« Les religions sont un affront à l’intelligence
»
(forum de Yahoo)
Encore récemment les gens
s’excusaient de ne pas venir au temple (ou à l’église)
parce qu’ils partaient en week-end. Maintenant ils disent carrément
qu’ils n’en veulent plus.
Ce n’est pas qu’ils soient sans religion ! Les sites Internet
religieux se multiplient, la radio grand public France Inter a le samedi
matin d’excellentes émissions théologiques, les rayons
librairie de nos supermarchés regorgent d’ouvrages de spiritualité
– mais pas de la nôtre. C’est frustrant !
Dans leur quête spirituelle et leur réflexion éthique
nos contemporains ne se tournent plus vers nous et cherchent ailleurs.
Comment devrions-nous nous y prendre pour proposer aux gens le message
chrétien qui les aidera à vivre dans le monde d’aujourd’hui
et qui sera une alternative aux divers conservatismes inhumains, aux
fondamentalismes, aux idéologies totalitaires et aux spiritualités
échevelées ?
Paul Tillich disait que si notre parole ne rejoint pas les préoccupations
fondamentales de ceux qui nous écoutent, c’est qu’elle
n’est pas une Parole de Dieu. Car Dieu intéresse fondamentalement
les gens, comme il s’intéresse fondamentalement à
eux.
Comment adapter notre langage à la quête de notre temps
?
Quand j’assiste au culte, je m’assieds plutôt devant
et lorsqu’il y a un baptême je suis donc proche de la famille
de l’enfant. L’expérience est frappante. La plupart
du temps, dès le début du culte, ils n’écoutent
rien de ce qui est dit ou chanté. Comme si le pasteur parlait
une langue inconnue à ces visiteurs occasionnels. Des mots qui
n’auraient pas de sens et ne leur seraient d’aucune aide pour
leur vie quotidienne.
Il ne suffit d’ailleurs pas d’épousseter notre vocabulaire
mais d’être attentifs au message que, sans nous en rendre
compte, nous véhiculons. Par exemple, lors du culte de l’Ascension,
la plupart des pasteurs expliquent bien qu’il convient de se pénétrer
du sens profond du récit et n’enseignent pas à le
prendre au pied de la lettre car tout le monde sait désormais
que lorsqu’un corps s’élève verticalement sans
s’arrêter, il n’arrive pas chez Dieu mais se satellise
en orbite. D’ailleurs ce qui est « haut » en France
est « bas » en Nouvelle Zélande. Pourtant l’absurdité
d’une compréhension littérale plane toujours sur
nos contemporains.
Nombreux sont aussi ceux qui, sous l’influence sans doute d’un
catholicisme populaire, lisent les récits évangéliques
comme ceux d’un Dieu descendu du ciel pour se promener un temps
sur la terre – en marchant tout naturellement à l’occasion
sur les eaux, en multipliant les pains et les miracles. Les enfants
des écoles bibliques n’hésitent pas à mêler
dans leurs dessins le Père Noël avec l’étoile
des mages et les moutons des bergers, images que leurs parents jugent
aussi peu crédibles que celles du voyage nocturne de Mahomet
monté au ciel sur sa jument Al-Bouraq ou de la naissance du petit
Bouddha au son d’une musique céleste et sous une pluie de
fleurs de lotus.
La démythologisation n’est pas terminée
Ce qui est plus grave est que ceux d’entre nous qui se tapotent
le menton à la mention de la Résurrection de Jésus,
hésitent à admettre qu’au bout de trois jours –
vous comptez vraiment trois jours entre vendredi soir et dimanche matin
? – son cadavre couché dans la tombe se lève, traverse
la pierre (lorsque l’ange la roule, selon Matthieu, Jésus
en est déjà sorti). Peut-on être enfant de Dieu
et le prier valablement si l’on ne peut pas y croire ? Les pasteurs
ont tous correctement pratiqué l’exégèse historique
et critique durant leurs études mais craignent de choquer leurs
paroissiens en expliquant ces choses. Et les fidèles craignent
de choquer leur pasteur en lui avouant que ces récits ne passent
plus tels quels. Le pasteur Jack Good de Sydney en Australie, l’a
si bien vu qu’il a écrit un livre qu’il a nommé,
pour cette raison, « L’Église malhonnête »
(The Dishonest Church) ! Quel gâchis ! Ce message de la Résurrection
de Jésus, symbole central du dynamisme créateur de Dieu,
archétype de tous les renouveaux divins, est alors traité
d’antique légende ou de happy-end aberrant d’un récit
imaginaire. Il en est de même en ce qui concerne les récits
de la naissance miraculeuse qui, lorsqu’ils sont lus au premier
degré – et malgré toute la connaissance que l’on
a aujourd’hui du caractère mythique de ces textes –
transforment Jésus en Homme-Dieu légendaire et sont tournés
en dérision.
