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Numéro 204
Décembre 2006
( sommaire )

Dialoguer

Encore un problème de traduction ! Très souvent, dans le grec biblique, les verbes au passif sous-tendent que Dieu est le sujet. Mais cela dérange parfois. Comme ici, où Dieu parait inefficace parce qu’il n’arrive pas à se faire voir.

… et ce rien était Dieu

Les Actes des Apôtres contiennent un passage si dérangeant que tous les traducteurs le transforment pour maquiller la difficulté. Il s’agit de cette phrase juste après la conversion de Paul : « Paul fut relevé de terre, et ses yeux ayant été ouverts, il voyait rien, il voyait le néant » (Ac 9,8). Pourquoi, en effet ne voyait-il rien s’il avait les yeux ouverts ? Certains traducteurs mettent : « Bien qu’il eût les yeux ouverts il ne voyait rien » ce qui n’est pas le texte.

Une autre difficulté, encore plus considérable, est que tous les verbes sont ici au passif. Dans le texte, Paul est relevé, et ses yeux sont ouverts. Or qui peut être l’auteur de cette action ? Ce ne peut être que Dieu. Surtout que le mot « relevé » est le mot souvent traduit par « ressuscité » ; et dans la Bible, c’est Dieu qui ressuscite. Mais comment comprendre que toutes ces belles actions ne mènent qu’à ne rien voir ? Alors, et c’est le plus grand manque d’honnêteté, toutes, absolument toutes les traductions actuelles font comme si c’était Paul qui se relevait lui-même, en mettant, au mieux : « Paul se releva de terre, il ouvrit les yeux, mais ne voyait rien. »

Quelqu’un néanmoins a pris au sérieux le texte comme il est : c’est Maître Eckhart, grand penseur représentant de la « mystique rhénane » au début du XIVe siècle. Il écrit en effet dans son Sermon 71 que l’un des sens de ce verset peut être : « quand il se releva de terre, les yeux ouverts, il vit le néant et ce néant était Dieu. » Ce commentaire a fait grand bruit, mais ce n’est pas une erreur ni une provocation de sa part ; cette étonnante conclusion résume même un point essentiel de la pensée d’Eckhart.

Ce que Paul voit alors, c’est bien Dieu, puisque c’est lui qui lui a parlé, qui le ressuscite et lui ouvre les yeux. Ce qu’il voit, ce n’est pas « personne », il voit quelqu’un, mais ce qu’il voit, il l’appelle quand même « un rien ».

On peut comprendre cela d’abord comme l’expérience, pour Paul, d’une sorte de table rase sur ses anciennes conceptions intégristes. Paul pensait tout savoir sur Dieu, avoir réponse à tout, et tout cela vole en éclats. Dieu devient un rien, un indéfinissable. Dieu, en effet, est infiniment plus complexe que tout ce que l’on peut dire ou penser de lui. Il est au-delà de toute représentation. Dire : « Dieu existe » serait même dangereux, Dieu n’existe pas comme une chose existe, Dieu est plutôt la source de l’être, et donc au-delà de l’existence.

Mais, s’il n’y a rien à voir en Dieu, il y a en lui certainement beaucoup à entendre : « Dieu, personne ne l’a jamais vu » (Jn 1,18), mais c’est normal, puisque « Dieu est Parole » (Jn 1,1), et « Dieu est esprit » (Jn 4,24).

Dans la tradition juive, on trouve une certaine similitude. Déjà, le nom de Dieu, y était imprononçable. Mais encore : dans le Saint des Saints du dernier Temple, le lieu sacré par excellence, qu’y avait-il pour représenter Dieu ? Rien, le vide, l’absence : Dieu ne pouvait être représenté par rien, et le rien était la meilleure image de Dieu. Dieu est un creux, un manque, une aspiration, un doute, une question. Dieu est un espace dans lequel tout est possible, c’est une liberté, une ouverture. Ainsi, Dieu n’est-il jamais si présent dans la création que lors du jour du Sabbat où il ne fait rien... La bénédiction, c’est le non matériel, c’est le sens qui est avant et au-delà de toute chose et de toute action.

De même, le message fondamental de Pâques, est le tombeau vide : la foi chrétienne repose sur une absence, sur un vide. Et c’est grâce à cette absence de corps que le Christ peut aujourd’hui être dit présent parmi nous, et en nous de mille manières. Nous croyons dans un Christ vivant parmi nous, mais c’est un Christ qui n’a plus de présence matérielle. Ainsi, les chrétiens mettent-ils leur foi dans une présence absolue qui est en fait « absence réelle » ; présence au-delà de toute matérialité. Parce qu’elle est un rien matériel, elle peut être tout pour nous. Parce que Dieu est au-delà du temps et de l’espace il peut être un partout et un toujours. Il est un rien qui est un tout donné pour l’éternité. feuille

Louis Pernot

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