Pour une série
de quelques billets mensuels j’ai choisi d’aller visiter les
frontières ; particulièrement intéressantes, car
elles sont à la fois l’endroit où les séparations
sont visibles mais aussi où les différences entrent en
contact les unes avec les autres, les frontières sont à
la fois abîmes et ponts.
Aujourd’hui je voudrais regarder de plus près
la frontière entre vivant et inanimé. De grands penseurs
et philosophes, proches parfois de la pensée libérale
(Albert Schweitzer, Théodore Monod) ont insisté sur le
« respect de la vie » dans leur réflexion et leur
éthique personnelle. Il s’agissait pour eux d’étendre
le respect envers l’humain au vivant, animal et végétal,
un peu comme ce que l’on peut observer dans certaines religions
orientales. Or la séparation entre vivant et inanimé n’est
pas aussi évidente qu’on peut le penser au premier abord.
En effet, si l’homme, l’animal et le végétal
sont évidemment vivants, si les organismes unicellulaires, algues,
bactéries… le sont assez évidemment, si les particules
élémentaires, les atomes, les molécules sont inanimés,
la question reste ouverte pour les virus. Ceux-ci peuvent être
compris tout aussi bien comme de très grosses molécules
que comme des êtres vivants.
En général, on caractérise le vivant
par l’aptitude à se multiplier (Gn 1,28). Les virus, pour
se multiplier, ont besoin d’une cellule vivante hôte qui
va, elle, multiplier le virus ; on en déduit donc souvent qu’ils
inclinent plutôt vers l’inanimé. Mais le monde vivant
supérieur se caractérise par la reproduction sexuée
et, là encore, chaque individu ne peut se multiplier qu’avec
l’aide d’un partenaire de sexe différent. Serait-ce
alors que l’individu sexué n’est pas vivant ? Bien
évidemment non ; mais alors le virus est-il vivant, et devons-nous
affirmer haut et fort le droit du VIH à se multiplier ? Comme
on le voit sur cet exemple caricatural, la frontière floue entre
vivant et inanimé oblige à relativiser les meilleures
maximes morales. Ceci doit donc induire la conscience d’une solidarité
de l’humanité non seulement avec « le vivant »
mais aussi avec « l’inanimé ».
Jean-Claude
Deroche