Trouver la beauté
Que le sentiment de la beauté
des paysages de la nature, des êtres de la création ou
des œuvres d’art soit souvent mis en relation avec tel sentiment
religieux et qu’il soit dit concourir à inspirer l’idée
de la puissance créatrice de Dieu est un thème largement
rebattu. J’ai souvent cédé moi-même à
l’idée d’associer le plaisir, l’apaisement, l’extase
qui naissent de la contemplation de la beauté au sentiment de
la présence de Dieu ou, au moins, à une certaine forme
d’exaltation religieuse. La beauté comme voie vers le Royaume,
bien des théologiens ont emprunté cette piste.
J’étais confortablement installé dans cette idée
quand est venu me déranger le souvenir d’Hedwige. Ma femme
et moi l’avons rencontrée à travers des amis qui,
sachant sa bonne connaissance d’un certain métier, nous
ont adressés à elle. Nous lui savons gré de ses
conseils. Mais quelle surprise a été la nôtre de
la découvrir après de multiples coups de fil où
elle nous avait démontré son efficacité professionnelle
! Dire qu’Hedwige est laide n’est pas assez dire. Poser un
regard sur son visage est très pénible et elle le sait
depuis l’enfance : sans doute une naissance difficile a détruit
ce visage. Pauvre Hedwige qui a dû construire sa vie en solitaire
(et fort honorablement, certes) avec ce handicap qui lui fait préférer
lettres et coups de fil à toute rencontre.
À quelques années de là, nous cherchons à
la joindre à nouveau. L’adresse que nous avons ne vaut plus
rien. Aurait-elle disparu ? Les amis interrogés nous apprennent
qu’à près de cinquante ans Hedwige a rencontré
un homme dont elle partage la vie. Ils sont heureux, nous disent-ils.
Une affreuse laideur physique n’a pas fait obstacle au bonheur
de ces deux êtres. Une remarquable beauté morale lui a
été supérieure. L’amour a transfiguré
leurs vies en beauté, les deux termes, amour et beauté,
étant devenus en eux inséparables. 
Bernard
Félix