Quand le général
de Gaulle vient au secours de la théologie
Dune manière
que daucun (gaulliste ou non !) pourrait trouver surprenante,
le général de Gaulle est particulièrement utile
à la théologie lorsquelle daigne faire leffort
(très louable) de se faire comprendre !
Jésus-Christ : une personne et un titre
Le général
de Gaulle est tout dabord dun grand secours pour montrer
que le « Christ » nest pas le nom de famille de Jésus
! Cest André Gounelle qui fait le parallèle page
39 dans Le Christ et Jésus, trois christologies américaines
(Paris, Desclée, 1990). De même que lassociation
des termes « général » et « de Gaulle
» associe une fonction à un nom, Jésus-Christ nous
renvoie à une personne et à un titre. Jésus est
un homme, historiquement déterminé, né dun
homme et dune femme, et ce Jésus est reconnu comme «
Christ », comme « oint », messie, choisi, envoyé
par Dieu. Dire « Jésus-Christ », revient donc à
confesser que cet homme Jésus est bel et bien Christ pour nous.
Le rappel
Le Général de
Gaulle au balcon de l'Hôtel de ville de Québec en
juillet 1967
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de cette distinction peut savérer utile dans
le contexte du dialogue inter-religieux. Car de même que Charles
de Gaulle ne fut pas le seul général de lhistoire
de France, Jésus nest pas le seul Christ. Il népuise
pas, à lui seul, la possibilité dautres Christs.
Et de la même manière que certains peuvent estimer que
de Gaulle a su porter cette fonction militaire à son plus haut
degré dexcellence et quil sest entièrement
consacré à sa fonction, nous pouvons postuler que Jésus
fut un parfait Christ, que son existence fut entièrement consacrée
à lexercice de sa fonction, que le tout de ce que nous
savons de sa vie à travers les évangiles fut structuré
par la présence agissante de Dieu.
Penser lincarnation
Comme ce propos semble
déjà le suggérer, la mention du « général
de Gaulle » est aussi précieuse pour faire comprendre une
manière originale et pertinente de penser lincarnation.
Le théologien britannique John Hick sy est lui-même
essayé dans ses Auburn Lectures, une série de conférences
sur le pluralisme religieux publiée sous le titre The Rainbow
of faiths (Londres, SCM Press, 1995). Refusant de baigner en pleine
mythologie et de penser que Dieu serait descendu du ciel pour se glisser
dans un corps dhomme, John Hick, à la suite de beaucoup
dautres dont John Cobb ou Paul Tillich, considère que Jésus-Christ
incarne la volonté de Dieu, exactement comme le général
de Gaulle incarne lesprit de la résistance ou, à
certain moment, la France. Il sagit donc ici de penser lincarnation
dune manière métaphorique. Jésus est le Christ
en tant quil incarne la parole de Dieu, en tant quil révèle
ce que Dieu veut nous dire et rend celui-ci plus proche, plus vrai,
plus crédible. Jésus nincarne pas Dieu en vertu
dune naissance qui serait plus extra-ordinaire et miraculeuse
que nimporte quelle naissance et qui ferait de lui un être
hybride, pour ne pas dire
un « monstre ». Jésus
incarne Dieu en vertu de lintensité de la présence
de Dieu en lui. Une telle conception de lincarnation a le mérite
de ne pas la réserver à Jésus. Ce dogme peut ainsi
être une manière de rendre compte de la présence
agissante et transformatrice de Dieu dans tous les éléments
du cosmos. Lincarnation concerne la totalité du réel,
des humains, des animaux, des végétaux, des minéraux,
dans la mesure où Dieu lui-même est présent au monde
et lenrichit sans cesse de nouvelles possibilités. Comme
le dit le philosophe Whitehead : « le monde vit de lincarnation
de Dieu».
Pouvoir et puissance
Le général
de Gaulle vient encore au secours de la théologie pour illustrer
cette opposition si utile entre pouvoir et puissance. Cest Alain
Houziaux qui a tenu ce propos lors dune journée théologique
organisée par ses soins à la suite de la publication de
son ouvrage intitulé Les grandes énigmes du Credo (chez
Desclée de Brouwer, Paris, 2003). À Londres, de Gaulle
na aucun pouvoir, il ne peut pas, de lui-même, imposer quoi
que ce soit à la politique de Vichy et empêcher loccupation.
