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Numéro 194 - décembre 2005
( sommaire )

Cahier : Petite histoire de la laïcité

par Philippe Vassaux

 

La laïcité ne nous a pas été donnée comme une révélation. Elle n’est sortie de la tête d’aucun prophète ; elle n’est exprimée dans aucun catéchisme. Aucun texte sacré n’en contient les secrets, elle n’en a pas. Elle se cherche, s’exprime, se discute, s’exerce et, s’il faut, se corrige et se répand », a écrit Claude Nicolet, historien des institutions et des idées politiques.

Avec la commission Stasi, liée au « problème du foulard », et le centenaire de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, la laïcité revient sur le devant de la scène.

Le mot « laïcité » apparaît pour la première fois vers 1870, au terme de la longue histoire des relations entre Église et État.

Dans la France médiévale la monarchie et l’Église sont intimement liées. À la Renaissance on assiste, avec la Réforme, à un premier desserrement de ces liens ; le royaume reste catholique mais les droits des réformés sont reconnus. La révocation de l’Édit de Nantes en 1685 redonne le monopole à la religion catholique et facilite un contrôle social par le souverain. La norme religieuse se confond avec la norme morale et politique, bien que la réflexion philosophique aille déjà à l’encontre de cette fusion. Au XVIIIe siècle les philosophes des Lumières vont répandre les notions de droits des individus, de séparation des pouvoirs, de distinction entre peuple et nation ; mais ces réflexions n’entraînent pas de modification immédiate dans les institutions politiques et religieuses.

C’est avec la Révolution que les choses changent radicalement. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen affirme la liberté d’opinion et d’expression, même religieuse, et surtout, la détermination de l’identité et des droits de l’individu hors de la norme religieuse. Le fondement du pouvoir est désormais uniquement politique et non religieux. Le processus de laïcisation se met en route ; c’est sur le rapport du protestant Boissy d’Anglas que la loi du 3 ventôse an III (21 février 1795) proclame officiellement la séparation des Églises et de l’État, et la liberté des cultes sans appui de l’état. En 1801, Napoléon inaugure le système des « quatre cultes reconnus » (catholique, réformé, luthérien et israélite) : avec le Concordat, la liberté religieuse est désormais contrôlée par l’État, et il faudra attendre 1905 pour retrouver une véritable laïcité.

Philippe Vassaux, pasteur de l’Église réformée de France, et historien, nous présente ici un dossier sur l’élaboration de la loi de 1905, sur son application, sur les réactions des protestants face à cette loi, à l’époque et aujourd’hui. feuille

Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

Combes abat l'arbre de la suprématie de l'Église
Aristide Briand redresse l'arbre avec les béquilles des lois
(1905), Combes abat
l'arbre de la suprématie de l'Église
(1907), Aristide Briand redresse
l'arbre avec les béquilles des lois
Deux dessins de Grandjouan. © ADAGP, Paris.
Reproduits dans À bas la calotte, Editions Alternatives, 2005

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La Loi de 1905 : séparation ou nouvelle relation entre les Églises et l’État
par Philippe Vassaux

L’affrontement de deux France

Le Concordat, qui ne concerne en rien les protestants, est une convention signée en 1801 entre le premier consul Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII. Les modalités d’application, définies unilatéralement par Bonaparte, forment les Articles organiques de 1802 qui seront élargis aux protestants, puis aux israélites. Les cultes reconnus sont dotés d’un statut de service public. Ils bénéficient de fonds publics et du paiement des ministres du culte imputé au budget de l’État. Les Églises gagnent en sécurité ce qu’elles ont perdu en autonomie. Le protestantisme réformé doit faire le deuil de son organisation synodale et démocratique. Seuls les notables sont de temps en temps consultés par le pouvoir.

