«Plus on donne à
Dieu et plus on retire à l’homme », ironisait
Voltaire... La prédication chrétienne est parfois la grande
pourfendeuse de l’humanité. Dans ses folles prétentions
à nous faire croire en un Dieu tout autre, intouchable et impassible,
dans son idée si répandue que Dieu peut tout et que l’homme
ne peut rien, dans sa délectation à nous ramener sans
cesse à nos échecs et à nos manquements, la foi
chrétienne est parfois un déni d’humanité.
Libératrice par sa capacité à briser
l’orgueil des puissants, courageuse par sa promptitude à
dire l’insoumission de Dieu à toute tentative de captation,
la prédication de l’absolue souveraineté de Dieu
peut aussi avoir son triste revers : celui de désenchanter le
monde et la vie. Combien de fois sommes-nous sortis d’un culte
la tête baissée, vaguement coupables, replongés
dans un monde devenu encore plus petit, plus gris, plus étroit
?
Ce christianisme triste et désenchanté a
oublié que le mot « et » reste le plus important
de la foi chrétienne. Proclamation d’un Dieu révélé
en humanité, le christianisme est la religion de l’improbable
union de l’absolu et du relatif, de l’infini et du fini, de
Dieu et du monde.
Qu’est-ce que Jésus-Christ, en effet, sinon
l’audacieuse prédication d’un Dieu et d’une humanité
pensés ensemble, inscrivant l’au-delà au cœur
de nous-mêmes ?
Telle est la plus belle spécificité du christianisme
: celle d’être la religion de la réconciliation, sans
cesse ré-initiée par Dieu, entre le ciel et la terre,
entre le corps et l’âme, entre la nature et la grâce.
Ce monde-théâtre de l’aventure de Dieu
est, grâce à lui, continuellement ouvert sur un inconnu,
déplacé vers ailleurs, en quête d’un supplément
d’être. C’est à ce titre que le monde vit de
l’incarnation de Dieu.
C’est à ce titre, aussi, que le christianisme
est un humanisme. Croire en Dieu, c’est croire en l’homme
dans toute la justice, la beauté, et la vérité
dont il est capable, c’est-à-dire dans toute sa grâce.

Raphaël
Picon