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Numéro 183 - Novembre 2004
( sommaire )

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Dans son article « Libéralisme ? » ( Évangile et Liberté No 173 de janvier 2004), André Gounelle rappelait que le mot « libéral » indique « la liberté de croire et de penser théologiquement ». Il ajoutait, non sans intérêt, que « cette liberté, il ne suffit pas de l’affirmer ; il faut la pratiquer. ». Cette phrase, qui concluait son article, a rejoint Anne Lepper dans sa situation pastorale et dans sa réflexion à son sujet. Être pasteur libéral en paroisse, qu’est-ce à dire ?.

Pasteur libéral en paroisse

Mon propos n’est pas ici de penser la place et la fonction du pasteur dans notre société actuelle au sein des paroisses, voire de la vie publique, mais bien plutôt de m’interroger sur le sens du mot « libéral » lorsqu’on est confronté à la vie quotidienne d’une paroisse.

Quelle que soit notre position sur le rôle du pasteur, il est évident que celui-ci influence, tant par sa prédication que par ses actes, la réflexion et, espérons-le, la foi des paroissiens dont il a la charge pour un temps donné. Sa théologie marque sa prédication, ses actions pour la vie paroissiale, et aussi bien souvent son comportement dans sa vie privée. D’un autre côté, il y a la paroisse, avec ses couleurs théologiques et sociologiques.

«Que cherchent les gens lorsqu’ils viennent à l’église ? Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler d’eux, de ce qui les pré-occupe, de ce qui les intéresse au premier chef. Un pasteur se doit donc d’être tout d’abord à l’écoute de ses paroissiens, de discerner leurs attentes, leurs envies et leurs besoins.»

Être pasteur libéral dans une paroisse qui affirme clairement sa position libérale n’a rien de sorcier. Mais être pasteur libéral dans une paroisse quelconque, ou dans une paroisse à majorité évangélique est une autre paire de manche. Comment vivre sa théologie libérale sans être sans cesse en confrontation directe avec les paroissiens, ou en désaccord profond avec sa foi?

Ils viennent à l’Église pour…

Que cherchent les gens lorsqu’ils viennent à l’église ? Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler d’eux, de ce qui les préoccupe, de ce qui les intéresse au premier chef. Un pasteur se doit donc d’être tout d’abord à l’écoute de ses paroissiens, de discerner leurs attentes, leurs envies et leurs besoins. Les paroissiens souhaitent être cherchés et trouvés. On parle du manque de bénévoles, mais c’est en partie parce que personne n’a jamais osé demander à tel ou tel de faire telle ou telle chose.

Les gens qui viennent à l’Église demandent qu’on s’intéresse à eux, qu’on les devine, qu’on les comprenne ; ils demandent qu’on pressente en eux l’une ou l’autre capacité, l’un ou l’autre intérêt, ou souci, ou besoin. Ils demandent que leur pasteur soit à leur écoute, et soit d’accord au moins avec une grande partie de ce qu’ils pensent et surtout de ce qu’ils croient. Car il est souvent difficile à un paroissien de contredire son pasteur. L’image qui veut que le pasteur soit dépositaire de la « vraie foi » est tenace : si le pasteur le dit, cela doit être vrai. Si le pasteur dit donc exactement le contraire de ce que croit ou pense le paroissien, celui-ci n’est pas trouvé, il n’est pas rejoint dans sa vie. Il n’y a pas correspondance entre le pasteur et l’attente de ses ouailles.

Cette non correspondance se rencontre forcément dans n’importe quelle paroisse avec n’importe quel pasteur. Mais je pose aujourd’hui la question : quelle est l’attitude d’un pasteur de tendance théologique libérale dans ce cas ? Comment vivre sa théologie libérale dans cette situation ?

Et la prédication ?

La non-correspondance des opinions théologiques se vit dans les entretiens individuels, dans les études bibliques ou les différentes réunions de la paroisse. Il y a un lieu où elle se vit plus drastiquement encore : c’est celui de la prédication. La prédication est un merveilleux dialogue, intimiste, chuchoté à l’oreille des personnes qui sont présentes dans le lieu de rassemblement. C’est un échange, où certes l’un parle et les autres se taisent, mais c’est un échange.

Une tête qui se lève, un sourire sur un visage, une désapprobation de la tête, un questionnement dans les yeux sont autant de messages renvoyés directement au prédicateur. Un silence lourd aussi, et plus particulièrement un manque de réaction total de la part de l’auditoire. Dans ce dernier cas, vous savez que vous passez totalement à côté des attentes de vos paroissiens, soit que vous leur parliez d’un sujet qu’ils ne comprennent pas, soit qu’ils se sentent en désaccord avec votre ligne de pensée. Ils s’emmurent alors dans le silence, ils ferment leurs oreilles pour ne pas avoir à subir ce discours qui ne les atteint pas. La messe est alors dite, et la parole du prédicateur n’a pas rejoint les auditeurs dans leurs préoccupations, ni dans leur foi.