Dans un pays où la déchristianisation a progressé tout au long du XIXe siècle, l’Église catholique cherche à regagner du terrain. Le culte de Marie, la multiplication des processions, la mise en place de nombreuses « croix de mission », les pèlerinages, le catalogue élaboré par Rome en 1864 des erreurs modernes, connu sous le nom de Syllabus, vont dans le sens d’un retour à l’obscurantisme, même si les catholiques disciples de Lamennais, Lacordaire ou Montalembert, au nom des exigences du libéralisme, manifestent une ouverture certaine. Il ne s’agit pas d’un conflit entre croyants et incroyants, mais de l’affrontement de deux France : le camp des républicains contre le camp des catholiques ultramontains qui aspirent à l’hégémonie.

En 1866 les protestants (850 000) et les juifs (90 000), dans un pays qui compte 37 100 000 catholiques, sont plutôt satisfaits de pouvoir exercer librement leur culte, du moins partout où ils sont reconnus parce qu’ils représentent une minorité qui n’est pas complètement négligeable. Nombre d’entre eux vont figurer à la tête des républicains.

Léon Gambetta déclare à la Chambre des députés en 1877: « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ».

Léon Gambetta déclare à la chambre des députés en 1877 : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi. »

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La loi de 1901 et la lutte contre les congrégations

Bien des libertés ne sont acquises que lentement. En 1880 une loi supprime l’obligation du repos dominical. En 1881, dans le cadre d’une loi sur la presse, le délit de blasphème disparaît. En 1883 un décret dissocie les honneurs militaires des cérémonies religieuses par abrogation d’un décret de 1863 qui ordonnait de rendre les honneurs au passage du saint sacrement. En 1884 le divorce civil est rétabli, les prières publiques sont supprimées, notamment lors des rentrées parlementaires. Les obsèques civiles sont admises à partir de 1887.

Les républicains sont unanimes pour écarter la tutelle idéologique de l’Église, mais ils diffèrent sur les moyens à mettre en œuvre à cet effet. Le Concordat n’a pas défini le rôle et la place des congrégations, notamment des congrégations enseignantes qui en 1899 scolarisent la moitié des élèves de l’enseignement secondaire. Ces congrégations disposent de patrimoines importants qui s’élèvent peut-être à un milliard.

La loi de 1901 sur les associations accorde une marge de liberté qui facilite la création d’associations à visée culturelle, mais impose une déclaration préalable. La même loi permet de s’attaquer aux congrégations en renforçant l’obligation d’autorisation préalable par le parlement et en déclarant illicites l’existence et le fonctionnement de celles qui ne sont pas autorisées. Si Waldeck-Rousseau, avec la loi de 1901, voulait contraindre les congrégations à respecter les lois de la République, son successeur Émile Combes veut mettre un terme à leur influence en refusant leur demande d’autorisation qui ne sera accordée dans un premier temps qu’à cinq congrégations hospitalières.

L’ensemble de ces mesures provoque en 1904 la fermeture de 10 000 établissements congréganistes (faisant partie de congrégations), dont la moitié va rouvrir sous une forme sécularisée. On estime que près de 30 000 religieux et religieuses ont quitté la France à la suite de cette interdiction, qui a été comparée un peu trop vite à la Révocation de l’Édit de Nantes.

Les protestants ont joué la carte de la laïcité avec Jules Ferry. C’est ainsi qu’ils ont donné à l’État 1 380 écoles primaires, la presque totalité des établissement qu’ils ont fondés au XIXe siècle. Une exception est faite pour les écoles congréganistes maintenues dans les colonies où l’on redoute l’influence étrangère. Parlant à l’Assemblée nationale le ministre des colonies Gaston Doumergue, le seul protestant qui accédera à la présidence de la République, en accord avec Ferdinand Buisson, s’oppose à cet amendement qui sera voté par 283 voix contre 272.

