Parfois la maladie, la souffrance,
la mort frappent en aveugle tout près, chez un frère,
un cousin, un ami. Alors je me demande : pourquoi lui, et pas moi ?
Existe-t-il une cause, un but, une raison ? C’est comme une injustice
dont je me sens presque coupable, honteux d’y avoir échappé,
d’être vivant, libre et plutôt heureux.
Quel sens peut-on trouver, ou même peut-on donner, à
ces coups du sort qui semblent tomber au hasard ?
Mais non, tout cela n’a aucun sens, la souffrance n’a pas
de sens. Des forces de mort, d’absurdité, de néant
sont là dans la nature comme dans l’homme, et rien ne peut
les résorber. Faut-il chercher un sens à ce qui tue le
sens, une raison d’être à ce qui abîme les êtres
? Aucune bonne parole, aucun grand rêve, aucune utopie, aucun
plan de Dieu ne peut donner sens et raison au cancer, au sida, à
la torture, aux génocides, aux tsunamis ou aux attentats terroristes.
C’est la traversée de ces malheurs qui peut prendre du
sens. Le seul sens possible du mal et de la mort est dans le mouvement
qui les dépasse et ouvre malgré tout des pistes vers l’avenir.
C’est vrai, les plus belles floraisons jaillissent des terres
nourries de cendre. Sur le terreau du passé mort foisonne l’herbe
nouvelle. Des œuvres d’art sublimes naissent dans la grisaille
d’existences usées par le malheur, la maladie, la solitude.
Des éclairs de génie peuvent surgir des brumes de l’alcool
ou de la folie. Mais ces jaillissements de sens et de beauté
n’ont pas pour origine une force créatrice du mal. C’est
l’Esprit, le Souffle créateur qui traverse ce mal et le
bouscule, permettant à nouveau l’éclosion de la vie,
une vie d’autant plus riche de sens et de beauté qu’elle
a dépassé ce qui veut la détruire.
Ainsi Jésus passe à travers la souffrance et la mort,
ouvrant une brèche de lumière.
Et sur ce chemin, éclairé de l’avenir, que Dieu
nous trace à l’infini, la mort même n’est plus
que marche vers la vie. 
Jacques
Juilliard