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Numéro 185 - Janvier 2005
( sommaire )

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On parle parfois d’œcuménisme pour les relations entre religions différentes ou pour qualifier un esprit d’ouverture, libéral et non sectaire. Le plus souvent ce mot désigne la recherche d’unité des Églises chrétiennes. Malgré des progrès considérables et réjouissants, le refus de la pluralité et de la relativité des dogmes, des rites et institutions ecclésiales, enferme dans une malheureuse impasse. Saura-t-on prendre une autre voie ?

L'unité des chrétiens est-elle possible ?

Le chemin parcouru

À la question « L’union des chrétiens est-elle possible ? » la réponse n’est pas facile. De remarquables progrès ont été réalisés depuis les origines du mouvement œcuménique, en 1910 à la conférence missionnaire des Églises protestantes d’Édimbourg. La création en 1948 à Amsterdam du Conseil Œcuménique des Églises, le COE, a suscité un énorme intérêt. Il ne groupait au départ que des protestants ; il s’est ouvert massivement, en 1961, aux orthodoxes. Il comprend aujourd’hui 300 Églises non catholiques d’une centaine de pays.

Les protestants ne veulent pas être considérés comme des dissidents qu’il faut ramener dans le droit chemin. On a eu tort de l’oublier.

Dès le début, l’Église Catholique Romaine (ECR) a refusé d’en faire partie et ce refus se continue encore aujourd’hui. Le Pape Pie XI en a donné clairement la raison, le 6 janvier 1928, dans l’encyclique Mortalium animos : « Le siège apostolique n’a jamais permis à ses fidèles d’assister aux Congrès des a-catholiques, l’union des chrétiens ne pouvant être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église de Jésus-Christ qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner. » Il n’y a donc pas lieu de chercher ailleurs puisque seule l’Église Catholique Romaine possède et l’unité et la vérité. Mais les protestants ne veulent pas être considérés comme des dissidents qu’il faut ramener dans le droit chemin. On a eu tort de l’oublier.

Les mentalités changent. Un nouvel esprit d’ouverture et de compréhension se développe avec les pontificats de Jean XXIII (1958-1963) et de Paul VI (1963-1978).Le Concile de Vatican II (1962-1965) est le premier à ne prononcer aucune condamnation ! À partir de ce concile, des observateurs catholiques sont envoyés au COE. En 1968, neuf catholiques deviennent membres à part entière de Foi et Constitution, la commission théologique du COE. Vatican II donna une formidable impulsion au dialogue catholico-protestant aussi bien au niveau des fidèles qu’à celui des théologiens.

Mentionnons également le groupe théologique des Dombes fondé en 1937. Bien que les textes qu’il signe restent privés et n’entraînent pas l’adhésion de tous, ils tiennent une place de choix dans l’histoire de la pensée œcuménique : les accords de Lima (en 1982) sur le B.E.M (Baptême, Eucharistie, Ministère) en fournissent la preuve.

Bien avant le Concile, en 1935 à Lyon, l’abbé Paul Couturier instaure la Semaine de prière pour l’unité. Des paroisses de quartier, proches les unes des autres, vivent ensemble un véritable œcuménisme spirituel. Le succès en fut immense et dure toujours. Nous n’avons ni su ni voulu en voir l’ambiguïté. L’abbé Couturier précisait « l’unité telle que Dieu la veut. » Comment un protestant peut-il prier pour l’unité telle que la conçoit l’ECR ?

Les communautés locales ont parcouru un chemin considérable. Il y a des acquis auxquels il ne faut pas renoncer : les réunions de prière ; l’étude en commun de la Bible ; le partage des expériences spirituelles ; la comparaison des doctrines, des traditions liturgiques et des méthodes pédagogiques ; les échanges de chaire entre prêtres et pasteurs ; les célébrations œcuméniques de mariage (interdites avant janvier 1970) et aussi de funérailles. On a appris vraiment à « partager ».

Communier ensemble ?

On en vint à vouloir communier ensemble... et on est passé à l’acte, en dépit de l’interdiction (rappelée par le secrétariat catholique de l’unité en avril 1983) faite aux prêtres de donner la communion aux protestants. La désobéissance a continué et prit de l’ampleur. L’évêque de Versailles finit par autoriser la communion dans un centre œcuménique de son diocèse.

«La présence de Dieu dans le monde est une présence mystérieuse et impossible à précipiter.

