Qu’elles sont
lourdes et lentes, ces heures de la nuit où j’attends, sans
sommeil et sans rêve, que vienne enfin le jour ! Même dans
mes journées, je passe tant de temps à attendre sans savoir
vraiment habiter le présent. J’attends la rencontre qui
changera ma vie, le billet
gagnant du loto, le train qui tarde à venir, ma
femme qui n’arrive pas, un signe de Dieu, les vacances, la retraite.
J’attends le jour où je vivrai vraiment, le jour où
enfin j’aurai fini d’attendre. Je vis chaque jour en «
Avent ».
Je ne suis pas comme ces croyants cycliques qui à
Noël retombent en enfance, se courbent et souffrent en Carême,
se relèvent à Pâques, sont envoyés plus loin
au vent de Pentecôte, puis stagnent un peu jusqu’à
la mi-automne avant que ne sonnent les trompettes de l’Avent où
ils se remettent à attendre, le nez en l’air. À attendre
quoi ? Que le cycle reprenne ?... Moi aussi, c’est vrai, j’ai
besoin souvent de renaître, de mourir et de me relever encore,
et d’être élargi par le souffle. L’Évangile
lui-même me fait croire qu’on peut ainsi ressusciter de tous
ses tombeaux, ses échecs et ses fautes. Mais pas de cette manière,
pas à échéances fixes ! Quant à l’Avent,
quel sens pour un chrétien de faire comme si rien ne s’était
passé, et qu’on attend toujours un Dieu venu d’ailleurs
? Certains pourtant, frustrés d’une divinité puissante
et glorieuse, attendent son retour, et cette fois, ce sera sérieux,
spectaculaire. Mais cette croyance ne balaye-t-elle pas tout ce que
Jésus a voulu nous apprendre sur le Dieu qui laisse libre et
donne tout ? Alors quel sens peut avoir cette attente, même un
mois chaque année ?
Pour moi, je ne peux pas m’empêcher d’attendre,
et si j’attends, c’est que j’ai de grands rêves
qui blessent la banalité où s’enlisent mes jours.
Cette blessure d’ailleurs ne serait-elle pas liée à
ma foi ? Mais quelle foi ? Cette nuit, dans ma solitude, ce qui s’impose
à moi, c’est plutôt le silence et l’absence de
Dieu, ou peut être une présence mystérieuse, par
le vide même qu’il creuse en moi, par l’espace de libre
création qu’il laisse en se retirant, par le chemin d’infini
et d’éternité qu’il trace en s’éloignant
? N’est-ce pas dans ce vide, cet espace, ce chemin que s’ébauchent
les rêves qui éclairent l’avenir ?
Encore de longues heures, et le sommeil ni le jour ne
viennent…
Allez, debout ! Cesse d’attendre, bouscule le temps,
devance le jour, lance tes rêves au loin, vers la vie ! 