« Que je sois croyant ou
incroyant, païen ou chrétien, je veux être un artiste
de la cathédrale… Mon moyen d’expression est le film,
non la parole écrite… » Ces propos d’Ingmar
Bergman lui-même, caractérisent l’homme et son œuvre
qui marquera encore pendant longtemps le 7e art.
Les
clés d’interprétation du cinéma bergmanien
sont multiples : philosophie, sociologie, théologie, psychanalyse,
libre au cinéphile de choisir ses angles de lecture artistique
: jeu des acteurs, dialogues, éclairage, musique. Le spectateur
sera d’autant plus impressionné et bouleversé qu’il
connaîtra la vie du cinéaste car, dans ses films, Bergman
se « met à nu » sans ménagement. Fils d’un
pasteur luthérien rigide et d’une mère bourgeoise,
le jeune Ingmar est éduqué dans l’obsession du
pêché et du repentir, des interdits et des convenances
sociales. Il s’en échappera en se réfugiant dans
un univers de rêves, puis dans les études littéraires,
le théâtre et le cinéma où il trouvera
finalement sa voie.
Toute l’œuvre de Bergman est empreinte d’une problématique
dominée par une morale intérieure exigeante focalisée
sur une interrogation métaphysique permanente et une recherche
du sens de la vie. Contrairement à Dostoïevski dont le
drame fut de ne pas pouvoir croire, Bergman a souffert de ne pas pouvoir
cesser de croire. Harcelés par le doute, certains personnages
ne parviennent pas à une foi durable et dénoncent le
silence de Dieu. D’autres se rebellent contre l’absence
de la grâce pour une humanité enfermée dans la
prédestination et un destin injuste. Ils en arrivent jusqu’à
la négation douloureuse de Dieu, mais parfois, une espérance
irrépressible les conduit à une certaine transcendance.
Bergman met en lumière les tiraillements de la conscience
: l’humiliation (La nuit des forains), le regret (Les fraises
sauvages), la maladie et le désespoir (Cris et chuchotements),
l’égoïsme (Sonate d’automne), l’incommunicabilité
(Scènes de la vie conjugale), le mensonge et l’échec
(De la vie des marionnettes), la mort (Le septième sceau).
Parmi ses nombreux chefs-d’œuvre, j’ai choisi d’évoquer
brièvement la trilogie des « films de chambre »
où transparaît son angoisse : À travers le miroir,
Les communiants et Le silence.
Dans À travers le miroir, un écrivain raté
réalise qu’il a toujours négligé ses enfants.
Reconnaissant sa faute, il se raccroche à la grâce divine.
Il tente en vain d’ouvrir son cœur à Dieu mais son
seul espoir reste l’amour car pour lui « chaque forme d’amour
transforme le vide en richesse et le désespoir en retour à
la vie ». Dans les deux films suivants, l’homme désespère
face à l’injustice et à la douleur. Avec Les communiants,
Bergman se réfère aux écrits de Kierkegaard dans
lesquels « la vie privée de la grâce devient un
gouffre de pulsions destructrices sans possibilité de salut
». Les doutes s’accumulent douloureusement autour du pasteur
dont l’amour conventionnel et stérile est incapable de
procurer le moindre apaisement à un paroissien acculé
au suicide. Le dernier film de la trilogie est un appel désespéré
du cinéaste confronté au silence de Dieu qu’il
implore afin qu’il se manifeste. Face à l’univers
dénué de sens des adultes, c’est la descente aux
enfers pour l’enfant, seule une lueur d’espoir apparaît
lorsque sa tante, avant de mourir, lui transmet quelques rudiments
de la « langue inconnue » de ce monde hostile.
L’œuvre de Bergman ressemble à une quête
de Dieu, du Bien et du Mal, de la conscience et de l’inconscient,
de l’angoisse de la mort. Le réalisateur est un «
sondeur d’âmes » et ses films, toujours d’actualité,
méritent d’être vus et revus pour découvrir
ou redécouvrir le monde, notre monde. 
par Pierre
Nambot