On trouve le récit
commenté de ces crimes dits « passionnels » et du
procès en cour d’assises, des mois plus tard, à la
rubrique Faits divers. Faits divers « passionnels », un
genre rédactionnel dont la place est importante dans les stratégies
commerciales du journal. Il fait vendre parce qu’il joue tout simplement
sur le plaisir ambigu du lecteur que le journaliste séduit, en
lui contant un fait sanglant avec légèreté, ironie,
distanciation, alors même qu’il est question de mort tragique
et de désordre social. « Ces faits divers donnent une image
caricaturale mais éclairante des représentations sociales
actuelles de la conjugalité, des relations amoureuses dans ce
qu’elles ont de normal ou d’anormal. La presse participe à
construire ces représentations sociales dans un décalage
permanent entre le modèle de relations égalitaires homme/femme
officiellement promu et un modèle latent, profondément
archaïque et inégalitaire, sans contre-modèle proposé,
finalement comme une double morale selon qu’on est homme ou femme.
Bien plus, on constate que la complaisance sociale dont jouit la criminalité
passionnelle perdure » (Crime passionnel, crime ordinaire ? par
Annick Houel, Patricia Mercader, Helga Sobota, PUF).
Mais qu’est-ce qu’un crime passionnel ?
Toute
affaire criminelle dont les acteurs entretiennent une relation amoureuse
ou sexuelle. Mais aussi un genre littéraire durable, qui s’apparente
aux feuilletons populaires du XIXe siècle, eux-mêmes héritiers
lointains des canards sanglants du XVIe siècle diffusés
par colportage. À notre époque, presse et opinion publique
continuent de nommer crime passionnel ce qui n’a plus d’existence
juridique depuis 1791, lorsque le Code pénal supprime la distinction
entre crimes par intérêt et crimes sous l’empire de
la passion. Il n’en demeure pas moins que ce genre de crimes d’amour
et de haine a bénéficié de circonstances atténuantes
jusqu’en 1975. Et que demeure ancrée dans nos mentalités
la certitude que l’amour, la passion, la jalousie sont des circonstances
atténuantes « évidentes », qui entraînent
un homme banal à tuer une femme dans un coup de folie (trois
fois plus souvent qu’une femme ne tue un homme). « Coup de
folie », des mots souvent employés par la presse.
Aujourd’hui la dénonciation des violences
faites aux femmes est bien présente mais la manière de
relater les faits divers n’a pas changé et la presse minimise,
au nom de l’amour, les violences physiques, le harcèlement,
le viol même, qui ont précédé le crime passionnel.
Un laconique « elle voulait le quitter », dit tout. Le journaliste
nous pose presque la question : franchement, qui n’a jamais pensé
« Si tu me quitte, je te tue » ? L’autre versant de
la rupture et de la mort – les menaces, les violences physiques,
les rapports de gendarmerie – en fait tous ces signes avant-coureurs
qui auraient dû alerter, ne semblent pas pris en compte. Ni la
cour d’assises, ni la presse qui garde un ton ironique et distancié,
ne font le lien. Quant au jury populaire, il juge avec toutes ses représentations
sur les rapports amoureux et le désordre social qu’a installé
le protagoniste qui n’a plus voulu jouer le jeu…
Qui est victime ?
Les deux psychologues
et la sociologue qui ont dépouillé sept •• ans
durant les faits divers du Dauphiné Libéré et surtout
du Progrès (558 articles pour 337 crimes passionnels) notent
encore la « chosification » de la victime qui perd jusqu’à
son nom. Perverse d’avoir refusé cet « amour fou »,
elle est désignée implicitement comme responsable de son
sort : « Elle a signé son arrêt de mort »,
entend-on, lorsqu’elle a rompu une relation, à la vie à
la mort, où elle était la propriété définitive
d’un seul. Contraste évident avec la description détaillée
du tueur : homme violent certes, mais tellement séduisant –
« c’est un homme, un vrai » – ou bien petit garçon
attardé, exagérément attaché à sa
mère, ou au contraire traumatisé par l’abandon maternel,
puis par celui de « sa » femme. Le journaliste s’attarde
sur des explications psychopathologiques suggérant un homme subtilement
déresponsabilisé jusqu’à en faire une victime
! Comme si la passion amoureuse trahie légitimait « naturellement
» le crime. L’amour, toujours responsable…
Alors, pourquoi lit-on le fait divers passionnel avec
tant de délectation ? Annick Houel répond qu’ «
il séduit parce qu’il fait rêver au meurtre de l’aimé(e),
fantasme universel. Il a une fonction cathartique – comme un conte
de fées, on y lit la vie des autres, sans vouloir s’avouer
que ce sont nos histoires d’amour et de famille – en même
temps que rassurante en consolidant les valeurs refuge (famille, épouse
et mère) ». 
Claudine
Castelnau