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Ferdinand Buisson. Photo anonyme.
© S.H.P.F. |
Si Ferdinand Buisson est chargé de mettre en place l’école républicaine laïque, son origine protestante libérale n’y est pas étrangère. Comme sa participation à la fondation du parti radical-socialiste, de la Ligue des Droits de l’homme ou la présidence de l’Association des libres-penseurs et de la Ligue de l’Enseignement qu’il assume. Un engagement tout au long de sa vie qui lui vaudra le Prix Nobel de la Paix en 1927. Homme infatigable, bien que de santé fragile, dont on a dit : « L’âme chez lui commandait au corps. »
Édouard Herriot proclamait à la mort de Ferdinand Buisson : « Sur votre tombe, si j’avais le droit de proposer une épitaphe, je voudrais cette inscription : ici repose un Juste. » Bel et rare hommage d’un homme politique à un autre ! Et Laurence Loeffel, spécialiste de la question laïque sous la Troisième République s’enthousiasme pour le personnage « juste, serviteur de la tolérance, abhorrant par dessus tout le dogmatisme », et encore « curieux, disponible, assoiffé de progrès, sa ferveur pour l’éducation n’a pas connu de faiblesse. Dans cette période où l’innovation et la créativité dans le domaine de la pédagogie sont la règle, c’est toujours Buisson que l’on retrouve à l’avant-garde de celle-ci ». (Laurence Loeffel, Ferdinand Buisson, apôtre de l’école laïque, éd. Hachette Éducation, 1999)
Je l’avoue ! D’abord parce qu’il a joué un rôle central dans l’histoire des lois « laïques » et notamment celles concernant la laïcité scolaire : il était le président de la commission parlementaire qui a rédigé le texte de la loi de 1905. Mais depuis 1879, Ferdinand Buisson, appelé par Jules Ferry, est aussi directeur de l’Enseignement primaire au ministère de l’Instruction publique, un poste hautement stratégique à l’époque, qu’il occupera dix-sept ans, donc bien après le départ de Ferry. L’y attendait une tâche immense : définir et organiser l’école du peuple gratuite, obligatoire et laïque. Une véritable révolution des esprits ! Buisson, personnage très influent intellectuellement et politiquement, mérite sûrement mieux que l’appellation habituelle, et injuste, de « collaborateur de Jules Ferry ». Son importance est au moins égale !
Oui, parce qu’elle a été tout à fait emblématique de la laïcité, à l’époque où celle-ci était élaborée. Jules Ferry, adepte de la philosophie positiviste d’Auguste Comte, est agnostique alors que Ferdinand Buisson est issu du protes-tantisme libéral, qu’il conçoit comme une religion de la conscience et de l’intériorité, adogmatique et aconfessionnelle, donc profondément compatible avec l’idéal laïque. D’ailleurs la présence autour de Buisson d’autres penseurs issus du protestantisme, comme Jules Steeg, Félix Pécaut (directeur de l’École normale supérieure d’institutrices de Fontenay aux Roses), et bien d’autres, dit la place importante de ce courant protestant dans l’élaboration de l’école républicaine. Au cours des années, l’éloignement relatif de Ferdinand Buisson de sa famille spirituelle d’origine peut s’expliquer par son engagement politique important. Il est de plus en plus libéral, au sens de démocrate, et de moins en moins religieux, mais il gardera pourtant toujours un fond de spiritualité protestante extrêmement ardente et profonde. Que Jules Ferry et Ferdinand Buisson, si différents philosophiquement et religieusement, aient pu aussi fortement collaborer montre à quel point la laïcité française a été peu exclusive dès ses origines.
Tiré du recueil de caricatures d'Alfred Le Petit : Fleurs, Fruits et Légumes du Jour, Jules Ferry en Narcisse. |
Cet oubli est profondément injuste ! Car Ferdinand Buisson a été l’un des meilleurs représentants historiques de la tradition de « laïcité ouverte » française, et son ouverture d’esprit a imprégné la loi de 1905. Mais lorsque je parle de lui à mes étudiants, je parle plus particulièrement de sa grande oeuvre, le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire qu’il a dirigé : une première édition en fascicules, entre 1878 et 1887, au moment où la Troisième République met en place les grandes lois laïques, puis une édition refondue, en 1911, après la loi de 1905. Ce Dictionnaire représente un observatoire irremplaçable et un état des lieux des grands combats scolaires à la naissance de l’école républicaine et des réformes institutionnelles majeures que Ferdinand Buisson a contribué à mettre en place.
Toute la modernité pédagogique a une dette
envers Buisson : l’activité de l’enfant, le respect
de sa spontanéité, l’intérêt à
solliciter sa curiosité, à le faire participer au savoir
qu’on lui transmet. Il n’est pas le seul à son époque
mais il est une figure singulière d’une rénovation
de l’école, de l’enseignement, de la pédagogie.
Il existe même probablement quelques liens secrets, entre sa pensée
et le profond mouvement international d’éducation nouvelle
à partir de 1920, qui donnera en France des personnalités
comme Célestin Freinet. À la différence que lorsque
Ferdinand Buisson exprime des idées nouvelles, dès 1880,
c’est du plus haut niveau de la hiérarchie de l’école
républicaine qu’il le fait !
Pierre
Kahn
Propos recueillis. par C. Castelnau
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Numéro 194 |
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