Cher ami,
Je suis embarrassé pour dire quelque chose de neuf
par rapport au flot de discours éloquents qui a déferlé
à l’Assemblée nationale, puis dans les médias
il y a plus de deux ans. Mais j’ai bien peur qu’après
quelques améliorations des bâtiments et une modification
de la réglementation pénitentiaire tout retombe dans l’oubli.
Ma réflexion se voudrait beaucoup plus exigeante,
mais elle se heurte à l’indifférence générale.
La prison touche plus de 100 000 personnes par an. Qu’est-ce que
cela représente, dans un pays de 60 millions d’habitants
et qui compte deux millions de chômeurs ?
En général, la population carcérale
appartient aux classes populaires, au sous-prolétariat, à
la marginalité. Notre société méprise les
faibles et les vaincus. Il faut donc faire appel au sens de la justice,
au nom des Droits de tout homme à vivre et à jouer son
rôle dans la société.
C’est donc d’abord un choix politique.
Le délinquant me semble motivé directement
par les objectifs que la société lui propose : l’argent,
l’orgueil, l’ambition, avec toutes les satisfactions que ces
attitudes procurent (à condition de réduire au silence
sa conscience).
Ce que beaucoup obtiennent grâce à leur
travail, leur culture, leur situation dans la société,
le délinquant, privé de moyens et handicapé sur
le plan social, va tenter de l’acqué-rir par la ruse, la
violence ou la perversité.
Notre société, qui laisse sur le trottoir
de la productivité et de la consommation les futurs pensionnaires
de ses prisons, doit comprendre sa totale responsabilité. Elle
est criminogène par sa structure même. Elle se plaint des
menaces de l’insécurité sans comprendre qu’elle
en est l’origine. Cette population refoulée des lieux de
consommation souffre puis, parfois, passe à l’acte.
Une réflexion profonde sur la population carcérale
amène à une prise de conscience quant à la responsabilité
d’une société de l’avoir et de la convoitise,
et quant à la dette vis-à-vis du délinquant, qui
subit souvent la prison sans comprendre. On lui doit réparation
: enseignement, formation morale et professionnelle, culture, et, à
la sortie, des possibilités réelles d’insertion.
Qui peut comprendre ce problème et entreprendre
de profondes réformes ? Les humanistes, les élus du peuple,
les autorités morales et religieuses et… les magistrats
!
Depuis plus de 30 ans j’essaie de défendre
cette idée que les magistrats sont responsables des dysfonctionnements
de la justice. Mais en vain. Les meilleurs d’entre eux admettent
que la prison est un lieu détestable ; mais on leur a inculqué
cette idée que leur rôle s’arrête à la
fin du procès. La sentence prononcée, c’est à
d’autres d’appliquer la peine. Leur travail est terminé.
Il me semble que le magistrat n’a pas seulement
à dire le droit, à protéger la société
dans son principe majeur : la propriété des biens, la
sécurité des personnes. Le magistrat doit réfléchir
profondément sur les racines de sa profession : la justice est-elle
juste ? La société est-elle vraiment protégée,
vu le taux de récidive ? Et surtout, le magistrat « peut-il
se désintéresser des conséquences de sa décision
? » (Guy Canivet, président de la cour de cassation)
Est-ce du bon travail que de protéger la société
et ses lois en faisant souffrir, en excluant, en faisant mine d’ignorer
qu’un homme sanctionné peut devenir une épave irrécupérable,
alors qu’il est en réalité un citoyen de droit, que
la société a le devoir de réintégrer dans
son sein ?
On peut bien sûr débattre : le délinquant
est-il une victime ? un malade ? un pervers ? La réponse est
inévitablement variable et variée. Mais la prison doit
être complètement réorganisée. Le but de
la sanction (carcérale ou non) est d’aider le délinquant
à prendre conscience de l’attitude que la société
attend de lui. Une armée de sociologues, de psychothérapeutes,
d’éducateurs devrait être recrutée et motivée.
Si les magistrats avaient le souci de faire leur tâche
jusqu’au bout (avant le procès, durant le procès
et jusqu’à la récupération de l’homme
sanctionné), ils exerceraient une pression efficace sur les pouvoirs
publics afin que la sanction-prison ne soit pas automatique, et que
l’enfermement soit une occasion de prise de conscience.
Pour parler sans détour : les Magistrats ont-ils
conscience qu’ils sont les défenseurs d’une société
injuste, qui abandonne sur la marge des personnes incapables de suivre
le courant, et qui sont condamnées à tomber dans le piège
de la délinquance ?
Pourquoi la seule réponse est-elle l’emprisonnement
alors que le code prévoit beaucoup d’autres sanctions positives
? 
Pasteur
Jean Hoibian,
ancien aumônier des prisons
de la région parisienne