Matthieu 25,36 : ça
vous dit quelque chose ? Mais si : « J'étais malade, et
vous m'avez visité
» Ce texte a beaucoup à
nous apprendre même si nous croyons le connaître
(presque) par cur entre autres, et ce n'est pas le moindre,
que le choix final entre élus et réprouvés ne s'opère
nullement à partir d'une foi ou d'une pratique religieuse, mais
uniquement en fonction de l'attitude diaconale envers des frères
éprouvés : maladie, faim, prison, pauvreté, exil
Revenons plus spécialement aux malades. Certainement, nous connaissons
bien ces versets
trop bien peut-être ? Si bien qu'en répétant
avec insistance la nécessité salutaire (au sens fort)
de ne pas négliger cette forme de diaconie, on semble parfois
enfoncer une porte ouverte. Mais à force d'être largement
et trop évidemment ouvertes, il arrive que des portes, peu à
peu, se referment dans
l'indifférence, et il n'est pas
inutile d'aller, de temps à autre, en vérifier l'ouverture
!
À
Judas qu'indigne le gaspillage du vase de parfum (Jn 12,5), Jésus
répond : « vous avez toujours les pauvres avec vous. »
Cela est tristement vrai. Jésus aurait pu le dire des malades,
car nous en avons aussi toujours avec nous, et ce n'est pas l'aumônier
que je suis qui dira le contraire
Il faut sans doute se réjouir
de ce que les progrès de la médecine, et pour une certaine
part, de la couverture sociale (encore que
) leur permettent de
recevoir des soins dans les hôpitaux où je les rencontre.
Mais ces malades ne sont pas que des objets de soins. Ils sont aussi
des sujets dont la maladie bouleverse l'histoire plus ou moins profondément.
On a beaucoup dit à quel point le milieu médical devenait
de plus en plus technique et froid, oublieux de ce « dialogue
singulier » où le médecin prend le temps d'entrer
un peu dans cette histoire : encore une « porte ouverte »
à réenfoncer.
Pour accompagner le choc de la maladie, les psychologues
sont là. Il y a aussi les aumôniers, les visiteurs, qui
n'ont pas le même rôle, partenaires discrets mais non superflus
dans un parcours hospitalier : car le malade traverse une crise pas
seulement physique, et la question du sens se pose, aiguë, angoissante
: une présence, une écoute, une parole partagée,
permettent l'expression de ces « besoins spirituels » dont
nous sentons bien qu'ils sont un fondement de nous-mêmes, au-delà
même des religions particulières (troisième «
porte »).
La maladie fait peur : aux malades, bien sûr, mais
aussi aux soignants, confrontés quotidiennement à la question
de la souffrance et de la mort : même s'ils se « blindent
» souvent, ils sont autant, voire plus fragilisés que les
patients, et eux aussi ont besoin d'écoute et de parole partagée
La maladie fait peur
et ce n'est peut-être pas volontiers
que l'on s'imagine en train de faire des visites à l'hôpital.
Cependant, il ne faudrait pas que cette peur, alliée à
la grande technicité des hôpitaux, creuse un fossé
irréparable entre les malades et les bien-portants. Réenfonçons
donc cette quatrième porte : attention à ce que certains
lieux ne soient pas coupés de la vie telle qu'elle continue,
quand on nest pas « affamé, assoiffé, étranger,
nu, malade, en prison », cf. Matthieu.
Il est donc nécessaire de s'attacher, comme un
but à atteindre, à tisser et retisser inlassablement ces
liens qui font que l'hôpital et ses occupants ne sont pas comme
un bateau qui dérive loin de la terre des vivants. Il faut créer
de nouvelles amarres : des visiteurs, qui depuis le double lieu de leur
église et de leur foi, viendront témoigner que l'Évangile,
loin de marginaliser les faibles, ne cesse au contraire de les désigner
à notre soin, ne serait-ce qu'en partageant un verset, une prière
L'aumônerie auprès des malades ne doit pas non plus partir
avec le bateau, mais aider à accueillir et former tous ceux qui
désireraient devenir des amarres : ces accueils, ces formations
existent déjà, offrant des années de pratique et
de réflexion. Nous vous invitons à venir voir comment
on y crie, non pas « larguez les malades », mais «
Terre en vue ».
Christine
Durand Leis