Né dans une famille protestante, l’agrégé de philosophie Ferdinand Buisson, l’un des confidents les plus intimes de Jules Ferry, qui fera de lui le directeur de l’enseignement primaire, a soutenu sa thèse de doctorat sur le Réformateur Sébastien Castellion, l’adversaire théologique de Calvin. Il a publié avec le pasteur Charles Wagner un ouvrage intitulé Libre pensée et protestantisme libéral, (rééd. en 1992 sous le titre Sommes-nous tous des libres croyants ? Libre pensée et protestantisme libéral, Foyer de l’âme, diffusion van Dieren Éditeur) où il défend une religion civile de la conscience et de l’humanité, où il se montre davantage représentatif d’une pensée chrétienne libre que de la libre pensée au sens habituel du mot.

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La marche vers la séparation

Le pape impose la démission des évêques de Dijon et de Laval, soupçonnés d’être trop proches du pouvoir républicain. Le gouvernement riposte en rompant les relations diplomatiques avec le Vatican le 29 juillet 1904. Émile Combes déclare à Auxerre qu’il n’y a pas d’autre « voie ouverte aux époux mal assortis que le divorce, de préférence par consentement mutuel ». Il dépose en octobre 1904 un projet de loi qui fera la quasi unanimité contre lui. Il s’agit de démanteler l’Église catholique en la contraignant à vivre dans le cadre du département. Pour les protestants ce serait la fin de la vie synodale. Raoul Allier, professeur à la faculté de théologie protestante de Paris, conduit pendant plusieurs mois une vaste enquête dans le journal Le Siècle en donnant la parole à des hauts responsables catholiques, protestants et israélites aussi bien qu’à des libres-penseurs. Les articles auront une grande influence sur l’évolution de l’opinion publique au moment du débat parlementaire.

La Pieuvre de Loyola.

La Pieuvre de Loyola. La République essaie d'arracher Usines, Armée, Magistrats et Colonies aux tentacules de la pieuvre cléricale. Remarquons qu'elle a déjà coupé le tentacule qui étouffait l'enseignement. Reproduit dans À bas la calotte, Édition Alternatives, 2005 (Voir page 5 de ce numéro).

Émile Combes est contraint à la démission en janvier 1905 à la suite de l’affaire des fiches. Les loges maçonniques avaient collecté des renseignements sur les opinions religieuses et politiques des officiers. Un ancien pasteur, Frédéric Desmons, grand-maître du Grand Orient de France et sénateur, a été à l’origine de cette entreprise pour le moins douteuse. Les mutations et l’avancement dépendaient de ces fiches de renseignements. La révélation de cette pratique a contraint le général André, ministre de la guerre, et son gouvernement à la démission.

« Le petit père » Combes, un ancien séminariste, malgré sa rupture avec le catholicisme et en dépit de l’image d’Épinal qu’on a de lui, reste un spiritualiste fervent. Auteur d’un rapport sur l’enseignement primaire en Algérie, il se montre assez compréhensif à l’égard du Coran et de l’islam. Il est dans la lignée de J.-J. Rousseau et très lié à la prieure du carmel d’Alger. Pour lui les congréganistes ont abdiqué leur liberté de pensée en prononçant le vœu d’obéissance. Au total l’enseignement catholique perdra environ 30 % de ses élèves.

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Les protestants, la commission parlementaire et le vote de la loi

Maurice Rouvier succède à Combes et laisse à son ministre de l’instruction publique et des cultes, Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, le soin d’engager le débat au Parlement. Un projet de loi est largement inspiré du rapport qu’Aristide Briand avait fait adopter par la commission parlementaire en mars 1905. Cette commission votée par la chambre des députés en 1902 sur la proposition d’Eugène Réveillaud, un parlementaire très actif dans le protestantisme où il rendra bien des services, est présidée par Ferdinand Buisson et entreprend un gros travail sous l’impulsion de son rapporteur Aristide Briand, un libre-penseur qui recherche la conciliation. Celui-ci est aidé dans la rédaction du texte par deux collaborateurs, le protestant Louis Méjan, fils et frère de pasteur, et l’israélite Paul Grunebaum-Balin.

