À l’approche
d’un anniversaire où j’étais censé atteindre
la sagesse, je me suis amusé. Amusé à repérer
comment les journaux parlent du bonheur. Quelques titres : « les
dix secrets du bonheur » – « comment être en
harmonie avec soi-même ? » – « vivre une rentrée
heureuse » – et, celui que je préfère, «
comment conserver le bonheur de la plage toute l’année ?
» Ces titres évocateurs et ces articles sont le symptôme
de notre société ; ils sont le reflet de nous-mêmes.
Le bonheur est essentiellement un travail centré sur soi, un
bonheur égocentré. Nous aspirons tous au bonheur, cela
est légitime. Mais de quoi parlons-nous ?
Le discours « médiatique » sur le
bonheur me semble reposer sur deux erreurs essentielles :
le bonheur est présenté comme individuel.
Il se définit comme la capacité que nous avons à
nous construire un univers à notre mesure, autour de nous. Or
nous sommes des êtres sociaux, faits pour un bonheur social c’est-à-dire
relationnel.
Le bonheur est présenté comme consommation
et accumulation : « comment conserver le bonheur de la plage ?
» Outre le fait que la plage apparaît comme la valeur ultime
et quasiment métaphysique pour cet intelligent magazine, c’est
l’idée de thésaurisation du bonheur qui me paraît
inquiétante. Il s’agit là d’une véritable
sacralisation de la consommation : tout se consomme. Le bonheur, comme
la religion d’ailleurs, deviennent des produits de magazine ou
de supermarché.
Mais une fois que l’on a dit et redit que le bonheur
est relationnel et qu’il est à vivre au jour le jour, a-t-on
tout dit ? Devons-nous nous contenter de cette course aux relations
et de cette frénésie du non-lendemain ? La sagesse nous
invite à faire un pas de plus : explorer notre humanité.
Le loup vit en meute avec des relations « sociales » très
précises et avec la satisfaction quotidienne d’une chasse
réussie. Est-il heureux pour autant ? Peut-on parler de bonheur
quand il n’y a que nécessité et satisfaction ? Ne
manque-t-il pas les deux dimensions qui nous font accéder à
l’humanité : la liberté et la pensée ? La
sagesse se propose à nous comme un langage, comme des mots mis
sur des réalités que nous vivons. Ce sont eux qui nous
font passer de la satisfaction au bonheur. Ces mots sont faits pour
durer au-delà du carpe diem.
Notre sagesse tient de l’alchimie : conjuguer l’instantané
du quotidien et l’exercice durable de la pensée. Notre sagesse
fait de nous des humains, possiblement heureux. Le bonheur est un «
oui ! » profond à la vie, vécu différemment
selon les âges, mais vécu possiblement à tous les
âges.
Jean-Marie
de Bourqueney