C’est un paradoxe
maintenant connu : gagner du temps, ne nous donne pas plus de disponibilité.
Il semble que plus on en dispose, et moins on en a. La poste (quand
elle fonctionne) distribue le courrier plus rapidement, les communications
orales et écrites s’intensifient, les trains, les voitures
accélèrent et nous font gagner du temps, que nous occupons
aussitôt à autre chose !
Le luxe, c’est de perdre du temps, de s’autoriser
à ne rien faire. « L’important c’est de buller
», me disait récemment une amie. Juste jouir du temps qui
passe, être là à sentir, rêver, contempler.
Pour ceux qui sont pris par l’urgence du temps à gagner,
ne rien faire devient presque une ascèse, comme manger plus de
légumes, monter à pied les escaliers du métro,
ou apprendre à respirer profondément. Une discipline en
quelque sorte : celle de ne rien faire. Et comme dirait Raymond Devos
: « Faut l’faire ! ». Loin du temps qui passe comme
un ennui à subir, où s’égrainent péniblement
les minutes du vide, de l’absence ou du rien, je croise, et j’en
suis, une foule d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes qui
se forcent au rien. Ils appellent ça « lâcher-prise
», « vide intérieur », « disponibilité
à l’imprévu ». Une véritable aventure
spirituelle. Dommage ! Même le culte ne nous laisse pas de répit
dans sa succession souvent trop pressée de chants, de lectures
et de prières. Quelle place au silence, à la méditation
silencieuse ou musicale ? « Comment, auraient clamé nos
parents, tu ne vas pas rester là à ne rien faire ! »,
« La vie est trop courte pour être gâchée »
ou « trop précieuse comme don de dieu pour être inutilisée
dans une vacuité malsaine ».
Je milite pour un éloge de la vacuité,
pour la promotion d’une mystique protestante, pour une théologie
de la contemplation, ou la pratique de la chaise longue sous son pommier.
Chacun saura trouver la forme qui lui est la plus ajustée. Juste
pour sentir, contempler et rendre grâce pour le temps précieux
qui passe, offert, pour rien. Pour toi, pour moi. 