Mon propos nest
pas ici de penser la place et la fonction du pasteur dans notre société
actuelle au sein des paroisses, voire de la vie publique, mais bien
plutôt de minterroger sur le sens du mot « libéral
» lorsquon est confronté à la vie quotidienne
dune paroisse.
Quelle que soit notre position sur le rôle du pasteur,
il est évident que celui-ci influence, tant par sa prédication
que par ses actes, la réflexion et, espérons-le, la foi
des paroissiens dont il a la charge pour un temps donné. Sa théologie
marque sa prédication, ses actions pour la vie paroissiale, et
aussi bien souvent son comportement dans sa vie privée. Dun
autre côté, il y a la paroisse, avec ses couleurs théologiques
et sociologiques.
«Que cherchent les
gens lorsquils viennent à léglise ?
Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler deux, de
ce qui les pré-occupe, de ce qui les intéresse au
premier chef. Un pasteur se doit donc dêtre tout dabord
à lécoute de ses paroissiens, de discerner
leurs attentes, leurs envies et leurs besoins.»
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Être pasteur libéral dans une paroisse qui
affirme clairement sa position libérale na rien de sorcier.
Mais être pasteur libéral dans une paroisse quelconque,
ou dans une paroisse à majorité évangélique
est une autre paire de manche. Comment vivre sa théologie libérale
sans être sans cesse en confrontation directe avec les paroissiens,
ou en désaccord profond avec sa foi?
Ils viennent à lÉglise pour
Que cherchent les gens lorsquils viennent à
léglise ? Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler
deux, de ce qui les préoccupe, de ce qui les intéresse
au premier chef. Un pasteur se doit donc dêtre tout dabord
à lécoute de ses paroissiens, de discerner leurs
attentes, leurs envies et leurs besoins. Les paroissiens souhaitent
être cherchés et trouvés. On parle du manque de
bénévoles, mais cest en partie parce que personne
na jamais osé demander à tel ou tel de faire telle
ou telle chose.
Les gens qui viennent à lÉglise demandent
quon sintéresse à eux, quon les devine,
quon les comprenne ; ils demandent quon pressente en eux
lune ou lautre capacité, lun ou lautre
intérêt, ou souci, ou besoin. Ils demandent que leur pasteur
soit à leur écoute, et soit daccord au moins avec
une grande partie de ce quils pensent et surtout de ce quils
croient. Car il est souvent difficile à un paroissien de contredire
son pasteur. Limage qui veut que le pasteur soit dépositaire
de la « vraie foi » est tenace : si le pasteur le dit, cela
doit être vrai. Si le pasteur dit donc exactement le contraire
de ce que croit ou pense le paroissien, celui-ci nest pas trouvé,
il nest pas rejoint dans sa vie. Il ny a pas correspondance
entre le pasteur et lattente de ses ouailles.
Cette non correspondance se rencontre forcément
dans nimporte quelle paroisse avec nimporte quel pasteur.
Mais je pose aujourdhui la question : quelle est lattitude
dun pasteur de tendance théologique libérale dans
ce cas ? Comment vivre sa théologie libérale dans cette
situation ?
Et la prédication ?
La non-correspondance des opinions théologiques
se vit dans les entretiens individuels, dans les études bibliques
ou les différentes réunions de la paroisse. Il y a un
lieu où elle se vit plus drastiquement encore : cest celui
de la prédication. La prédication est un merveilleux dialogue,
intimiste, chuchoté à loreille des personnes qui
sont présentes dans le lieu de rassemblement. Cest un échange,
où certes lun parle et les autres se taisent, mais cest
un échange.
Une tête qui se lève, un sourire sur un
visage, une désapprobation de la tête, un questionnement
dans les yeux sont autant de messages renvoyés directement au
prédicateur. Un silence lourd aussi, et plus particulièrement
un manque de réaction total de la part de lauditoire. Dans
ce dernier cas, vous savez que vous passez totalement à côté
des attentes de vos paroissiens, soit que vous leur parliez dun
sujet quils ne comprennent pas, soit quils se sentent en
désaccord avec votre ligne de pensée. Ils semmurent
alors dans le silence, ils ferment leurs oreilles pour ne pas avoir
à subir ce discours qui ne les atteint pas. La messe est alors
dite, et la parole du prédicateur na pas rejoint les auditeurs
dans leurs préoccupations, ni dans leur foi.
