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Numéro 204
Décembre 2006
( sommaire )

Dialoguer

Mohammed Abdi est français, né au Maroc en 1960. Il a obtenu un DESS de gestion et un DEA de droit. Il est actuellement Secrétaire général de l’association « Ni putes ni soumises », et vient d’écrire Racaille de la République aux éditions du Seuil avec sa présidente Fadela Amara . Mohammed Abdi est interrogé par le pasteur Florence Taubmann.

« Ni putes, ni soumises »

Florence Taubmann : « Ni putes ni soumises », voici un nom provoquant, un nom qui fait choc !

Mohammed Abdi : Cette association est née d’un cri, d’un appel au secours. En 2003, Fadela Amara, avec d’autres, prend vraiment conscience d’une dégradation rapide de la condition des filles dans les banlieues : il y a d’un côté les « tournantes » (viols collectifs) qui se multiplient, et de l’autre la pression religieuse, particulièrement intégriste, qui augmente. L’association est créée, commence ses actions, et trois mois plus tard, comme pour confirmer l’urgence, survient le drame de la jeune Sohanne, brûlée vive pour avoir éconduit un garçon de sa cité.

F.T. : On se souvient des premières manifestations publiques de « Ni putes ni soumises », des marches de protestation… Et aujourd’hui ?

M.A. : Il y a plus de dix mille adhérents ; des comités existent dans de nombreuses villes de France et d’Europe. Et en Égypte, au Maroc, dans plusieurs pays arabes, ce mouvement sert de repère ou de cadre aux associations de femmes qui luttent pour l’égalité et la liberté. Car il s’agit vraiment d’un féminisme populaire et d’urgence.

Mohammed AbdiF.T. : Votre association a donc une forte portée sociale, mais aussi une dimension politique ?

M.A. : Dans le contexte que nous vivons, de difficulté économique des populations immigrées, de montée de l’islamisme radical, et de doute sur le politique, il est impossible de séparer complètement les questions sociale, politique, et même religieuse. Il faut aller au fond du problème, et la cause des femmes oblige à aller au fond du problème. Ce que « Ni putes ni soumises » a compris, c’est que quand les femmes sont maltraitées, asservies, ou complètement cachées sous un voile, c’est toute une société qui va mal, quand elles peuvent se montrer, parler, participer librement à la vie du pays, c’est un signe de démocratie…

F.T. : Êtes-vous en train de me parler d’un choc des civilisations ?

M.A. : Je n’adhère pas du tout à la théorie du choc des civilisations, car je crois à une grande chaîne de solidarité des civilisations entre elles, où chacune à son tour doit jouer son rôle. Le choc des civilisations est un leurre entretenu par ceux qui le désirent pour soutenir leur haine de l’autre. Un exemple : contrairement à ce que font croire les islamistes, très nombreux sont les musulmans que l’affaire des caricatures du prophète Mohammed, ou celle des propos du pape, laissent complètement indifférents. Cela n’a rien à voir avec leur vie quotidienne, leur pratique concrète, plus ou moins régulière, de l’islam. En France les musulmans ont la chance incroyable de vivre librement avec les autres religions, dans un pays où l’antériorité ne donne pas de privilège en droit. Cela vaut le coup – et c’est ce que fait « Ni putes ni soumises » –, de défendre de manière claire et ferme les valeurs de la République et la valeur de la laïcité.

F.T. : Vous avez milité en faveur de la loi interdisant les signes religieux à l’école ?

M.A. : Sans nuances et sans concessions ! Les concessions sont trop dangereuses aujourd’hui. L’islamisme radical se nourrit de la haine de l’Occident, qu’il tente de propager dans le monde arabo-musulman et chez les musulmans des pays occidentaux. Mais cette haine vise moins les maux des sociétés libérales : l’injustice, les discriminations, la folie consumériste, que ce que l’Occident a de meilleur et de plus universel : la liberté, l’égalité des hommes et des femmes, les droits de l’homme. Qu’on le veuille ou non, le voile est un symbole de cette lutte contre la liberté des femmes. Si on veut les aider, il ne faut surtout pas « se voiler la face » en parlant de respect de la différence culturelle. Dans cette affaire, la communauté musulmane de France a raté une grande occasion de conclure un pacte clair avec la République. Le fait d’avoir mal mené ce débat fait qu’aujourd’hui on n’est pas armé pour débattre vraiment sur la liberté d’expression.

