C’est au fond comté
de Foix, dans le petit bourg du Carla qui porte maintenant son nom,
que Pierre Bayle est né en 1647. Son père, pasteur,
le prépare lui-même à entrer à l’Académie
réformée de Puylaurens. Déçu par le bas
niveau de cette dernière, il se rend à Toulouse où
les jésuites vont l’initier à la pensée
d’Aristote. Il se convertit alors au catholicisme, mais il regrette
vite cette décision. En retournant au protestantisme, il est
considéré comme relaps.
Pierre Bayle continue ses études à Genève,
puis devint précepteur à Coppet (Suisse), à Rouen,
à Paris. En 1675 il intègre par concours la chaire de
philosophie à l’Académie réformée
de Sedan où il restera jusqu’à sa fermeture en
1681. Il s’entend à merveille avec son collègue
Pierre Jurieu qui deviendra son pire adversaire aux Provinces Unies
au point de le faire renvoyer de l’ « École illustre
» en 1693. Réfugié à Rotterdam, il publie
les Pensées diverses sur la Comète en 1683. Cet ouvrage,
réédité et augmenté à plusieurs
reprises, combat les superstitions liées à l’astrologie.
À partir du printemps 1684 il publie les Nouvelles de la République
des Lettres qui annonce le Journal des Savants.
Parmi ses nombreuses publications, Ce qu’est la France catholique
sous le règne de Louis Le Grand, en 1685, brosse un tableau
implacable des conséquences de la Révocation de l’Édit
de Nantes. À l’inverse de Jurieu, il ne reproche pas à
Louis XIV de s’être comporté en monarque absolu,
mais d’avoir mal utilisé ses prérogatives royales
et cela à la différence d’Henri IV. Jacob Bayle,
son frère pasteur, va mourir en prison à Bordeaux. En
1686 paraît son Commentaire philosophique sur les paroles de
Jésus-Christ : « contrains-les d’entrer ».
Le texte a été réédité en livre
de poche en 1992 sous le titre De la Tolérance, commentaire
philosophique. Il montre là que Saint Augustin a mal interprété
la parole du Christ dans la parabole des invités au festin.
La contrainte dont il s’agit ici est une invitation amicale pressante
et non l’usage de la force.
Mais l’œuvre capitale de Pierre Bayle est son célèbre
Dictionnaire historique et critique à partir de 1696 qui aura
onze éditions jusqu’en 1820. Tout homme cultivé
du Siècle des Lumières possède dans sa bibliothèque
un exemplaire de ce dictionnaire qui annonce L’Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert. Cette œuvre monumentale, toute
première histoire de la pensée occidentale, est, selon
Leibniz, le plus beau des dictionnaires. Voltaire en fait l’éloge
dans la 13e lettre philosophique. Disciple de Descartes et de Malebranche,
Pierre Bayle a été accusé un peu trop vite de
scepticisme. Son rigorisme moral en fait un prédécesseur
de Kant. Pierre Bayle est souvent considéré comme le
dernier des métaphysiciens du XVIIe siècle et le premier
des philosophes du XVIIIe siècle. Son objectif est de permettre
au lecteur d’apprendre à penser en évitant précipitation
et préventions.
L’histoire est son terrain favori. Il établit une équivalence
entre évidence et possibilité maximale. Dieu ne condamne
pas l’homme pour qu’il tombe, mais parce que, pouvant se
relever avec son aide, il ne le fait pas. Tout ce qui est entrepris
contre la conscience est péché. Pierre Bayle a largement
contribué au triomphe de la tolérance en insistant sur
le droit à l’erreur sans lequel aucune liberté
n’est possible. Les discussions du Dictionnaire historique et
critique portent sur le dualisme, les preuves de l’existence
de Dieu, la liberté d’indifférence, la conformité
de la raison et de la foi, la difficulté de réfuter
les objections des sceptiques, le danger de l’athéisme
et surtout de l’idolâtrie. Le lecteur est renvoyé
d’un article à un autre et invité à lire
entre les lignes. La raison est assez forte pour reconnaître
l’erreur, elle est trop faible pour atteindre elle-même
la vérité sans aucun recours extérieur.
Il meurt en 1706 à Rotterdam. Critiquant le principe d’autorité,
prônant la liberté d’examen, sa pensée a
eu un retentissement considérable au Siècle des Lumières,
et demeure d’une surprenante modernité. 
Philippe
Vassaux