Tout aussi impossible à préciser sont les limites de l’Église.

C’est seulement dans un but de domination et de puissance à exercer qu’on croit possible de la fixer.»

Nicolas Berdiaeff, Dialectique existentielle du divin et de l’humain (1947).

Le pape Jean-Paul II mit fin à l’euphorie en publiant le 17 avril (jeudi saint) 2003 l’encyclique Ecclesia de Eucharistia. Il expose la doctrine classique et écrit : « l’Église vit continuellement du sacrifice rédempteur du Christ. Le sacrifice se perpétue sacramentellement dans chaque communauté par les mains du prêtre consacré ». Ainsi, « personne d’autre qu’un prêtre ordonné ne peut célébrer l’eucharistie ». Il ajoute que la doctrine de la transsubstantiation est toujours valide. C’est clair, net et précis : ni communauté ni eucharistie sans prêtre.

À la question que nous nous posons, ce texte répond : « L’unité de l’Église comporte l’exigence de la communion totale dans les liens de la profession de foi, des sacrements et du gouvernement ecclésiastique ; il n’est pas possible de concélébrer la même liturgie eucharistique jusqu’à ce que soit rétablie l’intégrité de ces liens. » Communier ensemble sans attendre le rétablissement intégral des liens en matière de doctrine et de discipline ecclésiastique est donc, du point de vue catholique, une erreur.

Malgré la colère de certains, la désillusion de beaucoup et la tristesse de tous, on avait oublié non seulement que l’œcuménisme se vit à plusieurs niveaux, celui des communautés locales, plus pratique, et celui des théologiens, plus clérical ; mais surtout, que deux conceptions radicalement opposées de l’œcuménisme sont en présence, la catholique et la protestante. Tant que l’ECR ne comprendra pas qu’elle n’est pas seule à représenter la totalité de l’Église et qu’elle voudra imposer à tous sa conception autoritaire et dogmatique de l’unité et de la vérité, tout dialogue sera impossible. Il ne pourra reprendre que sur d’autres bases et avec d’autres méthodes.

Pluralité et relativité

L’unité n’est pas uniformité ; celle de l’Église peut ressembler à celle d’un couple : ni fusion, ni domination, mais communion, partage, complémentarité, acceptation des différences. Il faut vivre ensemble et aimer l’autre tel qu’il est, non tel que l’on veut qu’il soit.

Quant à la vérité, elle n’est jamais ni une ni définitive, mais plurielle et relative. La conception catholique du dogme n’est pas acceptable ; elle n’est pas conforme à la réalité. Les dogmes ne peuvent être ni infaillibles ni définitifs car ils sont liés à l’histoire et tributaires d’une culture, d’une civilisation et d’un langage qui ne cessent d’évoluer et de changer ; ils deviendront caducs un jour ou l’autre.

Les mots ne rendent jamais compte ni parfaitement, ni totalement, de la pensée divine. Avant Karl Barth, saint Augustin disait déjà : « Dieu est tout autre que ce qu’on peut en penser ou en dire. »

Par ailleurs, on peut modifier la forme sans changer le fond. Si Jésus était né en Chine, il n’aurait pas pris du pain et du vin pour célébrer la Cène, mais du riz et du thé. Des jésuites ont tenté l’expérience : on les a immédiatement rappelés à l’ordre.

Jean XXIII avait ouvert une piste qui aurait évité l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Son discours d’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962, di-sait : « Autre est la substance de la foi, autre sa formulation », phrase reprise dans deux documents conciliaires : le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio du 21 novembre 1964 (n° 6) et la constitution pastorale sur l’Église Gaudium et Spes, du 7 décembre 1965 (n° 44 et 66).

Jamais personne n’a repris cette possibilité d’un nouveau dialogue et nous ne pouvons pas demander à l’ECR de changer de position. Elle a fait un choix qu’elle déclare seul acceptable : les vérités de foi se trouvent dans l’Écriture et dans la tradition. Nous, protestants, en avons fait un autre en estimant qu’elles ne se trouvent que dans la tradition apostolique, c’est-à-dire l’Écriture seule, la tradition post-apostolique étant explicative mais non normative.

Pour conclure

Luther déclara à la diète de Worms, le 17 avril 1521 : « Ni ne pouvons ni ne voulons nous rétracter. » Le texte de Jean « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » (Jn 14,2) nous autorise à être chrétien autrement. feuille

Pierre Fath

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