logo d'Évangile et Liberté

Numéro 213
Novembre 2007
( sommaire )

Questionner

Frédéric Keller, pasteur à Marseille, est frappé par l’abîme qui sépare le culte dominical de la théologie moderne qui transparaît « en semaine » dans des réunions moins structurées. Il suggère d’autres méthodes de communication pour notre liturgie.

Une liturgie pour aujourd’hui !

Une liturgie pour aujourd’hui ! Voilà le thème d’une session de formation proposée aux pasteurs au mois de mai dernier. Titre accrocheur pour un enjeu majeur pour nos Églises. De quoi avons-nous parlé ? D’orthodoxie liturgique, de tradition, de retour aux sources, de célébration de la cène dans l’Église primitive. Nous avons aussi appris quelques nouveaux chants en latin et découvert qu’il existait un certain nombre de livres codifiant les gestes, postures et regards à destination des liturges.

Cette formation proposée par des institutions ecclésiales et animée par les responsables de commission liturgique de nos Églises montre combien le « semper reformanda » (toujours à réformer) est une formule de laboratoire plus qu’une réalité concernant le concret de la vie d’Église. Ce n’est pas en se réfugiant dans une théologie des antiquaires que nous pourrons répondre à l’éternelle question de l’inscription de l’Évangile dans notre présent.

Une théologie simple et moderne en semaine

Ce décalage entre l’attendu et le vécu est celui de bien des personnes que nous rencontrons à l’occasion d’une célébration ou d’une conférence. À l’issue d’un enterrement ou d’un mariage, les personnes viennent voir le célébrant et disent de manière quasi systématique combien ils se sont sentis rejoints dans la situation de joie ou de peine qui était la leur, combien ils se sont sentis concernés par la Parole et les paroles proclamées, combien la théologie protestante leur semblait moderne, simple, actuelle.

Dans un autre registre nous pourrions parler des nombreuses tables rondes, conférences, cafés théologiques où nos convictions s’expriment en dialogue et en tension avec les sciences humaines et la culture contemporaine. Un souffle de liberté est alors ressenti par les participants voyant combien intelligence et foi se conjuguent joyeusement.
Tout au long de la semaine nous annonçons avec un certain bonheur l’Évangile dans des entretiens, lors de célébrations plus ou moins privées ou de rassemblements plus importants. La bonne nouvelle a semblé actuelle et accessible pendant toute la semaine, malheureusement il y a le dimanche matin.

Un culte pour initiés le dimanche

Le dimanche matin est le lieu du divorce entre l’expression théologique de nos convictions et la célébration exprimant par la prière, les chants et la prédication ces mêmes convictions. Subitement il n’est plus question de modernité, de liberté, d’acculturation mais d’un culte s’adressant essentiellement à des initiés. Il n’est plus question de culte public mais d’une célébration pensée pour un groupe social qui se rêve encore homogène.

Groupe homogène : cela a été en grande partie vrai que ce soit à Vernoux en Vivarais, à l’Étoile à Paris, à La Rochelle ou à Saint Jean du Gard. Homogène dans sa diversité donc ! Dans un protestantisme largement endogame, la pratique religieuse est familiale. Le renouvellement de l’Église réformée suit un modèle généalogique dans lequel chacun apprend par imprégnation à aimer le psautier huguenot, à entrer dans le dialogue liturgique et à aiguiser son esprit au fil des prédications aussi intelligentes que subtiles. Le culte n’est pas pensé pour des familles mais pour des adultes ayant des enfants. Une école du dimanche ou une garderie permet de tenir les braillards à distance.

Mais les « nouveaux protestants » ne parlent pas couramment « le réformé »

Mais voilà, ce protestantisme-là est pour ainsi dire mort et dans bien des lieux la majorité des personnes participant au culte n’est pas issue du protestantisme et vient d’horizons culturels extrêmement variés. Ces « nouveaux protestants » ne parlent pas « le réformé » couramment et n’aiment pas forcément la musique baroque. Ils ne sont pas sensibles au rythme de la joie chez Bach ni à la liturgie d’Eugène Bersier revue et corrigée. Ils ont des yeux pour voir, des mains pour toucher, un corps pour bouger et sont sensibles aux émotions.

