Dans le présent
de notre monde occidental, la tendance s’affirme pour l’individualisme
de l’expression de la foi. Dans le passé on citait comme
référence outrancière la célèbre
formule de Veillot, écrivain catholique très traditionnel,
(avant la guerre de 14-18) « Ce que je crois, allez le demander
à Rome » ; l’Église croyait dans ses formules
dogmatiques. Le croyant s’y rattachait en toute confiance.
Aujourd’hui chacun se fait sa propre dogmatique,
une foi à la carte et sur mesure. Beaucoup de croyants ne sont
plus soutenus par une tradition religieuse chargée des formulations
du passé. En Occident chrétien, les Églises se
vident. La « religion » est en baisse. Mais la spiritualité
personnelle cherche à se définir. Jamais il n’y a
eu autant de chercheurs sur Internet, dans les publications et les livres,
dans les communautés nouvelles et par les quêtes de bouche
à oreille. En France certains catholiques croyants et pratiquants
gardent un esprit critique à l’égard des croyances
de leur Église : cf. revues Golias et Parvis et, en Belgique,
Libre pensée chrétienne.
La mer de la religion se retire de nos rivages comme
une marée descendante. Les rochers de la spiritualité
émergent de façon de plus en plus spectaculaire. Dans
le présent, le caractère personnel de la foi y gagne.
Actuellement ce mouvement est un puissant stimulant pour la recherche.
Et si la fin des dogmatismes puérils et des oukases
ecclésiastiques ouvrait la voie d’une redécouverte
de l’Évangile de Jésus de Nazareth ! Et si le dépérissement
des organisations autoritaires de l’Église était
l’ouverture pour un nouveau recommencement de la diffusion de l’Évangile
dans la dictature des « Constantin » qui se sont succédé.
Vivre au présent. Nous vivons parfois au futur.
Chacun de nous imagine son avenir personnel, familial, professionnel.
Cette espérance fait vivre et détermine des actions, des
élans, des travaux. Mais cette perspective néglige parfois
le présent avec ses impératifs et ses urgences.
À d’autres moments nous vivons dans le passé.
Souvenirs d’enfance, événements marquants, émotions
inoubliables reviennent alors comme un leitmotiv ou une obsession. On
connaît les problèmes de ceux qui ne veulent pas grandir
ou évoluer. On reste souvent prisonnier des circonstances, des
analyses et des situations du passé. On oublie que la vie est
une marche continue. Il est vrai qu’on ne peut concilier «
être » et « avoir été ».
L’extraordinaire de notre vie humaine est que chacun
transforme l’avenir en présent pour en faire un passé.
L’homme que nous sommes est non seulement conscience
de cette métamorphose, mais encore fabricant, artisan et auteur
responsable.
Le présent est une frange en mouvement située
entre l’avenir et le passé. Cet espace est une réalité
en perpétuel changement. C’est là pourtant que nous
nous situons et que Dieu se situe. Nous rencontrons les autres et nous
rencontrons Dieu dans ce questionnement et cette avancée du présent.
L’éternel s’élabore dans l’éphémère.
L’infini se vit dans l’instant. Une chose n’a pas besoin
de s’éterniser pour participer de l’éternel.
Il suffit qu’elle s’accomplisse dans le temps qui lui est
approprié.
Il nous faut vivre chaque étape de la vie humaine
pleinement, sans regretter nostalgiquement le passé, ni s’impatienter
d’être déjà dans l’avenir. « Les
saisons de la vie » sont à cueillir comme l’invitait
la sagesse antique et le vieil Horace « carpe diem » (=
saisir le jour). Chaque « saison » de l’existence a
son charme et sa grâce. Nous vivons l’heure simplement comme
on mâche lentement un morceau de pain pour le savourer.
Vivre dans le présent c’est accepter d’agir
sans différer constamment. Nous aimerions parfois prendre le
temps de la réflexion, peser le pour et le contre, nous informer
des conditions et des conséquences de l’action. Mais les
situations évoluent vite. Vivre et agir dans le présent,
c’est affronter des risques. On ne vit pas sans risques, sans s’imposer
au présent, sans entrer en scène quand il est temps. Est-on
jamais prêt ?
Résister se conjugue au présent.
Prier est un dépouillement complet, une totale
sincérité qui nous situe dans l’actuel, tels que
nous sommes et sans recherche de justification.
Le présent est la seule possibilité où
nous pouvons agir. Mettons-le à profit. 
Christian
Mazel