Cette photo provoque
en moi, au plus profond de moi, une émotion intense.
C’est
la vie contre la mort, la lumière contre les ténèbres.
C’est l’Espérance.
Oui, déjà aujourd’hui, une vie nouvelle
a commencé.
L’esthétique de la photo de Marc Riboud me
procure un plaisir visuel, un choc émotionnel. Il a pris cette
photo le 21 octobre 1967, à une manifestation contre la guerre
du Vietnam, à Washington. C’est un portrait-symbole. Marc
Riboud écrit : « Je photographie avec frénésie,
la nuit tombe, j’épuise mes films, quand cette jeune fille,
seule face aux baïonnettes, dessine avec une fleur le symbole de
la jeunesse américaine. » Cette photo est la dernière
de son film.
L’antithèse visuelle est forte. À
gauche c’est l’ombre, à droite la clarté ; à
gauche les silhouettes des soldats uniformisées et floues s’opposent
au profil clair de la jeune fille à droite ; à gauche
des hommes anonymes sont esclaves d’un pouvoir, à droite
une jeune fille prend le pouvoir ; à gauche l’attitude est
agressive, les poings serrés sur les fusils, les baïonnettes
en avant ; à droite on voit un geste d’offrande, offrande
de la vie et pourquoi pas de l’amour. C’est la paix contre
la guerre, la non-violence contre la violence. Certains prétendent
que la non-violence n’est pas évangélique, pas moi.
Ici c’est bien « Remets ton épée à sa
place » que j’entends.
Oui, la faiblesse peut se dresser contre la violence
; oui la jeune fille peut faire face aux soldats. Elle ne dit rien,
elle regarde les soldats et son regard sérieux, intense, est
prière. C’est sa fleur, petite et lumineuse, ce sont ses
mains jointes que je vois. Les baïonnettes n’ont plus d’importance
; ces objets phalliques sont ridiculisés.
« J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis
la vie. » Dt 30,19. Encore plus que des paroles, cette image fait
résonner au fond de moi le projet de Dieu pour l’humain.
Être des artisans de paix, c’est possible, non pas en restant
frileusement à l’abri mais en se levant (en ressuscitant
?) et en s’interposant.
Cette jeune fille me dit que j’ai une responsabilité
personnelle face à la société, seule contre la
multitude je peux faire quelque chose, un geste dérisoire mais
indispensable.
Elle tient une fleur, c’est beau et fragile une
fleur ; on sait les ravages que la guerre du Vietnam a faits sur la
nature. La guerre remplace les champs de fleurs par des champs de mines.
Dieu a rendu l’humain responsable du devenir de la création
; qu’en faisons-nous ? C’est la question que j’entends.
Demain nos enfants trouveront-ils encore des fleurs dans les champs,
des oiseaux dans les arbres et des poissons dans la mer ? Il y a bientôt
quarante ans que cette photo a été prise mais elle est
toujours actuelle. Son langage est lumineux, accessible à tous,
petits et grands, savants et analphabètes. Tout le monde n’y
trouve pas forcément la même chose mais personne n’y
est insensible.
Personnellement j’y vois la face humaine et féminine
de Dieu : plutôt la persuasion que la force, plutôt la séduction
que la violence. Dieu de tendresse qui donne la vie et qui ne se résout
ni à la souffrance, ni à la mort.
Cette image me secoue, me questionne, me met en mouvement
; il y a en elle une force qui agit, une force de vie ; elle est source
de foi.
Avec Martin Luther King, je crois « que la vérité
et l’amour sans condition auront le dernier mot effectivement.
La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte
que la mort. » 