est présent au monde et l’enrichit sans cesse de nouvelles possibilités. Comme le dit le philosophe Whitehead : « le monde vit de l’incarnation de Dieu».

Pouvoir et puissance

Le général de Gaulle vient encore au secours de la théologie pour illustrer cette opposition si utile entre pouvoir et puissance. C’est Alain Houziaux qui a tenu ce propos lors d’une journée théologique organisée par ses soins à la suite de la publication de son ouvrage intitulé Les grandes énigmes du Credo (chez Desclée de Brouwer, Paris, 2003). À Londres, de Gaulle n’a aucun pouvoir, il ne peut pas, de lui-même, imposer quoi que ce soit à la politique de Vichy et empêcher l’occupation. Sans pouvoir, de Gaulle fait pourtant preuve d’une puissance certaine, à travers sa capacité à mobiliser, à redonner de l’espoir, à motiver à l’action. Cette opposition est fructueuse en théologie pour montrer que si Dieu ne peut pas tout, il n’est pas pour autant impuissant. Si Dieu ne peut pas changer le monde en Royaume de Dieu, il nous appelle à rendre son Évangile vivant, nous encourage à désirer un monde plus juste et plus harmonieux, à lutter pour une existence heureuse et épanouie. Sa puissance de mobilisation se vérifie ainsi à chaque fois que l’Évangile de libération n’est pas une lettre morte. Lorsque nous posons un acte de solidarité à l’égard d’un autre, nous contribuons à faire que le projet de Dieu pour l’humanité se réalise, et nous témoignons par là-même de sa puissance de persuasion et d’encouragement. Lorsque la lumière est apparue, ce fut bien la réponse de la lumière à ce puissant appel de Dieu : Que la lumière soit !

L’absence, vecteur de désir et de foi

Il est aussi utile de se référer au général de Gaulle pour montrer à quel point l’absence peut devenir, d’une manière surprenante et inattendue, un formidable vecteur de désir et de foi. Un collègue pasteur me rappelait tout récemment que c’est bien lorsque le général disparaît pendant les événements de mai 68 qu’il est ramené, par certains, de force à Paris et rappelé au service de la France. C’est son absence qui révèle curieusement sa nécessité et impose son retour. La foi en Dieu implique son absence ! Comment pourrions nous croire ce que nous voyons de nos yeux, ce qui se laisse constater et qui relève bien plus d’un savoir que d’un croire ? Croire, c’est pouvoir douter ; accepter l’inconfort de l’incertain. La force de la foi tient à sa résistance aux seules lois du palpable, du visible et de la présence sûre. Les fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte ne célèbrent-elles pas précisément un Dieu toujours ailleurs ? Un Dieu absent, qui n’est pas disponible et à portée de main, qui résiste à toute forme d’objectivation, relativise aussi tout discours religieux. Nous pouvons toujours l’emprisonner dans nos confessions de foi et en parler comme s’il était assigné à demeure dans nos Églises et nos prédications… mais est-ce encore Dieu ?

Se libérer du cruci-centrisme

Nous relèverons enfin que le général de Gaulle sert à expliquer une théologie chrétienne enfin libérée de ce cruci-centrisme qui l’assèche et l’appauvrit trop souvent. C’est encore André Gounelle

Ex Libris du Général de Gaulle

Ex-libris du Général de Gaulle, la croix de Lorraine brise l’emblème nazi

qui ose, non sans humour, l’argument imparable : « Que dirions-nous […] d’un gaulliste qui ne voudrait parler que de la crise cardiaque dont le général est mort ? » (dans Parler du Christ, Paris, Van Dieren éditeur, 2003, page 49). Or n’est-ce pas précisément ce que nous faisons lorsque nous ne retenons de Jésus-Christ que sa mort sur la croix ? Comme si le plus vital pour nous dans notre foi n’était pas le contenu de sa prédication et de ses actes mais simplement… sa mort ! C’est bien là que réside l’une des grandes faiblesses du Symbole dit des Apôtres ou de la Confession de foi de Nicée-Constantinople que de ne retenir de Jésus que sa naissance et sa mort… Nous pourrons toujours objecter que la croix est essentielle pour révéler un Dieu vaincu et pour nous permettre, nous-mêmes, de nous accepter dans notre fragilité et dans notre impuissance. Mais systématiser la croix, n’est-ce pas se placer sous le coup d’une crucifixion permanente ? La croix est, certes, ce scandale qui nous fait tomber de haut (le « scandale » est étymologiquement ce qui fait tomber), nous révèle dans notre faiblesse et nous confronte à nos limites, mais cette croix à vertu pédagogique, n’est en rien l’horizon ultime de l’Évangile et de la vie humaine.

Quand de Gaulle vient au secours de la théologie… Celle-ci, on le voit, se raconte de bien des manières… Elle emprunte des chemins surprenants, au risque parfois de l’égarement, mais pour scruter de nouveaux horizons !

Raphaël Picon

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