Les récits de l’Ancien Testament sont également
fréquemment mentionnés sans aucune remarque concernant
les circonstances et les dates de leur rédaction, comme si leur
historicité était évidente. Pourtant « La
Bible dévoilée » des archéologues juifs Israël
Finhkelstein et Neil Asher Silberman et « Le Temps de la Bible
» de l’archéologue protestant français Pierre
Bordreuil et de l’archéologue catholique Françoise
Briquel-Chatonnet, désormais répandus et publiés
en livre de poche, montrent de manière décisive que, par
exemple, l’Exode d’Égypte avec Moïse n’a
pu avoir lieu puisque le Sinaï et la Palestine étaient à
l’époque occupés par l’armée égyptienne
et qu’il convient donc de lire ces récits dans l’esprit
qui animait leurs auteurs. De l’intelligence des textes surgit
alors l’intérêt et nos contemporains ne se croient
plus obligés de se situer dans une « histoire sainte »
abracadabrantesque et insensée !
Il en est de même en ce qui concerne les mentions sans nuances
des grands dogmes traditionnels que sont la Trinité ou la valeur
sacrificielle de la mort de Jésus. Un paroissien pourtant fidèle
disait croiser les doigts derrière son dos lorsque le pasteur
demandait que l’on dise ensemble à haute voix le Symbole
des apôtres qui est devenu aujourd’hui un texte ésotérique
!
Un Dieu crédible
La théologie du Process que le professeur André Gounelle
a fait connaître en France il y a presque trente ans dans son
livre « le Dynamisme créateur de Dieu » (éd.
Van Dieren), présente une notion de Dieu plus compréhensible
à nos esprits modernes que le « théisme »
traditionnel. Celui-ci qui présente Dieu comme un être
céleste et à la toute-puissance irrésistible, intervenant
dans les événements du monde de l’extérieur,
de manière surnaturelle et imprévisible, est une conception
qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Cette définition de Dieu est sans doute l’une des raisons
qui détourne nos contemporains de nos Églises pour les
orienter vers des spiritualités New-Age ou vers le bouddhisme.
Le « panenthéisme » du Process suggérant que
Dieu est une Présence créatrice en nous, qui n’est
pas sans nous mais qui est plus que nous, correspond vraiment bien à
la foi des auteurs bibliques et permet à nos esprits modernes
une foi vivante, créatrice et fraternelle. Je suis de ceux qui
pensent, comme l’évêque américain John Spong,
que l’ « athéisme » est davantage blocage intellectuel
devant ce « théisme » obsolète que refus de
la foi en Dieu.
Nous sommes nombreux à « croiser les doigts » derrière
notre dos lorsqu’on nous demande de chanter
Que ta main me dispense joie ou douleur
Paisible en ta présence garde mon cœur,
(Alléluia N° 47/14)
car nous ne voyons pas dans les évangiles Jésus enseigner
que la douleur pourrait venir de Dieu !
Nos textes liturgiques et nos cantiques « théistes »
sont certainement l’une des causes de la désaffection de
notre religion. Après tout, plutôt que laisser les gens
s’imaginer que la vie chrétienne consiste à adhérer
à des « vérités » qui leur semblent
aberrantes, ne faudrait-il pas affirmer systématiquement qu’il
s’agit d’entrer dans une communion vivante avec Dieu renouvelant
notre regard sur le monde et sur nous-mêmes, en utilisant toute
l’intelligence qui nous a été donnée et en
prêtant attention à nos paroles !
Un travail collectif sur nos textes liturgiques, nos cantiques, la
lecture (littérale) de la Bible, les affirmations massives de
dogmes écrasants, me semble devoir être poursuivi de toute
urgence dans le but de retrouver l’oreille de nos contemporains
– et la nôtre aussi sans doute ! 
Gilles
Castelnau