Rien n’est plus
passionnant qu’une soirée « diapos vacances »
chez des amis, même si la notion de diapos a légèrement
évolué. L’informatique a fait disparaître la
liturgie autour de ces petits cadres de carton de notre enfance, que
l’on mettait une fois sur deux à l’envers, les pieds
en haut ou le cœur à droite… Bref nous voilà
dans cette soirée diapos et mes amis me disent : « Cette
année, nous avons “fait” la Tunisie », «
l’année dernière nous avions “fait” la
Grèce ». Et ils ne comptent pas en rester là, nos
« faiseurs de pays ». L’année prochaine, ils
vont « faire » le Japon, voire la Chine ou l’Inde.
Encore un peu et ils auront « fait » le monde… Mes
amis sont vraiment très forts (que voulez-vous ? je ne choisis
pas n’importe qui !) : de vrais « créateurs »
du monde.Étrange expression à vrai dire que celle qui
consiste à dire que l’on a « fait » un pays
lorsque l’on s’est contenté de le visiter pendant quelques
jours, et encore… Nous prenons-nous tous pour des démiurges,
des créateurs, des dieux vivants ? Peut-être un peu. Mais
sans doute aussi avons-nous la tentation de nous mettre au cœur
de tous les évènements qui nous arrivent. C’est «
nous » qui visitons, donc c’est « nous » qui
faisons ! Le problème, c’est que les peuples et les cultures
que nous rencontrons lors de ces visites touristiques ne nous ont pas
attendus pour exister. Au risque de nous décevoir, ils se sont
« faits » sans nous !
Autre exemple : 1492 fut, selon nos manuels, l’année
de la découverte de l’Amérique. Vraiment ? Les peuples
qui y vivaient bien avant le débarquement européen ne
nous ont pas attendus pour « découvrir » leur propre
terre.
Quelle que soit l’innocence de cette expression
« faire un pays », il ne faudrait pas qu’elle masque
une difficulté, voire une impossibilité à la rencontre.
Nos mots, nos langages, nos expressions sont, qu’on le veuille
ou non, porteurs de sens. Alors, la prochaine fois que vous partirez
à l’autre bout du monde, laissez-vous « faire »…
Ce sont les découvertes qui nous font, et non l’inverse.

Jean-Marie
de Bourqueney