Tout ce que nous avons
exposé fait ressortir le caractère individuel de la religion
et montre qu’elle ne peut jamais devenir un fait collectif. Jamais,
disons-nous, car si d’éclatants miracles, opérés
à la vue de la multitude, prosternent invinciblement tous les
hommes dont elle se compose devant l’auteur de ces prodiges, et
créent, sur le fait de son intervention, une instantanée
et complète unanimité, par cela même que l’unanimité
était inévitable, c’est-à-dire que la volonté
est restée étrangère à cette adhésion
et que la croyance n’a pu être une action, l’élément
de la religion manque ; il n’existe qu’avec l’individualité,
et celle-ci n’existe que dans la liberté : là où
l’incrédulité est impossible, la foi est impossible
aussi ! Les faits extraordinaires dont nous avons parlé peuvent
donc préparer une religion, mais ne la constituent pas ; la religion
ne commencera qu’au point précis où recommencera
la liberté ; et la liberté suppose l’individualité
qui disparaît dans l’irrésistible triomphe de l’évidence.
Ce n’est qu’à condition de n’être pas évidente
qu’une religion est religion. 
Alexandre Vinet,
Essai sur la manifestation des convictions
religieuses, 1842.