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Numéro 190 - juin-juillet 2005
( sommaire )

Combattre

Ceux qui n’ont pas de famille, les exclus, les «parias» de nos sociétés meurent aussi. Et ils vont seuls au cimetière… Werner Burki nous présente le collectif «Les morts de la rue» qui, dé-sormais, les accompagne jusqu’à leur sépulture.

Les morts de la rue
par Werner Burki

L'été offre aux habitants de la terre un espace de lumière et de chaleur. Le nom de cette belle saison évoque la liberté, celle des corps ensoleillés et des vacances qualifiées de «grandes».

Attractif, le plus souvent, le soleil, chacun le sait peut devenir un véritable ennemi. Il peut apporter la mort dans ses rayons et le simple mot de «canicule» évoque désormais une menace suprême. Tant de gens ont fermés définitivement les yeux, déshydratés, solitaires, abandonnés dans les villes désertifiées…

La réaction fut vive! Il fallait renouer des liens et s’occuper des défunts qu’aucun parent ne connaissait. Parfois même, disent les hospitaliers, les rares parents retrouvés et informés refusaient d’écourter leur congé. Ils n’hésitaient pas à abandonner les leurs une seconde fois. Il faut savoir que c’est aussi cela la réalité de nos cités.

La réaction fut vive! Un «collectif» d’associations est né. L’Eglise protestante s’est engagée dans ce nouveau réseau d’entraide et de mémoire. Pour décéder, il n’y a pas de saison morte. C’est tous les jours que des femmes, des enfants, des hommes s’endorment, solitaires, parfois de manière violente, de façon inhumaine souvent, ceux de la rue meurent seuls, toujours.

On les appelle les «morts de la rue». Leur dépouille est destinée à la fosse commune.

La réaction fut vive! Désormais le collectif «les Morts de la rue» s’emploie à rencontrer tous les vivants que l’errance et le dénuement ne rend pas forcément aimables. Des ateliers furent créés, des moments de partage, de véritables rencontres furent aménagées. Ainsi a été favorisé un réseau d’accueil sans jugement ni fausse pudeur. Ce sont là des lieux de paroles avec ceux de qui l’on détourne habituellement le visage.

C’est alors que des solidarités émouvantes naissent avec ceux-là même qui vivent en marge parfois depuis longtemps et quelquefois depuis la veille ou l’avant-veille! Nous devons avoir conscience qu’un être humain peut voir sa vie basculer en très peu de temps. On peut passer en quelques jours d’une existence organisée à la rigueur implacable de la vie dans la rue.

Vivre l’errance et la misère, c’est frôler la mort tous les jours. Avec ce sentiment étrange de venir de rien, de ne retourner à rien. Alors la tentation est forte de se dire: «à quoi bon être ici-bas quelque chose!

Notre réaction fut vive! Lorsqu’en effet est arrivé l’inéluctable, le collectif «les morts de la rue» délègue deux personnes bénévoles pour accompagner les défunts à leur dernière demeure.

Il se passe alors un rituel qui a peu de poids, mais nous savons tous que l’essentiel le plus souvent a peu de poids.

Accompagner les défunts dont on ne connaît généralement qu’un nom, un prénom, une date de naissance et parfois une origine est une responsabilité de la dignité humaine.

Accompagner les défunts dont on ne connaît généralement qu’un nom, un prénom, une date de naissance et parfois une origine est une responsabilité de la dignité humaine. Lorsque l’appartenance religieuse (le plus souvent) est méconnue, les accompagnateurs choisissent de lire un texte poétique qui résonne alors avec une extraordinaire puissance. Une fleur est déposée sur la sépulture refermée pour quelques années.

Il s’agit d’une présence d’une très grande simplicité pour l’honneur et la reconnaissance de celui qui a quitté ce monde. Mais cette présence a du sens également pour le partage avec les personnels hospitaliers qui ont préparé ce corps solitaire. Une telle présence bénévole sonne juste aussi à côté de ceux qui transportent le corps (service de la ville de Paris) et naturellement auprès des fossoyeurs qui procèdent à l’inhumation.

Chaque année, une cérémonie œcuménique réunit à la fois les personnes de ce collectif avec bien sûr beaucoup de per-sonnes vivant dans la rue. C’est alors le temps de lire, avec respect les noms de tous les disparus qui ont, eux aussi, comme chacun de nous, leur histoire.

Que l’on se retrouve au temple de l’Oratoire du Louvre, à l’église Saint Eustache, dans une synagogue ou une mosquée, l’intensité du recueillement et la chaleur de l’amitié donnent tout son sens à la ferveur d’une «remise à Dieu» que chacun exprime dans sa confession, dans son appartenance ou sa non-appartenance. Lorsque l’on a vécu l’émotion d’un accompagnement jusqu’au cimetière, l’anonymat s’est transformé en proximité étrange; c’est alors que l’on tourne, ensemble une page d’éternité. feuille

Werner Burki

patchwork fait par des gens de la rue

Lors de la cérémonie œcuménique en hommage aux morts de la rue à Saint Eustache, un grand patchwork fait par des gens de la rue était étendu au sol, un carreau «représentant» un des défunts de l’année. La lecture de leurs noms était ponctuée par les coups de gong.
© Photo Collectif Les Morts de la rue.

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