Il semble que Louis Méjan ait réussi à ne pas limiter au cadre strict des départements la possibilité de concertation des Églises, rétablissant ainsi les échelons régionaux et l’échelon national. Les débats vont être longs : 48 séances à l’Assemblée nationale, 21 au Sénat. Les parlementaires de droite veulent maintenir la prépondérance de l’Église catholique : l’abbé Hyppolite Gayraud, député du Finistère, qui s’était illustré par le dépôt d’une proposition de loi interdisant l’enseignement aux francs-maçons, recherche une dénonciation à l’amiable du Concordat. Il invite le gouvernement à « réunir une commission extraparlementaire de ministres des divers cultes, de concert avec les chefs des Églises concernées, afin de préparer un accord avec les Églises sur les conditions de la séparation ». La motion est repoussée par 235 voix contre 162.

Les catholiques soutiennent l’idée que les nationalisations des biens de l’Église sous la Révolution avaient eu une contrepartie, à savoir l’engagement de l’État de payer le traitement des prêtres. Les républicains pensaient généralement que la rémunération des ministres du culte était seulement le prix d’un service rendu qui devait disparaître du budget de l’État à partir du moment où ce service devenait privé.

Qui rira le Vendredi, Dimanche pleurera

Qui rira le Vendredi, Dimanche pleurera. Estampe représentant la procession des prêtres réfractaires le 31 août 1792. La légende «plus d'un pied de nez» accompagne l'appendice nasal de l'évêque. À l'arrière-plan, le diable porte le cercueil des Listes civiles. Reproduit dans À bas la calotte, Éditions Alternatives, 2005 (Voir page 5).

Un certain nombre de députés présentent un contre-projet car il s’agit d’abattre l’Église et les religions par tous les moyens. Maurice Allard, député du Var, parle de « la malfaisance de l’Église et des religions ». Pour lui « le christianisme est un outrage à la raison, une insulte à la nature ». A. Briand lui répond : « Vous ne voulez pas la séparation de l’Église et de l’État, mais la suppression de l’Église par l’État. » Cette position très anti-cléricale est représentée par une soixantaine de députés.

La loi de séparation est votée le 9 décembre 1905, après avoir obtenu 341 voix contre 233 à l’Assemblée nationale, et 179 voix contre 103 au Sénat.

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Une application progressive et plutôt bienveillante

Cette loi, à la fois équilibrée et modérée, entraîne des réserves dans les deux camps. Pour Clémenceau, ne pas voter la loi serait une grande déception, mais la voter conduira à une grande déconvenue. Le futur président du conseil René Viviani ira jusqu’à s’exclamer : « Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! » La loi de séparation n’est pour lui qu’un début. Dans son encyclique Vehementer nos, Pie X condamne en février 1906 la séparation. Les catholiques refusent de se constituer en associations cultuelles.

L’application de l’article 3 relatif aux biens mobiliers et immobiliers de l’Église, effectuée avec maladresse par le service des domaines, aura des conséquences inattendues. À la suite de l’ouverture des tabernacles au moment des inventaires, on accuse l’administration de profanation du lieu sacré où réside le corps du Christ. L’ordre est donné à la troupe d’intervenir. Des officiers donnent leur démission. Il y a un mort au cours d’une manifestation. Le gouvernement Rouvier est contraint à la démission. Clémenceau, nouveau ministre de l’intérieur quoique anticlérical, considère que « le recensement des cierges dans une église ne vaut pas une vie humaine ». Il décide de surseoir aux inventaires par mesure d’apaisement.

A. Briand au début de 1907 fait adopter une loi qui stipule que « à défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte continuent à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ».

L’application de la loi de Séparation sera dans l’ensemble bienveillante. Le Conseil d’État en s’appuyant sur l’article 4 va jusqu’à confirmer l’affectation d’une église au curé nommé par l’évêque, et non au curé qui, contre l’avis de l’évêque, a constitué une association cultuelle conformément à la loi ! Il faudra attendre 1921 pour que les relations publiques avec le Vatican soient rétablies. Le sénateur protestant Eugène Réveillaud a œuvré dans ce sens. En janvier 1924 Pie XI accepte la création d’associations diocésaines à la place des associations cultuelles. Par ce biais l’Église ne dépend plus de la tutelle éventuelle des laïcs.

