L'été
offre aux habitants de la terre un espace de lumière et de chaleur.
Le nom de cette belle saison évoque la liberté, celle
des corps ensoleillés et des vacances qualifiées de «grandes».
Attractif, le plus souvent, le soleil, chacun le sait
peut devenir un véritable ennemi. Il peut apporter la mort dans
ses rayons et le simple mot de «canicule» évoque
désormais une menace suprême. Tant de gens ont fermés
définitivement les yeux, déshydratés, solitaires,
abandonnés dans les villes désertifiées…
La réaction fut vive! Il fallait renouer des liens
et s’occuper des défunts qu’aucun parent ne connaissait.
Parfois même, disent les hospitaliers, les rares parents retrouvés
et informés refusaient d’écourter leur congé.
Ils n’hésitaient pas à abandonner les leurs une seconde
fois. Il faut savoir que c’est aussi cela la réalité
de nos cités.
La réaction fut vive! Un «collectif»
d’associations est né. L’Eglise protestante s’est
engagée dans ce nouveau réseau d’entraide et de mémoire.
Pour décéder, il n’y a pas de saison morte. C’est
tous les jours que des femmes, des enfants, des hommes s’endorment,
solitaires, parfois de manière violente, de façon inhumaine
souvent, ceux de la rue meurent seuls, toujours.
On les appelle les «morts de la rue». Leur
dépouille est destinée à la fosse commune.
La réaction fut vive! Désormais le collectif
«les Morts de la rue» s’emploie à rencontrer
tous les vivants que l’errance et le dénuement ne rend pas
forcément aimables. Des ateliers furent créés,
des moments de partage, de véritables rencontres furent aménagées.
Ainsi a été favorisé un réseau d’accueil
sans jugement ni fausse pudeur. Ce sont là des lieux de paroles
avec ceux de qui l’on détourne habituellement le visage.
C’est alors que des solidarités émouvantes
naissent avec ceux-là même qui vivent en marge parfois
depuis longtemps et quelquefois depuis la veille ou l’avant-veille!
Nous devons avoir conscience qu’un être humain peut voir
sa vie basculer en très peu de temps. On peut passer en quelques
jours d’une existence organisée à la rigueur implacable
de la vie dans la rue.
Vivre l’errance et la misère, c’est
frôler la mort tous les jours. Avec ce sentiment étrange
de venir de rien, de ne retourner à rien. Alors la tentation
est forte de se dire: «à quoi bon être ici-bas quelque
chose!
Notre réaction fut vive! Lorsqu’en effet
est arrivé l’inéluctable, le collectif «les
morts de la rue» délègue deux personnes bénévoles
pour accompagner les défunts à leur dernière demeure.
Il se passe alors un rituel qui a peu de poids, mais
nous savons tous que l’essentiel le plus souvent a peu de poids.
Accompagner les défunts
dont on ne connaît généralement qu’un
nom, un prénom, une date de naissance et parfois une origine
est une responsabilité de la dignité humaine.
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Accompagner les défunts dont on ne connaît
généralement qu’un nom, un prénom, une date
de naissance et parfois une origine est une responsabilité de
la dignité humaine. Lorsque l’appartenance religieuse (le
plus souvent) est méconnue, les accompagnateurs choisissent de
lire un texte poétique qui résonne alors avec une extraordinaire
puissance. Une fleur est déposée sur la sépulture
refermée pour quelques années.
Il s’agit d’une présence d’une
très grande simplicité pour l’honneur et la reconnaissance
de celui qui a quitté ce monde. Mais cette présence a
du sens également pour le partage avec les personnels hospitaliers
qui ont préparé ce corps solitaire. Une telle présence
bénévole sonne juste aussi à côté
de ceux qui transportent le corps (service de la ville de Paris) et
naturellement auprès des fossoyeurs qui procèdent à
l’inhumation.
Chaque année, une cérémonie œcuménique
réunit à la fois les personnes de ce collectif avec bien
sûr beaucoup de per-sonnes vivant dans la rue. C’est alors
le temps de lire, avec respect les noms de tous les disparus qui ont,
eux aussi, comme chacun de nous, leur histoire.
Que l’on se retrouve au temple de l’Oratoire
du Louvre, à l’église Saint Eustache, dans une synagogue
ou une mosquée, l’intensité du recueillement et la
chaleur de l’amitié donnent tout son sens à la ferveur
d’une «remise à Dieu» que chacun exprime dans
sa confession, dans son appartenance ou sa non-appartenance. Lorsque
l’on a vécu l’émotion d’un accompagnement
jusqu’au cimetière, l’anonymat s’est transformé
en proximité étrange; c’est alors que l’on tourne,
ensemble une page d’éternité. 
Werner
Burki

Lors de la cérémonie œcuménique
en hommage aux morts de la rue à Saint Eustache, un grand patchwork
fait par des gens de la rue était étendu au sol, un carreau
«représentant» un des défunts de l’année.
La lecture de leurs noms était ponctuée par les coups
de gong.
© Photo Collectif Les Morts de la rue.