Très sensible au 7e art,
je vois de nombreux films choisis en fonction de ce qu’ils sont
susceptibles de m’apporter dans ma façon d’être
ou de penser. La perception des messages cinématographiques n’est
pas toujours immédiate, elle nécessite réflexion
et recherche d’interprétation, à l’instar de
toute œuvre d’art, littéraire, musicale, picturale…
C’est dans ce cadre que j’aimerais parler du film «
Elephant ». C’est à mon avis un chef d’œuvre
saisissant qui nous place devant nos responsabilités citoyennes
et nos engagements spirituels.

Le massacre de Columbine sur lequel est basé le film
de Gus van Sant est également à l’origine
d’un effroyable jeu-video disponible sur Internet qui permet
au “joueur-internaute” d’être au cœur
du massacre et d’accumuler des points au prorata du nombre
de victimes… Le forcené qui a perpétré
en septembre dernier le massacre dans un lycée du Québec
dit dans son blog –dans lequel il annonçait également
la préparation du massacre – qu’il affectionnait
particulièrement ce “jeu” Internet.
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Le réalisateur et scénariste Gus Van Sant s’est
inspiré d’un fait divers terrifiant : le 20 avril 1999,
aux États-Unis, deux élèves du lycée de
Columbine massacraient froidement une quinzaine de leurs camarades avant
de se suicider. Sant nous transporte dans une fiction tragique. C’est
la force de son film car l’imaginaire constitue ici le meilleur
procédé pour nous faire mesurer l’horreur et l’incompréhension
d’un événement bien réel. En outre, la mise
en scène se réfère souvent au sacré. Ce
film soulève beaucoup de questions et de réflexions dont
je mentionnerai ici seulement les plus marquantes.
Dès les premiers plans, le ciel s’assombrit et devient
menaçant. Un poteau téléphonique et une croix se
détachent tels deux spectres inquiétants. La tragédie
est en marche et le spectateur alerté ! Aussitôt après,
nous sommes dans le magnifique parc d’un lycée. Il fait
beau, mais le ciel est anormalement vide. Un malaise s’empare du
spectateur et s’intensifie au fur et à mesure que la caméra
explore les lieux. Les lycéens se déplacent sans bruit
comme des fantômes, le silence est meublé par des craquements
bizarres, des échos, des résonances comme si une puissance
invisible régnait dans ces lieux. Des couloirs interminables,
de nombreuses vitrines, nous donnent l’impression d’être
prisonniers d’un aquarium dans lequel les êtres tournent
en rond. Autre fait troublant, les lycéens portent des tee-shirts
avec des noms d’animaux : tigre, taureau, chien… à
l’exception d’un jeune sportif dont le tee-shirt rouge s’illustre
d’une grande croix blanche et d’une inscription quelque peu
ironique « lifeguard » (gardien de la vie). Le plus souvent
de dos, ils réapparaissent dans les mêmes scènes
sous des angles différents à des moments les plus inattendus
au mépris de toute chronologie. Des regards se tournent vers
le ciel comme un appel à Dieu, ou à l’au-delà
: une étudiante s’arrête de marcher pour regarder
le ciel et semble y trouver du réconfort, un lycéen en
difficulté se recueille et regarde vers le haut en priant…
Peine perdue, ce monde n’est plus celui des humains mais du règne
animal.
Pour reprendre une citation d’Anatole France, un des tueurs a
pu penser : « Je ne doutais plus que la civilisation comme on
la nomme, ne fût une barbarie savante et je résolus de
devenir un sauvage. » À ses yeux tout doit disparaître
: c’est l’apocalypse. Les derniers plans du ciel nous renvoient
à ceux du début, sans le poteau et la croix. Dieu aurait-il
déserté ?
Ce film bouleversant fait appel de façon subliminale à
Dieu et dénonce notre passivité face au problème
majeur de notre société, « énorme comme un
éléphant » : la violence grandissante d’une
jeunesse en perte de sens et de confiance. À nous de leur donner
une raison de vivre et d’espérer au nom de celui qui nous
a montré le chemin. 
Pierre
Nambot