Un pasteur libéral face à un auditoire
à tendance évangélique, pour ne citer que cet exemple
de tendances théologiques divergentes, se trouve plus souvent
quà son tour devant un silence emmuré. Que faire
alors pour rejoindre les gens, que faire pour quun message passe,
pour quun dialogue sinstaure ?
Nous sommes ici au cur de la question : quest-ce
quêtre libéral ? Comment vivre, comment mettre en
pratique sa théologie libérale ?
Être pasteur libéral
Théologiens ou béotiens
en la matière, orthodoxes et libéraux ont besoin
les uns des autres, les libéraux pour éviter de
succomber à je ne sais quelle enflure de leur propre appréciation
des choses, les orthodoxes parce qu'ils ne seraient que trop portés
à restreindre la liberté d'autrui et à tenir
leurs options pour intangibles.»
Bernard Reymond, Sur les traces des théologies
libérales, Van Dieren Editeur, 2002, p.57-58.
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Il y a une différence, me semble-t-il, entre le
fait de penser une théologie libérale et le fait de la
vivre en tant que pasteur dans une paroisse. Défendre une pensée
libérale face à une pensée orthodoxe ou évangélique
est un exercice intellectuel, que lon peut partager avec des personnes
de même niveau intellectuel. Vivre une théologie libérale
dans une paroisse où, forcément, tout le monde na
ni la même formation, ni les mêmes capacités de réflexion,
est un tout autre exercice. Surtout si lon considère que
le rôle du pasteur est de permettre à ses paroissiens de
trouver toujours et encore le chemin qui mène à Dieu,
de chercher les voies qui mènent à une communion plus
grande avec Dieu, qui essaient de se rapprocher de ce que Dieu a voulu
pour lêtre humain.
La provocation ici na pas lieu dêtre.
Être libéral ne veut pas dire être libertaire, être
libéral ne veut pas dire que lon puisse tout se permettre,
parce quon est libre, libre desprit. Le chapitre 8 de la
première épître aux Corinthiens met le doigt sur
un élément essentiel de la pratique de la foi, et de la
liberté quelle peut nous donner: ne pas mettre en danger
le plus faible que soi. Traduit dans notre perspective, cela donne :
ne pas mettre en danger celui qui croit autrement, ne pas choquer, au
risque déloigner de la vie de foi, ou de la vie de lÉglise.
Pour autant, saccommoder de la pensée théologique
et de la manière de croire de ses paroissiens, en allant à
lencontre de ses convictions, paraîtra hypocrite, ou sera
ressenti comme tel. Linadéquation entre le discours et
la pensée sera perçue, dune manière ou dune
autre.
Une liberté vécue
Ce qui me paraît fondamental, dans lessai
de vivre sa foi libérale en tant que pasteur de paroisse, cest
dinsister sur la liberté. Liberté de la foi, liberté
de celui qui croit, libération de celui qui croit.
La foi, à mon sens, ne doit pas étouffer
la respiration de celui ou celle qui tente dy accéder et
qui essaie de la vivre. Dieu a voulu lêtre humain libre,
et ce nest pas à la foi denfermer le croyant dans
un carcan de règles et de morales, de bonnes pensées et
de bonnes actions. Face à ce bouquet de tendances théologiques
diverses au sein dune communauté, face à ces opposés
et ces contraires qui se rassemblent pour un culte, il y a lieu, je
crois, de donner sa place à toutes ces tendances, de les écouter,
de les prendre en considération, puisquelle sont parties
des individus. Il y a lieu daccompagner ces fois différentes,
de les laisser sexprimer, même si elles vont à lencontre
totale de ma théologie, même si jai tendance à
vouloir les ignorer ou les mettre de côté, parce que je
ne les comprends pas.
Ma liberté en tant que pasteur libérale
est de chanter ma louange à Dieu pendant une heure ou deux avec
des chrétiens évangéliques, de ne pas parler de
Dieu avec les athées, de « dire la messe » sil
le faut une fois ou lautre un dimanche matin, et de réunir
tout cela en un bouquet, comme pour montrer que la foi peut se vivre
différemment, mais quelle doit mener à un seul but
: la liberté de lêtre humain devant les difficultés
de la vie, la liberté de choisir Dieu par rapport au reste. Ma
liberté est de vivre avec tout le monde, dinsérer
toutes ces personnes aux vécus si opposés avec Dieu dans
ma prédication et dans mes actes.
Vivre ma théologie libérale, cest
ne pas limposer aux autres, mais leur proposer une manière
de vivre et un chemin qui mène à la liberté voulue
par Dieu.
Anne
Lepper