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Numéro 201
Août-Septembre 2006
( sommaire )

Agir

Cécile Souchon (qui avait commenté le Coucher de soleil de Carpeaux dans notre numéro d’avril 2006) reconnaît dans L’homme qui marche de Giacometti une image du Christ sur son chemin, et imagine qu’il souhaite que nous lui emboîtions le pas.

L’homme qui marche

Il y a exactement 40 ans qu’Alberto Giacometti (1901-1966) est mort, nous laissant ses peintures grises aux grands yeux étonnés, ses dessins nerveux, et surtout ses sculptures si filiformes, toutes pétries de la force de son pouce, qui hantent les parvis de Saint-Paul de Vence en Provence, et de plusieurs musées ou galeries d’art dans le monde. Souvent l’on entend rire de ses personnages si maigres, « immobiles à grand pas » !

J’ai cependant une immense admiration pour celui qui sait, en six traits de plume, faire en effet avancer un indéniable être humain à cette allure : car il y a une énergie, une rapidité, une dynamique dans le mouvement de cette silhouette ; quelques frémissements de vêtements, et puis cette allégresse dans des chaussures de grande taille, posées et pourtant déjà reparties. Ici ce n’est pas la tête qui impose le rythme, c’est l’être tout entier qui déplace un souffle d’air, se fait passant, passage, fugace et mince, léger et décidé. Il n’est pas encombré de son corps, puissant d’épaules. Bras absents, mains cachées, habits indéterminés, cette longue image d’homme – puisqu’il est homme en marche – dégage pourtant une vraie présence, une liberté à peine retenue par un cadre ténu.

Alberto Giacometti, L’homme qui marche.
Huile sur papier vers 1960. © Adagp, 2006

Je me dis que peut-être le Christ aurait aimé être vu par ces yeux, perçu par ce regard d’artiste pour ce qu’il savait faire comme personne : se déplacer si constamment, si légèrement, si totalement, et mettre immédiatement les êtres paralysés en mouvement, les êtres écroulés en marche, les êtres blessés en joie, les êtres morts en vie, les âmes pesantes en lévitation vers un ciel, un ailleurs habité d’anges.

Je me dis que peut-être tous les êtres rencontrés par le Christ voient s’ouvrir devant leurs pas la page blanche d’un avenir à penser, d’un temps à traverser, d’une énergie à dépenser, d’un but à poursuivre, d’une histoire à inventer, comme cet homme que rien ne retient, que rien n’entrave, que rien n’encombre. Il est seul, sur sa page blanche, mais peut-être pas si seul, puisqu’il vient de quelque part et semble aller autre part, sans hésiter. J’aime cette force du pas décidé qui ne laisse pas de place à la tristesse, à la mélancolie. J’aime aussi les marches incessantes que la Bible nous restitue, et qui relient à jamais des lieux qui construisent et déterminent l’identité des peuples, la germination de notre foi.

Qui se souvient encore de la longue grève des transports d’il y a quelques années, qui obligeait tous les piétons de Paris à marcher ? Bien sûr, ce n’était pas vraiment de gaîté de cœur, ni sans fatigue physique, mais comme beaucoup devaient se côtoyer sur des trottoirs devenus trop étroits, on en venait à se parler, à se sourire pour se soutenir, à s’écouter, à partager l’épreuve, dans un tout autre rapport que celui des embouteillages mécanisés, dans un rapport redevenu humain, le temps étiré d’un parcours où les corps se mesurent à l’espace.

Je me dis que peut-être le Christ aimerait que nous sachions mieux nous défaire de nos lourdeurs bitumeuses, pour marcher derrière lui, avec lui, allégés par lui en l’épaisseur de notre chair souffrante, pour retrouver l’allure déliée et souveraine en son silence, de l’homme qui marche… vers son Dieu. feuille

Cécile Souchon

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