À certains égards la loi favorise davantage l’Église catholique que les protestants et les israélites, qui ont accepté les associations cultuelles qui cantonnent leurs membres dans des activités uniquement et strictement religieuses. Aujourd’hui cette limitation pèse un peu comme un carcan, ce qui explique le souhait exprimé par la Fédération Protestante de France de modification de la loi.

Quelques parlementaires auraient voulu éviter le mot séparation. Ils ne l’ont pas obtenu. Pourtant il ne s’agit pas tellement d’une séparation, mais de nouvelles relations entre l’Église, qui ne relève plus du droit public, mais du droit privé, et l’État. La loi de séparation ne concerne ni l’Alsace et la Moselle, qui en 1905 sont territoires allemands, ni la Guyane ni Mayotte qui ne figurent pas dans l’énumération des territoires concernés.

L’objection la plus importante visait l’incapacité des associations cultuelles à recevoir des donations ou des legs (article 19). Elle fut atténuée par la non-limitation des cotisations et disparaît avec un décret de 1966 qui autorise les dons et legs sous certaines conditions. La loi de séparation connaîtra neuf modifications jusqu’à nos jours. Il ne serait donc pas inhabituel d’en prévoir d’autres.

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L’acceptation de la loi dans le protestantisme

La séparation des Églises et de l’État est demandée par les Églises libres qui se constituent en union à partir de 1849, à l’instigation de Frédéric Monod et du comte Agénor de Gasparain, à la suite de l’assemblée du protestantisme réunie à l’Oratoire du Louvre en 1848. Le synode général réformé de 1872, selon le compte-rendu qu’en a fait le pasteur Eugène Bersier, reconnaît que « le principe de l’indépendance réciproque des Églises et de l’État doit être inscrit dans le droit des sociétés modernes ».

La Loi de séparation connaîtra neuf modifications jusqu’à nos jours. Il ne serait donc pas inhabituel d’en prévoir d’autres.

Les travaux de Jean Baubérot et André Encrevé montrent que les protestants n’ont pas vraiment un rôle moteur lors de la séparation de l’Église et de l’État. Représentant environ 2 % de la population, comme le souligne J.-P. Willaime, ils ne peuvent constituer un groupe de pression. Cependant quelques protestants cités jusqu’ici ont exercé un rôle personnel qui n’a pas été négligeable.

En définitive l’action la plus déterminante a peut-être été celle de Louis Méjan, commissaire du gouvernement près le conseil de préfecture de la Seine et collaborateur d’A. Briand ; il a probablement contribué à ce que la loi ne comporte rien d’inacceptable pour les Églises protestantes, qu’elle leur garantisse en particulier la possibilité d’avoir une vie synodale régionale et nationale. L’influence de Louis Méjan se situe non au niveau du principe de la séparation et de son élaboration, mais à celui de son application.

Si les Églises libres et les Églises méthodistes étaient déjà séparées de l’État, on peut dire que les Églises réformées évangéliques étaient acquises à l’idée de séparation. Les plus réticents ont été les réformés libéraux qui pensaient que les articles organiques contribuaient à maintenir l’indépendance du corps pastoral par rapport aux paroisses, comme le pensait un juriste, le doyen Jalabert, à l’inverse du pasteur libéral Comte, de St Étienne.

Moins aisés que les orthodoxes, les libéraux craignaient aussi les conséquences financières de la séparation. Quant aux luthériens, la doctrine des deux règnes les incitait généralement à compter sur l’État pour l’organisation des Églises, ce qui ne leur posait pas de problème majeur dans la mesure où la liberté de la prédication était assurée. Le budget des cultes protestants s’élevait à environ deux millions de francs. Les protestants français collectaient déjà quatre ou cinq millions pour leurs œuvres. Finalement ils trouveront les ressources nécessaires qui leur permettront de se passer des subsides de l’État.