Un pasteur libéral face à un auditoire à tendance évangélique, pour ne citer que cet exemple de tendances théologiques divergentes, se trouve plus souvent qu’à son tour devant un silence emmuré. Que faire alors pour rejoindre les gens, que faire pour qu’un message passe, pour qu’un dialogue s’instaure ?

Nous sommes ici au cœur de la question : qu’est-ce qu’être libéral ? Comment vivre, comment mettre en pratique sa théologie libérale ?

Être pasteur libéral

Théologiens ou béotiens en la matière, orthodoxes et libéraux ont besoin les uns des autres, les libéraux pour éviter de succomber à je ne sais quelle enflure de leur propre appréciation des choses, les orthodoxes parce qu'ils ne seraient que trop portés à restreindre la liberté d'autrui et à tenir leurs options pour intangibles.»

Bernard Reymond, Sur les traces des théologies libérales, Van Dieren Editeur, 2002, p.57-58.

Il y a une différence, me semble-t-il, entre le fait de penser une théologie libérale et le fait de la vivre en tant que pasteur dans une paroisse. Défendre une pensée libérale face à une pensée orthodoxe ou évangélique est un exercice intellectuel, que l’on peut partager avec des personnes de même niveau intellectuel. Vivre une théologie libérale dans une paroisse où, forcément, tout le monde n’a ni la même formation, ni les mêmes capacités de réflexion, est un tout autre exercice. Surtout si l’on considère que le rôle du pasteur est de permettre à ses paroissiens de trouver toujours et encore le chemin qui mène à Dieu, de chercher les voies qui mènent à une communion plus grande avec Dieu, qui essaient de se rapprocher de ce que Dieu a voulu pour l’être humain.

La provocation ici n’a pas lieu d’être. Être libéral ne veut pas dire être libertaire, être libéral ne veut pas dire que l’on puisse tout se permettre, parce qu’on est libre, libre d’esprit. Le chapitre 8 de la première épître aux Corinthiens met le doigt sur un élément essentiel de la pratique de la foi, et de la liberté qu’elle peut nous donner: ne pas mettre en danger le plus faible que soi. Traduit dans notre perspective, cela donne : ne pas mettre en danger celui qui croit autrement, ne pas choquer, au risque d’éloigner de la vie de foi, ou de la vie de l’Église.

Pour autant, s’accommoder de la pensée théologique et de la manière de croire de ses paroissiens, en allant à l’encontre de ses convictions, paraîtra hypocrite, ou sera ressenti comme tel. L’inadéquation entre le discours et la pensée sera perçue, d’une manière ou d’une autre.

Une liberté vécue

Ce qui me paraît fondamental, dans l’essai de vivre sa foi libérale en tant que pasteur de paroisse, c’est d’insister sur la liberté. Liberté de la foi, liberté de celui qui croit, libération de celui qui croit.

La foi, à mon sens, ne doit pas étouffer la respiration de celui ou celle qui tente d’y accéder et qui essaie de la vivre. Dieu a voulu l’être humain libre, et ce n’est pas à la foi d’enfermer le croyant dans un carcan de règles et de morales, de bonnes pensées et de bonnes actions. Face à ce bouquet de tendances théologiques diverses au sein d’une communauté, face à ces opposés et ces contraires qui se rassemblent pour un culte, il y a lieu, je crois, de donner sa place à toutes ces tendances, de les écouter, de les prendre en considération, puisqu’elle sont parties des individus. Il y a lieu d’accompagner ces fois différentes, de les laisser s’exprimer, même si elles vont à l’encontre totale de ma théologie, même si j’ai tendance à vouloir les ignorer ou les mettre de côté, parce que je ne les comprends pas.

Ma liberté en tant que pasteur libérale est de chanter ma louange à Dieu pendant une heure ou deux avec des chrétiens évangéliques, de ne pas parler de Dieu avec les athées, de « dire la messe » s’il le faut une fois ou l’autre un dimanche matin, et de réunir tout cela en un bouquet, comme pour montrer que la foi peut se vivre différemment, mais qu’elle doit mener à un seul but : la liberté de l’être humain devant les difficultés de la vie, la liberté de choisir Dieu par rapport au reste. Ma liberté est de vivre avec tout le monde, d’insérer toutes ces personnes aux vécus si opposés avec Dieu dans ma prédication et dans mes actes.

Vivre ma théologie libérale, c’est ne pas l’imposer aux autres, mais leur proposer une manière de vivre et un chemin qui mène à la liberté voulue par Dieu. feuille

Anne Lepper

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