F.T. : Pour vous Mohammed tout doit pouvoir se dire ?

M.A. : Oui, tout est permis même si tout n’est pas utile. S’il y a la moindre réserve sur la liberté d’expression, le dialogue n’est pas possible ; on entre dans la langue de bois. Or aujourd’hui il faut un dialogue véritable et exigeant à tous les niveaux, et en particulier au niveau interreligieux. L’islam est le plus jeune des trois monothéismes. Il lui faut régler, de manière interne, la question de l’intégrisme, et de qu’on appelle la tentation du « fascisme vert ». Le dialogue interreligieux peut le stimuler pour qu’il avance mieux et plus vite dans ce travail. Alors il pourra apporter toute sa richesse et partager ses biens spirituels, qui sont immenses.

F.T. : Mais l’islam n’a-t-il pas la prétention d’être l’ultime révélation et donc le désir de convertir la terre entière ?

M.A. : C’est la rançon de l’universalisme. Le christianisme connaît bien cela, et a longtemps compris sa mission comme une obligation de convertir tous les peuples. Il ne faut jamais oublier que l’islam est plus jeune de six siècles ; il lui faut entrer en modernité, c’est-à-dire dans une vision pluraliste des choses et dans un fonctionnement démocratique. Mais pour l’instant la modernité fait peur, d’où tous ces phénomènes de rejet qu’on voit parce qu’ils sont médiatisés, alors que beaucoup de musulmans sont déjà, heureusement, entrés en modernité.

F.T. : Mais ce qui peut faire peur dans la modernité, c’est l’écroulement de la religion, c’est l’athéisme…

M.A. : À partir du moment où on accepte la liberté de la conscience individuelle, on accepte la possibilité de l’athéisme. Mais si on ne l’accepte pas, on tourne en rond, on est enfermé dans ce que Michel Foucaut appelle « l’ordre du discours », c’est-à-dire qu’on ne rencontre jamais les vraies questions que la vie, la réalité et la raison humaine posent à la religion. Et on ne permet pas que s’élabore la séparation nécessaire entre l’espace politique et l’espace religieux.

F.T. : Même sans cette séparation, de bonnes choses sont possibles. Si l’on pense à la réforme du code de la famille au Maroc, je crois que c’est en s’appuyant sur le Coran que le roi Mohammed VI a pu procéder à des changements importants.

M.A. : Mohammed VI est non seulement roi du Maroc mais aussi Commandeur des croyants. En même temps il a vraiment une volonté d’évolution et d’ouverture pour son pays et son peuple. Il a également créé une école pour que des femmes puissent devenir imams, ou conseillères religieuses. Mais il est freiné par le poids et l’influence des groupes islamistes au Maroc. Pour ma part je ne pense pas qu’on puisse éviter une vraie séparation entre le religieux et le politique, ce que justement propose la modernité démocratique.

F.T. : À voir maintenant et dans l’avenir si la sécularisation de l’islam est possible ou non, sans loi imposant la laïcité ?

M.A. : Personnellement je suis toujours pour la loi, et je retiens cette phrase de l’abbé Grégoire : « Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime le faible et c’est la loi qui le protège. »

F.T. : Une dernière question Mohammed : êtes-vous croyant ?

M.A. : Oui, mais j’ai une pratique religieuse libérale et une relation très intime et secrète avec Dieu. Je ne peux ni ne veux laisser quiconque interférer dans cette relation en me disant ce que je dois croire...feuille

Mohammed Abdi
Propos recueillis par Florence Taubmann

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