La séparation des Églises et de l’État de 1905 n’est pas la première. On parle peu de celle qui a été instituée par la convention thermidorienne en 1795 à l’instigation de Boissy d’Anglas, futur vice-président de la société biblique et membre du consistoire réformé de Paris. Cette séparation qui a conduit à la liberté des cultes est tombée dans l’oubli, mais n’a duré que peu de temps.

Le premier article de la loi de 1905 assure la liberté de conscience. Il a été accepté par 422 voix contre 45. L’article 2 indique que la République ne reconnaît aucun culte, il ne signifie pas pour autant que l’État méconnaît les cultes, mais qu’il ne doit en privilégier aucun. Les cultes ne sont plus salariés ou subventionnés par l’État qui cependant pourvoit aux dépenses des services d’aumônerie.

L’existence d’un internat, d’un lieu fermé ou d’une impossibilité de se déplacer peuvent empêcher les personnes physiques d’exercer librement leur culte. Le paragraphe sur les aumôneries a donné lieu à de vives discussions et a été accepté de justesse par 287 voix contre 281. L’article 4 concerne la mise à la disposition des associations cultuelles des biens mobiliers ou immobiliers d’établissements publics du culte. C’est l’article qui va créer de grandes difficultés au moment des inventaires, ce qu’on ne peut soupçonner sur le moment. L’article 4 est voté par 509 voix contre 44. Il est inspiré de la législation concernant l’Église d’Écosse, à l’initiative de Francis de Pressensé, député du Rhône, président de la ligue des Droits de l’Homme et fils d’Edmond de Pressensé, pasteur de l’Église libre, sénateur et membre de l’Institut.

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Des articles qu’il ne faudrait surtout pas oublier ou modifier

La séparation est faite. Clémenceau accuse Briand et Jaurès de trahir la laïcité et les traite de « socialo-papalins ». Il ne faut surtout pas oublier l’article 31 qui interdit toute pression de quelque nature que ce soit en vue d’exercer ou de s’abstenir d’exercer un culte. L’article 32 interdit d’empêcher, de retarder ou d’interrompre les exercices d’un culte, comme cela s’est produit récemment dans la banlieue parisienne, à Montreuil. L’exercice public du culte reste lié à un libre choix individuel. L’article 34 interdit aux ministres du culte d’outrager ou de diffamer en public un citoyen chargé d’un service public. L’article 35 interdit les discours ou les écrits qui tendent à résister à l’exécution des lois ou des actes légaux de l’autorité publique. Les contrevenants s’exposent à des amendes correctionnelles et, éventuellement, à des peines de prison.

L’article 2 indique que la République ne reconnaît aucun culte, il ne signifie pas pour autant que l’État méconnaît les cultes, mais qu’il ne doit en privilégier aucun. Les cultes ne sont plus salariés ou subventionnés par l’État qui cependant pourvoit aux dépenses des services d’aumônerie.

Quand il s’agit de garantir l’expression de la pluralité des cultures et des convictions religieuses ou philosophiques, de favoriser l’émancipation des personnes et de construire une société solidaire dans le respect de la dignité de chacun, la grande question porte sur la capacité de la loi de 1905 à répondre à ces objectifs. Celle-ci permet-elle à la nation d’affronter les problèmes de notre temps, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes ?

Il faut donc manier avec précaution les dispositions qui permettent à la liberté de chacun de s’exercer sans nuire à celle des autres. Clémenceau a dit : « Je suis fort si je puis convaincre, mais je suis déplorablement faible si je veux imposer. » Encore faut-il ne pas avoir la rage de convaincre à tout prix, forme parfois subtile de l’intégrisme, et développer une éthique du débat qui soit respectueuse de l’adversaire. Rappelons le principe attribué à Voltaire : « Même si je ne suis pas d’accord avec vous, je suis prêt à me battre pour que vous puissiez exprimer votre avis.»