Sans pouvoir, de Gaulle fait pourtant preuve dune puissance certaine,
à travers sa capacité à mobiliser, à redonner
de lespoir, à motiver à laction. Cette opposition
est fructueuse en théologie pour montrer que si Dieu ne peut
pas tout, il nest pas pour autant impuissant. Si Dieu ne peut
pas changer le monde en Royaume de Dieu, il nous appelle à rendre
son Évangile vivant, nous encourage à désirer un
monde plus juste et plus harmonieux, à lutter pour une existence
heureuse et épanouie. Sa puissance de mobilisation se vérifie
ainsi à chaque fois que lÉvangile de libération
nest pas une lettre morte. Lorsque nous posons un acte de solidarité
à légard dun autre, nous contribuons à
faire que le projet de Dieu pour lhumanité se réalise,
et nous témoignons par là-même de sa puissance de
persuasion et dencouragement. Lorsque la lumière est apparue,
ce fut bien la réponse de la lumière à ce puissant
appel de Dieu : Que la lumière soit !
Labsence, vecteur de désir et de foi
Il est aussi utile
de se référer au général de Gaulle pour
montrer à quel point labsence peut devenir, dune
manière surprenante et inattendue, un formidable vecteur de désir
et de foi. Un collègue pasteur me rappelait tout récemment
que cest bien lorsque le général disparaît
pendant les événements de mai 68 quil est ramené,
par certains, de force à Paris et rappelé au service de
la France. Cest son absence qui révèle curieusement
sa nécessité et impose son retour. La foi en Dieu implique
son absence ! Comment pourrions nous croire ce que nous voyons de nos
yeux, ce qui se laisse constater et qui relève bien plus dun
savoir que dun croire ? Croire, cest pouvoir douter ; accepter
linconfort de lincertain. La force de la foi tient à
sa résistance aux seules lois du palpable, du visible et de la
présence sûre. Les fêtes de lAscension et de
la Pentecôte ne célèbrent-elles pas précisément
un Dieu toujours ailleurs ? Un Dieu absent, qui nest pas disponible
et à portée de main, qui résiste à toute
forme dobjectivation, relativise aussi tout discours religieux.
Nous pouvons toujours lemprisonner dans nos confessions de foi
et en parler comme sil était assigné à demeure
dans nos Églises et nos prédications
mais est-ce
encore Dieu ?
Se libérer du cruci-centrisme
Nous relèverons
enfin que le général de Gaulle sert à expliquer
une théologie chrétienne enfin libérée de
ce cruci-centrisme qui lassèche et lappauvrit trop
souvent. Cest encore André Gounelle
Ex-libris du Général
de Gaulle, la croix de Lorraine brise lemblème nazi
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qui ose, non sans humour, largument imparable :
« Que dirions-nous [
] dun gaulliste qui ne voudrait
parler que de la crise cardiaque dont le général est mort
? » (dans Parler du Christ, Paris, Van Dieren éditeur,
2003, page 49). Or nest-ce pas précisément ce que
nous faisons lorsque nous ne retenons de Jésus-Christ que sa
mort sur la croix ? Comme si le plus vital pour nous dans notre foi
nétait pas le contenu de sa prédication et de ses
actes mais simplement
sa mort ! Cest bien là que
réside lune des grandes faiblesses du Symbole dit des Apôtres
ou de la Confession de foi de Nicée-Constantinople que de ne
retenir de Jésus que sa naissance et sa mort
Nous pourrons
toujours objecter que la croix est essentielle pour révéler
un Dieu vaincu et pour nous permettre, nous-mêmes, de nous accepter
dans notre fragilité et dans notre impuissance. Mais systématiser
la croix, nest-ce pas se placer sous le coup dune crucifixion
permanente ? La croix est, certes, ce scandale qui nous fait tomber
de haut (le « scandale » est étymologiquement ce
qui fait tomber), nous révèle dans notre faiblesse et
nous confronte à nos limites, mais cette croix à vertu
pédagogique, nest en rien lhorizon ultime de lÉvangile
et de la vie humaine.
Quand de Gaulle vient au secours de la théologie
Celle-ci, on le voit, se raconte de bien des manières
Elle
emprunte des chemins surprenants, au risque parfois de légarement,
mais pour scruter de nouveaux horizons !
Raphaël
Picon