Bien sûr notre culte protestant réformé est encore nourrissant pour une frange non négligeable des membres de nos communautés parce qu’il est riche de sens. Il répond vraiment à l’attente des personnes qui, à force de présence, ont réussi à entrer dans la logique des célébrations. Mais que faire de ceux qui n’ont pas la patience, ou la soif, ou la motivation pour aller au-delà de la période d’initiation au langage si spécifique d’un culte réformé ? Ils sont pourtant nombreux, dans les villes, ceux qui entrent pour la première fois dans un temple.

À l’heure où l’Église réformée, de synode en synode, proclame sa volonté de s’engager toujours plus dans la mission d’évangélisation qui est la sienne, il est plus que temps de s’interroger sur notre manière de vivre le culte. Pour que l’exposé de notre pensée théologique dans l’espace publique ne relève pas d’une logique de séduction sans lendemain, mais qu’au contraire elle soit l’occasion d’un approfondissement spirituel, il est nécessaire d’articuler cette démarche dans ce qui est à la fois l’ordinaire et le centre de la vie communautaire, à savoir nos célébrations dominicales.

Avoir le courage de penser autrement

Nous voulons un culte qui permette à chacun, quels que soient son âge et sa culture, d’entendre une parole qui le concerne dans la situation particulière qui est la sienne. Le principe du « semper reformanda » devrait nous permettre de nous interroger librement sur notre manière de célébrer pour atteindre cet objectif. Nous avons tellement résisté devant le changement qu’il ne s’agit plus de se demander quel lifting il faut appliquer au culte, mais avoir le courage de penser autrement sans être obnubilé par les « il ne faut pas faire catho » ou les « ça fait évangélique ».

Personnellement il me semble qu’il faudrait réfléchir sur l’incarnation de cette parole qui nous fait vivre. Donner plus de chair à la Parole !

Prédicateur régulier, je sais le temps que prend la préparation d’une prédication et pourtant je sais aussi que ce qui fera la différence entre un bon et un mauvais culte ne sera pas tant le contenu de la prédication que l’ambiance, l’atmosphère. Si l’impression qui est gardée est la joie, la joie dans la relation, la joie ressentie et exprimée notamment au travers d’un répertoire renouvelé de chants, alors ce sera un bon culte. Un bon culte aussi parce que l’écoute de la parole proclamée sera facilitée.

Un des thèmes majeurs de la prédication réformée est certainement celui de la grâce. Nous en parlons beaucoup mais nous pourrions essayer de vivre plus concrètement cet accueil inconditionnel qui nous fonde. Connaître les personnes qui viennent par leur nom. Les reconnaître dans ce qu’elles sont et ce qu’elles font. Les soutenir dans leur engagement ou leur préoccupation. Prendre des nouvelles des uns et des autres. Autant d’attitudes concrètes, d’attentions et d’intentions qui sont synonymes de vie. Notre réflexion pourrait alors s’étendre à l’aménagement intérieur de nos temples en nous demandant ce que nous donnons à voir de notre conception de l’Église et du type de relation que nous y organisons. N’y a-t-il pas ici une pertinence à redécouvrir ce message de la grâce incarnée dans une société qui produit de l’isolement ?

La communication passe aussi par les émotions et le corps

Un catholique sourd peut suivre une messe sans trop de problème tandis qu’un protestant peut être aveugle pour assister à un culte. Voilà ce que nous disions avec une certaine fierté. L’incarnation passe par la prise en compte de tous les sens. Aujourd’hui la communication passe au moins autant par le visuel, les émotions et le corps que par l’oral. Nous devons résolument sortir de nos codes de communications pour nous ouvrir aux langages des personnes qui viennent à nous. C’est à nous de faire l’effort de les rejoindre dans leurs repères culturels et dans leurs manières d’apprendre et de s’exprimer et non l’inverse. Après tout, c’est bien ce qu’ont recherché les Réformateurs en abandonnant les messes en latin et en réformant le chant d’Église. De notre côté, l’enjeu serait plutôt du côté de l’interactivité et du visuel.

Il s’agit donc toujours de la même exigence de recevoir et d’exprimer la parole qui nous fait vivre mais dans un langage adapté à la capacité de réception des personnes qui se trouvent à la marge de nos communautés. feuille

Frédéric Keller

haut

 

Merci de soutenir Évangile & liberté
en vous abonnant :)


Vous pouvez nous écrire vos remarques,
vos encouragements, vos questions



Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs


Article Précédent

Article Suivant

Sommaire de ce N°