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La solidarité dans le respect de la diversité

En 1987, pour le deuxième centenaire de l’Édit de Tolérance, dans l’amphithéâtre Descartes, à la Sorbonne, le conférencier conclut en affirmant : « Seul l’intolérant est intolérable. » Il oublie que le chrétien est invité à condamner le péché, mais qu’il ne lui appartient pas de condamner le pécheur. Le fameux slogan « pas de liberté pour les adversaires de la liberté » s’est toujours traduit en fin de compte par moins de liberté pour tous.

L’Assiette au beurre, n° 180           du 10 septembre 1904

L’Assiette au beurre, n° 180 du 10 septembre 1904. Cette revue de gauche a consacré plusieurs numéros au ton très vert aux rapports entre l'Église catholique et l'État. Clairement anti-romaine, elle consacre ce numéro aux “Grandes et petites superstitions”. Le texte qui figure sous l'image mérite d'être recopié ici: “À la mémoire de l'Homme admirable qui le 1er osa parler aux autres Hommes de leur conscience, cet instinct de la responsabilité de chacun. Il mourut pour et par son grand rêve, vaincu par les superstitions plus fortes que lui, mais l'exemple de son grandiose courage nous reste. Que les mercantiles qui altérèrent son verbe puissant pour continuer les Pharisiens et les marchands du Temple soient de plus en plus méprisables.” Reproduit dans À bas la calotte, Éditions Alternatives, 2005 (Voir page 5 de ce numéro d’É&l).

La loi protège la religion aussi longtemps que la religion ne prétend pas dicter la loi. La loi de 1905 n’a en définitive rien de dépassé, même si certains articles sont devenus obsolètes car ils concernent des ministres du culte de l’époque concordataire qui ne sont plus en vie aujourd’hui et que la conversion des francs d’avant 1914 en euros n’aurait guère de sens. Des questions très pratiques comme la fonction des ministres des différents cultes, la construction et le financement d’édifices religieux visibles afin d’éviter la marginalisation de certains croyants dans des caves ou des bâtiments vétustes, les compétences des associations cultuelles qui sont peut-être trop étroitement limitées à l’exercice de la religion, peuvent être traitées par la voie réglementaire, voire par des mesures législatives spécifiques.

Une place doit être faite à part, non pour l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles, mais pour l’enseignement des religions en tant que représentatives des diverses cultures, dans le cadre des programmes scolaires. Le livre de Nicolas Sarkozy (La République, les religions, l’espérance, Cerf, 2004) propose d’organiser des cours décrivant, dans les grandes lignes, les principales religions en cherchant, si possible, des convergences. Le rapport Debray (L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, février 2002) cherche à aller au-delà de la phénoménologie religieuse pour étudier les grands textes fondateurs, ce qui permet d’aller davantage au centre des choses, mais s’avère moins accessible pour les collégiens.

Il ne semble pas indispensable de remettre en chantier l’ensemble de la loi de 1905, qui peut s’appliquer aussi à des religions qui étaient peu représentées sur le territoire hexagonal au début du XXe siècle, comme l’islam ou le bouddhisme. Un toilettage systématique de la loi ne s’avère pas nécessaire. Il en est de même d’une nouvelle négociation de fond en comble. Des modifications en fonction du temps présent s’imposent cependant si nous ne voulons pas que notre société se replie frileusement sur elle-même et laisse de côté des religions qui n’étaient pas présentes, ou qui l’étaient fort peu, il y a cent ans, sur notre sol qui est traditionnellement une terre d’asile.

La réflexion qui s’impose à ce sujet ne peut se faire qu’en concertation avec les autres nations, ne serait-ce que celles qui sont géographiquement ou linguistiquement les plus proches. La question de l’aménagement de la loi de 1905 reste largement ouverte. Comme le disait Stendhal « l’erreur serait de conclure »… trop vite. Une réflexion protestante sur le modèle français de la laïcité, sa valeur et ses limites, ne sera sans doute pas sans importance à l’heure de la mondialisation. feuille

Philippe Vassaux

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