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Numéro 215
Janvier 2008
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Louis Pernot analyse les Béatitudes de Luc (6,20-26), et explique que les « malheur à vous… », bien difficiles à comprendre, correspondent à une erreur de traduction.

Les Béatitudes et les prétendues « Malédictions » de Luc

Les Béatitudes de Luc sont moins lues que celles de Matthieu, et on comprend pourquoi. D’abord, Luc ne cite pas les quatre béatitudes positives, celles que nous préférons : «Heureux ceux qui ont le cœur pur, les miséricordieux, les artisans de paix et ceux qui sont doux.» Il ne garde que les quatre béatitudes négatives : «Heureux ceux qui sont pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif, et ceux qui sont persécutés.»

Comment comprendre ces quatre béatitudes négatives ?

Une solution serait de penser qu’il faille pleurer, ou être pauvre pour hériter du Royaume de Dieu. Cela serait incohérent avec le reste de l’Évangile. La pauvreté, pas plus que le malheur, ne sont des mérites et ne donnent nécessairement de la valeur, ou du sens à une vie.

Une autre lecture fréquente est que les malheurs terrestres seraient suivis de récompenses dans l’autre monde. Cette idée n’est pas meilleure. La Vie éternelle est une réalité qui s’enracine dans notre vie d’ici-bas. Le Royaume de Dieu est déjà présent en prémices dans notre vie terrestre, et ne consiste qu’en l’accomplissement de ce que nous vivons déjà ici dans la foi.

Le message des Béatitudes serait alors que l’on peut être heureux, même si l’on doit subir des malheurs terrestres. Le bonheur promis, étant un état qui ne dépend pas des chances ou des malchances humaines, mais un bonheur indépendant des événements et des situations matérielles.

Mais les Béatitudes vont plus loin, elles ne disent pas seulement « vous pourrez être heureux même si... » mais bien « heureux serez-vous... si vous avez des malheurs ». Peut-être que certains malheurs peuvent être une chance, s’ils nous incitent à chercher notre bonheur ailleurs que dans le contingent du quotidien, mais ce n’est pas toujours vrai, et Matthieu a eu une autre idée. Pour lui, il ne s’agit pas vraiment de malheurs, mais d’attitudes spirituelles : à « heureux ceux qui sont pauvres », il ajoute : « en esprit », à « heureux ceux qui ont faim et soif », il ajoute : « de justice ». Et il est vrai qu’avoir « faim et soif de justice », c’est vouloir aller plus loin, ne pas se contenter de ce que l’on a. Se considérer comme « pauvre en esprit », c’est se savoir pauvre spirituellement, ne pas compter sur ses propres mérites pour se sauver, mais se savoir pécheur, et chercher Dieu, lui demander un salut que l’on ne fait pas soi-même mais que l’on reçoit.

Voilà l’essentiel, parce que cela met en mouvement. D’ailleurs le mot « heureux » vient d’un verbe hébreu signifiant : « debout et en marche ». Ainsi pour la Bible, le bonheur n’est pas une réalité statique qu’il faudrait défendre comme une forteresse contre les épreuves, mais une réalité dynamique. Être heureux, c’est être en marche. Le bonheur, pour la Bible, c’est la vie.

Cela dit, les quatre « malheur à vous » que Luc adjoint au Béatitudes semblent inconcevables. « Bénissez et ne maudissez pas... » a dit lui-même le Christ. Or une étude du texte original montre que ce « malheur » qui revient plusieurs fois n’est que le fait de nos traducteurs. Il ne se trouve pas dans le grec. Le mot employé, « Ouaï », comme son correspondant hébreu « Hoï », ne veulent rien dire, ce sont des cris, comme « Aïe » en français. Voilà ce que dit Jésus : « Aïe aïe aïe vous les riches, prenez garde, vous risquez l’immobilisme et de vous tromper d’objectif. » Et contrairement à ce que nos traductions laissent penser, ce « Hoï » n’est pas forcément négatif, il se trouve ainsi en Ésaïe 55 où il est traduit positivement, dans un passage proche de nos Béatitudes : « Oh (Hoï) vous qui avez soif, venez vers les eaux, sans argent, sans rien payer... » Autrement dit : « Attention, ne restez pas sans rien faire, approchez, venez à Dieu. » Il est vrai que la pauvreté ou l’épreuve aussi recèle une tentation : celle de se décourager, de ne plus vouloir rien faire.

Heureux celui qui se sait pauvre, heureux celui qui sait qu’il n’a pas tout et qui ne compte pas que sur lui-même. Peut-être est-ce cela l’humilité : savoir désirer, savoir recevoir, accueillir, et vivre sa vie comme un chemin et une quête. Et ce chemin ne mène pas seulement au bonheur, il est le bonheur. feuille

par Louis Pernot


 

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